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"Je ne suis point faite de dépôts salins, 
Me brisant sur vos genoux de granit,
A chaque vague je ressuscite"
-- Marina Tsvetaeva
 
                                        
                        -- Choses qui arrivent la nuit --
 
 
J'aime les choses qui arrivent la nuit. 
Moi aussi, j'arrive la nuit. 
 
Ma maison éparpillée sur la plage.
Je la recouvre avec tout moi.
Des lignes de papier sur un carnet d'encre. Le sel tourne les pages. Il s'écrit en
lettres blanches au fur et à mesure que je le lis. Quand j'arrête de lire, il reste
tout noir. 
Pour vivre, mon carnet a juste besoin d'attention et d'un peu d'iode. 
 
Une figurine amputée, posée juste au bord de la ligne d'eau. Son corps plié attend
une vague pour le dérouler. Quand elle était entière, elle était à moi, rien qu'à
moi. Mais une fois, un petit bout d'elle s'est réveillé. Il faisait jour. 
C'était le temps où ma maison vivait à l'extérieur de moi. 
Maintenant, elle habite partout où je marche. 
 
La figurine s'anime dans mes mains. 
Sa langue lêche un coffre en bois sombre. Chiffons de salive.
 
Dans le carnet, le papier noir se met à monter comme la mer. Je vais le recouvrir de
beaucoup de mots clairs. Des histoires de soleil chaud dans une goutte froide. Des
chansons de bateaux qui tirent les enfants hors de l'eau. 
 
Mon grenier en plein air, ma mémoire en bord de mer. 
Ma maison naît la nuit. Ma maison couvée par la marée. 
Quand mon grenier est mort, il a décidé de sortir prendre l'air, la nuit ici, avec
moi autour de lui. 
La terre est bonne, le jour, pas trop froide, mais on n'y a pas toujours pied. 
 
Ma figurine peut aller partout, elle. Tout ce qu'elle risque c'est de devenir
complètement vivante.  Dans le coffre, un flacon respire un parfum inversé. 
Je connais l'avenir des odeurs. 
Je connais aussi des herbes marines, elles croissent seulement dans l'océan. Elles
ont des pousses bleues. Je les applique sur moi, quand j'ai la maladie de l'oubli. 
Pour vivre, j'ai juste besoin d'une vague et de quelques pages. 
 
Avant, il y avait des odeurs aussi, des fleurs au bout des vagues, des doigts qui
couraient sur le sable, des tas de petits animaux très intelligents qui jouaient avec
moi.
Mais c'est moi qui ne bougeait pas. 
 
Puis, la nuit est tombée. J'ai écrit tout mon grenier en blanc sur mon carnet. 
Alors, j'ai grandi jusqu'à recouvrir la plage. 
 
J'aime les choses qui arrivent la nuit. J'en suis une. 
 
        
                        5-02-2001
 
 
 
-- Ponte Rialto --
 
 
Sur le quai bleu des ancètres
baillonné de chant
robe rouge brûlée de blanc 
j'avancerai jusqu'au couvercle de paupières
 
La vie danse oscille cliquète
sur le pont doux brodé de miracles
 
Couchée de tout son rond
la première lune  
respirera à travers un masque de dentelle noire
 
"La vie est sourde
dans ces rues de lumière
l'eau ronge le croquis du drapé des prières"
m'avertira t-elle
ses lèvres en croissant d'argent nu
 
"J'ai appris les horaires des marées
à même l'eau salée
pas dans un beau flacon de verre caressé"
répondrai-je en rêveuse révérence
 
Elle redescendra
théatre roulant
jusqu'au pli vert du canal des rideaux
 
La vie rampe chavire s'engloutit
et le pont des reflets s'ourle d'aiguilles d'ombre
 
La seconde lune tapissée de bois pourpre
lêchera ses lèvres d'or lourd
ses yeux affleureront d'un masque en ailes d'orchidée
 
" Je suis la sirène des palais rongés par le ciel
si tu me dis combien d'écailles à ma mémoire
tu mourras de danse
dans très longtemps"
proposera t-elle à mes bras bleus chargés de feu
 
"Je t'offrirai des jupes de soleil froncé
je n'ai pas le temps de calculer
je ne voudrais pas être en retard pour l'été"
répondrai-je dans la langue des soies mortes 
pendant que sous le pont nageront quelques portes
 
Elle remontera
le long d'un puits aux parois d'homme
jusqu'au ramures de velours du parapet gris pluie
 
La vie plonge dérive grandit
sous l'arche d'images cernée de paradis
 
La troisième lune sera une toupie d'encre
l'enluminure de rubans
de ses lèvres safran
poudrera l'eau de quelques éclairs d'ange
 
"Déferas-tu ma traîne
chargée de longues lettres de lierre ? 
Je veux bercer les mots hors de ma coquille noire."
chantera t-elle
sur un vieil air de tarentelle
 
"J'envie les gouttes 
qui coulent le long les murs
car elles émeuvent les femmes"
écrirai-je tout en haut du Rialto
 
Elle rira
eau coureuse sur un escalier de vent
jusqu'aux canaux secrets creusés sous le fil d'eau
rues tracées d'île en île
 
Sur le quai bleu des ancètres
habillé de fenêtres
robe rouge brûlée de blanc
je jetterai un poisson-pièce dans le canal bouillonnant
 
                
                                2-02-2001
 
"Un matin, l'un de de nous manquant de noir, se
servit de bleu : l'impressionnisme était né."
-- Auguste Renoir
 
 
 
 -- Blue Moon --
 
 
Une lune chaude dans mes mains froides, je prépare l'Oeil Bleu, le sors de sa housse,
l'essuie de mon souffle d'images. 
J'ai posé mon verre à visage sur le creux du coude de la fenêtre. 
Sa plaque sensible va recevoir la nuit, la tremper dans la peau du pli de pierre.  
Des vies entières naissent de ce simple mélange. Elles penchent leur cou au dessus
des mâts de poussière. 
Parfois, l'ombre de ma maison se gonfle d'un vent de voyage. Je la laisse couler de
mon corps en éponge. Elle revient, tâchée de soleil. Se roule en lune sur le rebord
de la fenêtre. 
La lumière circule par la gouttière. 
 
Ce n'est pas un temps à tuer le jour. Plutôt à marcher dehors, laisser la nuit tomber
sur soi, prenante comme un châle de femme à demi-glissé d'elle. Ses franges
halètent le velours blessé, la soie scintillante d'une épaule surprise, nue de nuit
frâiche. 
Je vis dans sa courbe bleuie. 
 
Je sors de l'autre côté de l'Oeil Bleu. Je passe dans le regard de l'air.  
Câilné de carnage, je fais doucement tourner les hanches du jardin d'hiver. Je vais
vers la serre à oiseaux. 
Ils poussent là. Leurs ailes en pot diffusent des rêves à même les lèvres. 
Ils naissent là, dans leur ciel de verre chaud. 
J'aime ces plumes de terre, cette robe à souffrir. Elle verse des graines dans l'oeil
ouvert, trace une ligne brûlée d'images le long du dos de la fenêtre. 
Dans les profondeurs des lueurs, la lune meurt. 
 
Ce n'est pas un temps à cesser de vivre. Plutôt à faire des bouquets de murmures, les
poser dans l'oreille de la fenêtre. Laisser la lune entourer nos angles, les ployer
en courbe de couleur, moulante comme une robe de nacre aux reflets bleu plage, le
cristal de chair d'un cou attentif, crépitant de regards. 
 
Une lune bleue dans mes mains rouges, je rentre chez moi par l'iris. 
La nuit bouge
Elle est venue habiter la pupille, la remplit de sa flamme arrondie. 
Photo de fenêtre, la lumière prend vie sur le verre.
        
Dilatée de rayons, ma maison deviendra longue et gracieuse. Les gens viendront de
haut contempler son corps vu d'avion. Le bleu de son corps, et l'Oeil ouvert de son
rebord. 
Les avions de peau bleue écriront des nuages de feu. 
         
Dans ma tasse, je verse un manège instantané pour regarder la lune bleue tourner. 
 
        
        31-01-2001
 
 
 
 
 
"Elle, 
goôte là, elle sent le sel"
(V.Samson)                                              
 
        -- L'Ombrûle -- 
 
 
Les choses me sont douces. 
Des échos flottants m'ancrent, puis m'écartent comme un rideau de vibrisses. 
Je me sais sensible à l'effleurement des algues. 
 
* 
 
Tout autour de moi, une Ombrûle joue avec des billes de temps qu'elle a roulé dans
ses mains. Elle les garde dans son coffre en bois d'abysses. 
Elle sourit de siilons : "Dans la maison de l'eau, je suis la chambre noire". 
 
* 
 
Les choses me sont précieuses. 
L'Ombrûle lêche quelques extases d'écume. 
Je l'écoute, descend encore, deviens sonar du gel, forge de nuances. 
Ses nageoires écrivent l'or noyé, la pluie de frôlements froids qui délivre les
courants de leur illusion de vivre. 
Elle caresse le dos du chaos : "La surface des uns est le dedans des autres". 
Je contemple la courbe de son corps, la mélange à quelques franges de soleil qui
coulent jusqu'ici, pour qu'elle ne m'encercle pas entière. 
Un sillage violent modèle des gifles de mousse. 
 
* 
 
D'un geste, elle cisaille la lumière. Chacune de ses lèvres d'écaille réclame le
priviège de me distribuer. 
L'Ombrûle chante la chitine des couleurs, sur son cou se balance un colllier de
rupture, comme des dizaines de petits coeurs externes, cercle de perles barbelées en
battement de baisers. 
Elle perd son corps. Rayée de tempête, sa courbe s'enfuit d'elle. 
Puis elle blêmit de brisures : "Pour me redessiner, il faudrait me lancer un ange". 
 
* 
 
Les choses me sont brûlure. 
Je ne sais plus si j'ai inventé les derniers mots de l'Ombrûle ou si elle les a
vraiment prononcés : "j'ai trouvé le coeur noir de la clarté". 
 
Profonde, l'eau mange le soleil. 
 
 
31-01-2001
 
 
 
 
 -- Aux marges des mains nues --
 
 
 
"Tenez toutes ces mains par les marges". 
Les mains se multipliient, débordent. Elles poussent d'une seule goutte de pluie, une
goutte de trop échappée du tuyau par lequel passe la voix. 
Certaines poussent même directement à même le souffle.
 
Le tuyau dit qu'il faut tuer les mains, de peur de leur dangereuse délivrance. 
 
"Ne les touchez jamais à leur centre exact. Elles ne sauraient plus vous apprendre à
les lâcher". 
Le tuyau siffle sa peur, donne des ordres en buvant l'air. Le mien. 
 
C'est un jour de semaine, un simple jour de quelques mêtres carrés, même pas
ensoleillés. Pourtant, je vous l'affirme, avant le coucher du soleil, ces mains
tomberont amoureuses. 
 
Rester au bord des paumes. Les tenir toutes en même temps, arrimé à leur contour. 
Je cours, de l'une à l'autre. Le tuyau me guide, mais sa voix baisse quand je me
rapproche de lui. Ce n'est pas un tuyau pour les oreilles. Je ne sais pas où il va en
moi. Je cherche. Lui aussi me cherche, il veut me trouver et m'arracher, m'amputer
des mains qui s'ouvrent au bout des miennes. 
 
Les mains m'interrogent sur la clarté qui frappe à la fenêtre. Elles crient en foule,
demandent :   "Est-ce une lumière amie ? Ou faut t-il se protéger, se lover toutes
les unes dans les autres pour ne pas brûler ?"
 
Les mains se demandent aussi, comment moi, avec deux mains seulement, je peux
recouvrir toute leur multitude en un seul geste. Je ne sais pas. Peut-être parce que
je me méfie du tuyau. J'ai vissé une ombrelle dans ma poitrine pour me protéger de
son liquide savant. 
 
Le tuyau m'appelle, me montre la feuille avec toutes mes vies en retard à payer.
J'arrache cette voix de ma voix, lui crie  "je mourrai demain, promis !". 
D'abord, couver les mains nues, les caresser doucement, les orienter. Leur geste
s'oppose aux arêtes du mur. 
 
J'ai rattaché les marges des mains à leur centre. 
Le tuyau s'étrangle. Il reviendra un jour, il promet. 
 
C'est un jour de semaine, un simple jour de quelques doigts de long, même pas tout à
fait dépliés. Pourtant, je vous l'affirme, ce soir, avant que la nuit ne percute la
terre,  les mains nues ouvriront très doucement la lune, comme un fruit mûr. 
 
        29-01-2001
 
 
 
 
 
 
 
"Goutte dans la mer humaine, 
                                                     immergée, 
                                                                          pas noyée"
(Colette Nys-Mazure)
 
 
                   -- Baiser vu de dos --
 
 
J'étais un beau dessin 
soulevé de clairs
parcouru de sombres
j'avais des bras de contours d'homme
et des yeux doux pour suivre ses doigts
qui m'élançaient de couleurs
 
J'étais un dessin de dos
elle m'avait accroché face au mur
comme un visage qui réfléchit beaucoup
ce mur à voler en arrière
je le dévorais de baisers
en riant dans le chemin de pierre
 
Elle m'enlaçait de gommes
m'esquissait de modèles
et de marches à suivre
du haut du dessin jusqu'à sa signature
puis elle posait une gomme sur son visage
au cas où des traits de mots 
finiraient les phrases de ses lèvres
 
Puis un jour 
le monde s'est retourné dans son sommeil
et , posé sur sa gomme à homme, 
très doucement
mon visage à embrassé le sien
de très loin
 
J'étais un beau dessin à l'intérieur d'un mur
et ses joues de lumière
étaient la maison
de mes baisers vus de dos
 
29-01-2001
 
 
 
 
"Nous ne sommes rien que des lèvres fendues qui se
frôlent encore."        
- Ludovic Kaspar
 
                
 
                -- Portes et profils --
 
 
N'entrez pas
j'ai rallongé
les ailes de la porte
vous pourriez vous trouver 
suspendue au-dessus de vos chaussures
sans être sûre
de savoir retomber droit dedans
 
Chez moi
vous cherchez mon regard
nous allons le chercher ensemble
vous avez des fleurs ? 
alors vous savez comme on y perd ses yeux
 
Ne vous essuyez pas
la vie est là pour ça
sa brûlure en éponge
compte le nombre de coeurs
avec lequel vous êtes arrivée
vous et votre ombre à vif
pleine de votre sciure d'âme
 
Chez moi
vous trouvez votre silhouette grandie
mais souvenez-vous de chez vous 
il y faisait plus froid et plus sec
ce n'est que la dilatation des rêves 
 
N'entrez pas
puisque vous êtes déjà là
posez vos balançoires
en équilibre sur mes lèvres
et racontez-moi vos voyages  
tous vos habits de visage
passés par portes et profils
 
 
        29-01-2001
 
 
 
 
"Les cheveux de l'amant sont souvent ondulés. Tu ne vois que les cheveux. mais je
vois la courbe des cheveux. Tu vois les sourcils, mais je vois le croissant des
sourcils. Tu vois ce qui est à la surface, mais je vois la forme qui est dessous". 
(extrait de texte soufi)
 
 
 
                 -- Robe de vanesses -- 
 
 
Le Labyrinthe m'enseigne. 
Pulpe de papillon, je te parcourbe, t'émiette sur mes doigts. 
La couleur monte, allonge mes bras, complique mon corps. 
Vitrail de vanesse, ta poussière se déploie, puis tu retombes sur mon visage.
Masqué de fenêtres, paré de ta peau en éventail , j'incline le Labyrinthe pour qu'il
me rende au monde. 
Il me retient. Ses rues roulent sous mes bras. 
 
Dans la rue bleue, mes prolongements s'étouffent. Je les rentre dans mon corps, tente
de me capturer pour me redonner forme. 
Mais la couleur a muré les moules.  
 
Trois battements de poudre. Ton langage. "Il faut prendre le virage volant, tourner
vers le haut ". 
Alors, je lâche les ailes des carrefours. 
 
Jadis, tu étais un papillon-tapis, tu portais tout un peuple. 
Toutes nos légendes parlent du voyage-qui-rend-fou, celui que les plus audacieux
d'entre nous entreprenaient pour grandir dans ta trame. Nos livres t'appelaient :
"ville de la mort délivrée". 
Puis la nuit tirée d'un arc t'a brisée en milliers d'yeux, vigie de vanesses. 
Tes multiples corps regardent dans toutes les directions. 
En retombant à terre, ton cri a créé le Labyrinthe. Depuis, nous errons, guidés par
l'espoir de retisser ton langage. 
Et toi, tu nous perds et nous guide.     
 
Dans la rue rouge, tes ailes percent d'autres yeux dans l'ombre. 
Je sens l'air appuyer un peu sur ma joue. Lorsque je suis entré, j'ai choisi la Voie
du Toucher pour t'écouter.    
"Le labyrinthe saigne. Il faut laisser s'envoler les vanesses
blessées". 
 
Je suis toujours tes conseils. Dans la coupure des angles de lumière, j'arrache mes
frontières, découd mes contours jusqu'à vibrer de fractures. 
J'évide le tissu de la cité déchirée, travaille sous sa trame. 
Chevillée de chenilles, tu me cries de continuer à te muer. 
 
Dans la rue verte, les vanesses s'agrègent en craie noire. 
Je suis ton tableau blanc. A moi d'écrire. Ma bouche soulève ton tissu d'ailes sur
mon visage. 
" Robe digitale, palier de pupilles, tu es si nombreuse que le Labyrinthe lui-même
s'égarera bientôt dans tes regards". 
Pour toucher ta réponse, vigie de vanesses, je dois avaler tous tes tessons
d'antennes.       
"Retourne-moi, change le sens par lequel mon corps s'écoule, sinon les plis de la
ville morte te déroberont ta forme. Tu pourras tout contenir, mais plus rien ne
pourra plus te contenir vivant. Maintenant, plonge vers le haut. Ma sortie est
l'entrée du monde". 
 
J'ai réussi. Le dessous de tes ailes regarde vers le ciel. 
Il était temps. Au dessous de moi, déjà, les couleurs mangent les coeurs. 
 
Le masque de motifs, celui que tu avais posé pour me protéger, neige de mon visage
vers tes ailes. Comme tes yeux, elles ne sont plus que deux. Tu es rentrée en toi. 
Le Labyrinthe est mort. Maintenant, tu peux te réunir. Et moi apprendre à voler. 
Mes premières nages suspendues esquissent le partage des rues du ciel, la carte de la
future ville qui montera peu à peu de l'ancienne. 
Tu souris de mes glissades verticales et prononce la première parole de ta nouvelle
forme : "la beauté nous tue jusqu'à notre première naissance". 
 
Tout autour de moi, depuis la ville éclose, monte le frôlement d'une robe de
vanesses. 
 
    07-04-1999/26 janvier 2001
 
 
 
 
-- L'ombre de la couleur rouge --
 
 
Sous la sépulture de l'évier
la nuit est née en bout d'aiguille
bulle fendue de cris
 
Grange de grand large
évasion garance d'un envol d'alvéoles  
elle envisage de souligner ses cernes en appui
sur un manège de bras ouverts d'envie
 
Du ferment des fermoirs
en magie magenta
s'échappent s'inclinent s'enlilacent
de très savants mélanges à chanter sans épaules
corps en sommet d'éponge où fleurir l'écritoire
louanges de ces instincts ceinturés de pigments
        
Coupeur de sable en lamelles
le sel s'est fait porter malade
le jour où la mer s'est fermée de ratures
les murs lêchaient les lèvres dans la salle de réveil 
 
Depuis 
grand écart écarlate
j'ai tenté de verser du lait dans l'eau
         
Résurgences tuées
-bien plus tard, je me souvenais presque-
des marelles de momies ont vitré les arcanes  
calligraphié les fils à rougir la rosée
puis adouci nos joues d'un toucher reliure
 
J'écris la carcasse douceur 
l'enluminure à quai d'une chaloupe accroupie
le sentier coquelicot d'un souffle en bord de terre
 
Un réservoir à dieux liquides
-table d'hôte pour prières à deux pailles-
se penche sur la formule 
à retrouver l'ombre de la couleur rouge
         
                19-01-2001
        
        

 
 
 
--- Tu trouveras notre amour ...
 
 
Tu trouveras notre amour
enterré à trois pas de l'arbre
je l'ai creusé dans l'eau
démembré dans les gouttes
émietté de courant
 
Je l'ai couché là
long comme un mort à boire
cerisier du Japon
aux racines maquillées
il a ce toucher noir
et rugueux d'agonie
d'un coffre de café
 
J'ai jeté des bateaux sur la terre
des couches de coques raides
en étagères d'argile
abîmées d'artifices
j'ai tassé les étoiles
dans ma pipe à bleuir
 
Tu trouveras notre amour
dans les sangs réciproques
au croisement des oxydes
 
Notre amour te trouvera
au confluent des branches
d'un jardin retourné
 
 
        15-01-2000

 
 
"L'étoile aime l'écume et brûlera
dans cette robe grise"
(Yves Bonnefoy)
 
 
  
  -- Portrait vu à travers un rideau de ficelles --
 
 
Ce soir, on donnait un spectacle sur une feuille de
papier. La foule se pressait, les corps arrondissaient
les bords aigüs des feuilles.
Sous une pluie d'angles, j'ai capturé quelques cordes
qui gisaient en plein ciel.
 
Je marche ton portrait autour de cette table,
suspendue au toit, elle fut descendue un soir sur un
rideau de ficelles pour aller jusqu'au sol, à
l'épicentre de ton visage.
La place où tu étais assise marque midi dans cet ovale
de nuit.
Ton verre est encore vivant. Je l'ai laissé là, sur ma
bouche, comme une lampe à lèvres. Il parle ton eau et
il tourne avec moi, autour de nos chaises, au
croisement exact de toutes les ficelles du rideau.
 
Ce soir, on recouvrait mon corps de feuilles blanches
pour y sérigraphier ton visage en rideau. Le peuple
des ficelles traçait des frontières sur ma peau pour y
dénombrer des pays.
Sous une vie battante, j'ai déchiré mes élytres pour
laisser passer l'eau à travers et abreuver la table
couvée par nos mains. 
Nos mains disjointes qui se serraient de saisons.
 
La table est douce. Il en émane un portrait de
chaleur, le tien, et une fourrure de secondes. J'y
distingue à travers le rideau, ton visage imprimé sur
ma main.
 
Ce soir, frisé de ficelles, la pluie en rideau suivait
ton sourire. 
Etalées à ma place, les feuilles ne sont plus
blanches. Elles ont pris chair, rang de grains
écartés, comme un sable à travers lequel tu
soufflerais très tendrement.
 
Sous ce vent suspendu, j'écarte le rideau de ficelles
et pose mes mains sous cette table tendue au dessus du
papier.
Cette table tressée.
 
Elle a l'ovale exact de ton visage.
 
09-01-2001
 
 

"Suppose que
la pluie te raconte
qu'elle envahit la terre
 
Et que je te demande
de voir à travers moi
 
Que le soleil la gifle
et la fait remonter"
 
(Guillevic)
 
 
 
 
 -- La quadrature du coeur --
 
 
 
Prenez un coeur, surtout pas exactement rond, car il
doit toujours dépasser du soleil.
Dessinez le sur votre main, pour regarder ensuite à
travers ou donner des gifles de baisers.
 
- Qu'est-ce que tu fais ?
- Je cherche quelque chose de doux, chaud et
élastique. C'est comme ça que j'imagine un coeur.
 
Faites en un abri de grand air, un toit nu sous la
tête.
Apprenez lui à flairer la lisière de toute ombre et à
évaser le fond de toute flamme.
 
- Qu'est-ce que ça sent ?
- C'est mon coeur, je crois qu'il est un peu trop
cuit,  il va attacher.
 
Mourez, si vous ne pouvez pas faire autrement.
Tous les dimanches, Dieu pêche à la ligne, il est très
bien vu de se laisser attraper.
 
- Oui, mais ça va durer longtemps ?
- J'arrête de respirer,jusqu'à la fin du texte, on
verra bien.
 
Aimez quoi qu'on vous brise. Aimez en barreaux
d'échelles,en croche-loups, en caresse de cheveux. 
Versez vous des rayons d'eau bien mûre, fixez des
ramures de visage à la proue des cendriers. Ne lui
donnez pas d'espoir, seulement des petits bruits de
souris qui courent dans le grenier.
 
- Et moi,mon coeur,il sait sucrer le sel et saler le
sucre.
- Et moi, le mien, il sait s'enfuir vers l'autre et
crier les cachettes.
 
Vous faites des progrès, ça va vous coûter cher. Vous
tenez donc tant que ça à vivre ?
Peaufinez votre coeur. Si on est loin de lui, on doit
le sentir tout près depuis toujours. Si on est tout
contre lui, on doit éprouver la sensation délicieuse
de l'attendre toujours.
 
- Et ta respiration, au fait ?
- Oh, elle, je ne l'ai pas reprise. Je l'ai donnée.
 
 
 
09-01-2001
 
 
 
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