-- Les mains coupées--
 
 
Toulouse, le 29 juillet 1998
        
 
----------------------------------------------------------------------------
   À la jeune fille perdue, croisée 5 minutes rue Jean Jaurès, qui m'a
soutenu avoir les mains coupées. Toutes mes pensées pour qu'elles
repoussent dans sa tête
        
----------------------------------------------------------------------------
        Sans doute n'aurais je pas dû prendre cette jeune fille à la légère.
        
        Aujourd'hui, j'ai un peu de mal à bouger. Je me sens...compact, comme
si mes atomes s'étaient rapprochés les uns des autres. Lorsque je tend
ma main au dessus du canal, je peine à la maintenir droite, et il me
semble que son reflet creuse un peu l'eau.
 
         C'est pour cela que je suis venu ici. L'eau verte, comme imprégnée
d'arbres,  saura sans doute m'aider à retrouver ma fluidité. 
 
        J'arrivais en haut de Jean Jaurès quand elle m'a arrêté pour me montrer
ses mains. Elle avait des ongles turquoise et des mains un peu
translucides. La lumière des feux de circulation passait à travers.
J'aimais l'idée que les mains d'une femme puissent rythmer mes
promenades.
        Main orange. Calmement, je me suis arrêté avant qu'elle passe au rouge
 
        Chaque pas me coûte un peu plus. J'ai l'impression que chaque pouce de
terre me suce. Il faut que je m'assoie. Là. 
        Étrange, le ciel me semble de plus en plus épais et l'eau de plus en
plus légère.  
 
            - Est ce que ce sont bien vos propres mains ? m'a t-elle demandé
        La question méritait quelque attention et je me suis examiné un moment.
Je me suis souvenu du sable que j'aimais enrouler autour de mes mains,
du contact de l'écorce d'un certain arbre, des marées de peau sous les
caresses. Alors, sans aucune hésitation, j'ai répondu :
           - Oui, les miennes et nulles autres au monde.
        Main verte. C'est là que j'aurais dû la saluer aimablement et traverser
le passage piétons. Mais c'est le genre de choses qu'on se dit après...
 
        À présent, je suis couché. J'ai l'impression d'être fait de briques, en
harmonie avec la ville. Au fait, pourquoi personne ne me dévisage ? Je
ne comprends pas, un promeneur est passé près de moi et a dit à sa
compagne "tu as vu, il faudrait qu'ils refassent le sol à cet endroit".
J'ai peur de ne pas pouvoir bouger de sitôt. Il aurait fallu que ça
m'arrive vers l'écluse, j'aurais pu au moins bouger en hauteur.
 
        Alors, la jeune fille a tendu ses mains
                - Moi, ce ne sont pas mes vraies mains, on me les a coupées...
        Et elle les a un peu agitées, comme si elle était sa propre
marionnetiste.
        J'ai ri. Et ses mains ont cessé d'un coup d'être translucides.
                - Vous osez vous moquer de moi ?
        Elle m'a transpercé des yeux, et son regard m'a touillé dedans, jusqu'à
changer quelque chose dans la structure intime de mon être.
                - La prochaine fois, vous ne me prendrez pas à la légère a t-elle
sifflé, en appuyant sur le dernier mot.
        Et elle a traversé, en passant au rouge. Je l'ai vu dans ses mains.
        
        Je suis bien ici. Même si je n'ai plus d'yeux, je sais que le Canal est
tout près. Je suis sûr que mes proches m'ont déjà oublié. Je ne savais
pas que les fées étaient aussi susceptibles. Peu importe ; j'aime ma
nouvelle vie. C'est une condition bien plus intéressante que la
condition humaine.
        Peut être la jeune fille passera t-elle un jour ici. 
 
               - Papa, papa, le rocher là, on dirait deux mains de pierre qui sortent
de la terre ! Papa, pourquoi t'as donné un coup de pied dedans ? Tu les
as arrachées !
                
                        4-08-98
 
 
Autres nouvelles
 
M'écrire : meliade@club-internet.fr