'Petite table enfantine,
il y des femmes dont les yeux sont comme des
morceaux de sucre"
-- Paul Eluard
-- Trois entrechats sur mosaïque --
Petite flamme dans une église de verre, tu seras la
dernière à me voir entier.
Lorsque la nuit sera tombée, je serai déjà cette
traîne de mosaïque posée sur un visage, cet éclat de
mariage éparpillé sur l'eau comme un grillage d'amour.
"C'est justement là que le chant prend place, dans ces
veines de pâleur, sous le courant de neige des mains
serrées sur la flamme", dira ton premier entrechat,
petite ligne d'eau glissée sous la porte.
Je contemplerai le feu des facettes. Ce sont les plis
des couleurs. Tes seules rides.
J'entourerai de mes yeux la main qui tient cette
flamme.
Petit songe à carreaux tissé sur un banc à moitié
immergé,tu seras la dernière à rassembler ma musique.
Lorsque la vie sera tombée, je serai déjà cette
fresque foulée, ces lèvres à peine entrouvertes sur la
mousse douce d'une épaule nue. Celle qui prolonge les
doigts en feu de celle qui vient d'entrer et prie sans
prier, sur une chaise de l'église.
"C'est justement dans ta forme décroissante que la
voix se forge une terre, sous cette arche
crépusculaire que se pose la clé de voûte du soleil.",
dira ton deuxième entrechat, petite graine de tempête
tournée dans la serrure.
Il n'y aura pas d'orgues, rien que ce prisme végétal
de rayures à remplir, rien que ces aiguillons de sève
et leur sillage d'homme imprimé dans la mémoire de
l'eau.
Je déplierai le cadeau de couloirs, ma marche
incandescente bordant la lagune d'un liseré
d'étincelles, mes yeux rivés sur le crépitement de
l'eau.
Petit craquement dans le bois de la chaise, île aux
allures de nuages en crue, tu seras la dernière à
m'asperger de ponts, quand je marcherai vers le grand
large.
Lorsque la vie se lèvera, je serai déjà un langage
sans espoir tatoué sur le dos d'un mur d'eau.
"C'est justement dans cette moqaïque de feuilles
rondes, dans ce sourire d'interstices que se continue
la lune. Lorsque tu la vois changer de phase, c'est
simplement que tu as cligné les yeux un instant",
dira ton troisième entrechat, petite joue de marée
détachée du vitrail.
Alors, elle viendra, celle qui est assise dans
l'église de verre, celle dont l'ombre est debout, ses
mains portant la nef, elle viendra regarder le monde à
travers la mémoire de mon coeur en verre soufflé
Très doucement,le ciel commencera à s'enfoncer dans la
terre.
08-01-2001
"(...)car sans cela, tout dépendrait, et nous
d'abord,du règne mortel du raisonnable et du soumis."
(Werner Lambersy)
-- De sac et de corde --
A la dernière frontière
j'ai gravité autour d'un envers lisse
le paradis de ton sourire
De sac et de corde
les horaires des chambres chaudes
Egrené dans la malle à grandir
je me suis déposé en fines couches
dans la ficelle du grenier des vagues
J'ai regardé par la serrure de mes pas
ma joue tout contre les cratères
De sac et de corde
vivant de grand chemin
06-01-2001
-- Excès de soleil --
Dans la voiture, nous naissions de rouler ensemble et
de dépasser le soleil.
Nous étions à l'arrêt, pourtant nous roulions à la
vitesse du monde.
Tu est venue sur moi, sur le siège avant, à la place
du vivant.Puis tu as relevé ta robe.Je parlais sans
accent la langue de ton ventre, tu chantais sans
fausse note la mélodie du mien.
J'ai enchâssé nos syllabes.
La Terre ne bougeait plus. Elle tournait autour de
nous et nous étions son axe.
J'étais toute l'autoroute en toi, un long riban de
pluie tiède qui venait d'être posé sur la terre.Une
averse de ryhtme pleuvait nos feux. Je brûlais, tu
fondais, puis c'étaiut l'inverse. Nos souffles
regardaieent par la vitre pendant que tu te liquéfiais
au bout de moi,pendant que je m'embrasais au fond de
toi.
Sous notre soleil,l'hiver en ruine se ravissait de
sève.
Ce jour=là, surpris l'un en l'autre dans le long ruban
gris qui ouvrait la terre comme un cadeau, nous avons
été condamnés à vie pour excès de soleil.
5-01-2001
"L'Oracle t'a dit ce que tu avais besoin d'entendre"
(Matrix)
-- Neuvième voyage --
D'abord, mon corps est mort
autour d'une table
entre deux lèvres
J'ai repris une part de tes mots
ils écrivaient: "ce n'est rien"
sur notre livre scellé de cendres
D'abord,les yeux du monde se sont bridés
et la mémoire a creusé
une galerie pour hiberner
J'ai laissé peser tes larmes sur mon épaule
tes mares obliques
roues enverses à éteindre les feux des statues
D'abord,j'ai remis le monde en ordre
un jour, une ombre de cette ville portera mon nom
en souvenir de mon neuvième voyage
Le 4 janvier 2001
-- Dix empreintes de doigts sur une vitre --
Geste
battement des cordes
un arpège allongé
fait vibrer le drap
Lignes
amarres de visage
les doigts des pensées
fabriquent le noyau du Livre
Secret
j'ai frôlé des cheveux
nageant sous la mer
ils venaient coiffer les miens
Roue
au manège des étoiles
la couleur épineuse
entourera les seuils
Nacre
une perle brûle
un collier d'étincelles
pleut autour de mon cou
Ronde
les ficelles dansent
les mains tressent
le toucher d'un chant
Femme
son épaule en rivière
où tremper des baisers
frémir la langue du soleil
Chambre
germe volubile
le corps de l'infini
dans le sexe d'une paume
Lèvres
longtemps
mes mots se sont déshabillés
pour prier
29-12-2000
-- La complainte du bourreau saisi de remords le
soir du 24 décembre --
(ou : la véritable origine du Père Noël)
(à imaginer en style rock-musette)
J'suis l'bourreau du supermarché
quand les mômes qu'ont chouré s'font choper
j'les découpe en ptit's dés
à cou-ou dre
j'frais parler un muet
un vrai coup d'fou-ou dre
J'suis l'roi d' la zigouillette à piston
et d'l'écorniflette à pompons
Mais quand arrivent les fêtes
j'me sens pus dans mon assiette
c'est plus fort que bibi
faut que j'fa-asse du bien
j'ai des envies d'paradis
et d'recoller mo-on prochain
J'suis roi d'la gégène à boutons
et d'l'étrangleuse à chatons
Alors j'ai pus l'coeur à la galipette
J'ai pus envie d'dévisser les têtes
Moi, bourreau au chom'du-u-u
J 'vais quand même pas couper des....
(ici un petit larsen bienvenu)
(et là un pont d'accordéon joué avec une ambiance de
groupe d'enfants à la cantine)
J'veux des pt'its zoziaux dans des paquets cadeaux
J'veux des enfants heureux dans le rayon des oeufs
(le pont est couvert par des bruits de batailles
d'oeufs, de petits suisses, lancés par les enfants
dêchaînés)
Alors j'dégotte un manteau rouge bien chicos
qu'à dû servir à Zézette de Monacosse
et avec ma deuche poura-a-ve
j'me pose sur les toits des minots qu'ont trop froid
et en chialant comme une pauv'na-ave
par la ch'minée j'pose des étoiles au bout d'leurs
doigts
J'suis l'bourreau-garou j'me transforme en chiffon
J'suis l'roi des coeur en accordéon
(final sur quelques notes de "Petit papa noël" avec
des bruits de verres qui s'entrechoquent)
- Regarde la mer se lever --
Regarde
tout au bout de la jetée
il n'y a pas encore de bateaux
ils dorment encore
roulés dans l'eau
ils remonteront tous ensemble
quand nous les appellerons
Les îles
ne sont pas encore venues respirer à la
surface
les gens doivent attendre quelques heures
avant de pouvoir grimper sur leur dos
Regarde l'océan
tout est encore un peu mélangé
le ciel et l'eau
rêvent dans les bras l'un de l'autre
ils ont la même couleur
le même souffle bleu perle
Dans le ciel
la première mouette borde les étoiles
elles vont dormir jusqu'au soir
Sur la plage
un enfant levé avant le soleil
construit un château d'oiseaux
Le phare s'éteint
le monde s'allume
Regarde ta robe changer de couleur
avant la mer
avant le ciel
le jour se pose sur elle
Nous avons marché longtemps
tes cheveux font le bruit du vent
regarde la mer se lever
18-12-2000
-- Une lettre posée à côté d'un verre d'eau --
On peut mourir
sans s'en apercevoir
mais ce n'est pas obligatoire
on peut mourir sans voir
une lettre posée sur sa table de nuit
la lettre d'une femme
qui vous écrit de voyage
sur le pont d'un bateau
qui pense à vous
qui vous aime
sans un mot
La femme qui vous écrit cette lettre
chérit votre silhouette couchée
votre ombre qui vit d'elle
palpitante de l'encre de sa lettre
celle qui ne vous a pas oublié
malgré l'épaisseur de vos paupières fermées
Vous aviez oublié cette lettre
pourtant à vous adressée
il y a si longtemps
le soleil étaiit encore enfant
et vous plus jeune encore
Vous l'aimez
cette lettre
vous l'entourez de soins
lui faites un nid de votre corps
et la pressez contre vos lèvres
sans un mot
et si vous ne l'aviez pas trouvée en avançant la main
pour prendre un verre d'eau
sans doute vous seriez mort
sans savoir que cette femme vous aimait
Quelle différence me direz-vous
vous que j'ai enterré hier
sans un mot
parce que vous n'aviez pas posé de verre d'eau
sur votre table de nuit
17-12-2000
-- Le tour du monde en cinq Petits Princes --
Je faisais le tour du monde par l'intérieur
ivre de schiste et de la rumeur épaisse
du dessous du ventre des abeilles
j'étais un navire chargé de magma
l'horizon était mon trapèze à plongeon
je vibrais dans les hanches des atomes
Je portais un dessin
représentant la silhouette d'une surprise
et je voulais l'offrir à quelqu'un
alors j'ai creusé plus loin
Le premier Petit Prince était un rocher
il s'appelait Manège
il tournait trop lentement pour que je m'en aperçoive
pourtant des lunes s'étaient brûlées à ses lèvres
et des enfants d'améthyste le chevauchaient
il ne voulait pas que je lui dessine quoi que ce soit
il ne voulait rien que fonder un monde
si doux que les avions ne s'y écraseraient pas
mais s'y planteraient très doucement
comme un homme dans le sexe d'une rivière
J'ai nagé plus loin
j'avais des désirs de pinceau
des couleurs chaudes à faire flamber sous l'eau
je suis arrivé à un villlage immergé
Le deuxième Petit Prince me fixait du haut d'un
clocher
il portait une ceinture d'algues et un manteau
d'écailles
il sonnait à chaque fois qu'une personne du village
tombait amoureuse
le village était vide
mais il attendait toujours
il attendait que le ciel boive la mer
il craquait des allumettes sous le bois des bateaux
les dévorait d'incendies bleus
Il ne voulait pas non plus de mon dessin
il disait qu'un jour les couleurs remonteraient à la
surface
pour respirer
et qu'elles l'abandonneraient
J'ai brûlé plus loin
mes cendres se passaient mon âme de main en main
je suis arrivé dans le désert d'une grande ville
construite au centre de la Terre
les gens progressaient de boutique en boutique
lestés de grands sacs de paupières
Le troisième Petit Prince était un reflet sur une
vitrine
il posait des mirages sur les étiquettes des prix
il m'assurait
que si je posais ce baladeur contre mon coeur
il jouerait tout seul la musique de mon destin
Mon dessin l'intéressait
il en ferait des produits dérivés
des petites lampes à tuer le temps
ou du papier toilette clignotant
je me suis sauvé aussi loin
que je pouvais m'acheter d'espace
Le quatrième Petit Prince était un vent de larmes
il disait qu'il n'avait jamais été enfant
qu'il avait grandi sous une pluie de bottes
bercé dans une serrure de prison
Il voulait bien de ma silhouette de surprise
à condition que je lui trouve des bras à redevenir
petit
un couteau à tendresse avec des baisers sur les lames
et la panoplie complète pour se déguiser en vie
il est mort devant moi
fauché par un dictateur lancé d'un canon
alors j'ai crié plus loin
en consolant mon dessin
J'ai émergé de l'autre côté du monde
les gens n'étaient pas si différents
c'est moi qui avait changé
j'avais des grains de beauté en quartz et en mica
partout sur moi
j'étais lavé par la langue de l'intérieur du monde
Le cinquième Petit Prince était une princesse
elle riait comme un rideau de perles
elle posait à même le vent
des visages qu'elle inventait dans ses paumes
Quand je suis arrivé
elle était occupée
devant une porte
au bord d'un champ de fleurs sauvages
qui poussaient au bout de ses cheveux d'enfant
la porte ne s'ouvrait que si on soufflait des mots
très doux
ou bien si on savait faire voler les parfums comme des
oiseaux
elle dessinait une ombre d'écrivain
elle se dépêchait avant qu'il rentre
pour qu'il retrouve son ombre comme si de rien n'était
et ne se suicide pas en se traitant de soleil raté
J'ai posé mon dessin dans l'air avec les siens
et doucement
l'univers s'est déposé sur mes mains
à chaque geste j'inventais un visage
et le monde a commencé à faire le tour de moi
16-12-2000
Voyage à dos de vent de violon
Dans ce pays l'ombre est un violon
son âme accrochée derrière mon dos
me parcourt comme un petit animal d'eau
Je prendrai cet avion
construit en forge de femme
Il écrasera le temps sur ses hublots brûlants
Douceur de désaccords
à peine décalés d'une vie
nos départs se touchent
s'emmêlent dans le ventre du réacteur
il est doux de se regarder l'un l'autre
sans se rappeler qui est parti le premier
nous marchons tous les deux
un bout de monde dans chaque main
fresques sans bagages
J'attrapperai ce train
ses fenêtres peintes sur le paysage
à mi-chemin entre nos deux visages
Je voyage de nuit
pour marcher autour du soleil sans me brûler
sur la route
une étoile ruinée a posé ces dés de pueblo
un livre desséché mendie dans la rue
quelques gouttes pour s'habiller de mots
Entre ses pages vit une enfant de ce pays
elle dessine sur des pierres d'eau
des arbres d'une telle beauté
qu'on les vend au marché pour nourrir les étoiles
sa mère verse le thé à même la bouche
et couvre ses épaules d'une ancre de feu perlé
sa trace continue d'onduler sur le sable
longtemps après son passage
Je lirai cette pluie en torche
ses seins abritent les cordes tendues derrière mon dos
et l'archet planté dans ma peau
Avant
je pars à dos de violon
conduire les troupeaux de dunes vers la mer
les coyotes à mes trousses
font cercle autour de moi
pour arracher quelques morceaux de musique
autour de mes os
je suis leur feu de vie pour la nuit
Mes pieds face au ciel
Je prendrai ce vent d'épines fichées entre les ombres
je boirai la note qui conduit à la tente sous le sable
Mon amour,
L'écho de tes deux bras serrés autour de moi
roule dans la montagne sans jamais diminuer
la nuit me dépouille
je brûle de froid
pour seules vivres le vent roulé comme un tapis
et l'archet d'un dieu tombé d'un arbre
je suis ce violon vagissant de sagesse
cet astre douloureux d'ampoules
Je rallumerai ce bateau
celui qui a disparu des horaires des marées
j'attendrai que l'eau soit bien accordée
et juste avant mon avant-dernier souffle
j'atteindrai la mer au centre de nous
15-12-2000
-- D'autres bords invisibles de la falaise ---
D'autres l'auront
ce sursaut de taquets dans les flancs
ce banc de brume
ou sauter assis dans le vide
D'autres s'endormiront
dans ce fauteuil
taillé en bord de chute
D'autres tomberont
de l'autre côté que celui où l'on penche
d'autres mourront en battant des ailes
râcleront les pitons d'air
Pas moi
je connais les plans du coma des avions
je sais de quelles peurs ont tremblé
les architectes au dessus du papier allongé
Je sauterai
je saute
je connais tous les bords invisibles
de cette falaise qui se prolonge
je les ai construits patiemment
en mordant le granit du ciel
Je rebondirai sur ton visage
aux bords invisibles
Je rebondirai dans les atomes d'or musqué
de ton palais de femme
écrit grain à grain
Je ris en plein vol
15-12-2000