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"Le silence comme une pomme de
neige
ou un fruit de verre (...)
Le silence comme un lac de lilas
un iceberg de duvet"
                                                      
      (2 textes d'enfants)*                     
 
                        -- J'ai tout dit à la pomme --
 
        
J'ai tout dit à la pomme
        
tes bras vendangeurs d'étincelles
tes cheveux tombés d'une nuit trempée dans l'acajou
 
j'ai scandé les grillons violoncelles accouplés sur ta gorge
ceux qui résonnent des ailes de ta voix
 
la pomme vibrait de jus
crépitait de cristal
elle réclamait la suite
 
pomme, je vais te confier le plus incroyable
à condition
qu'aucune branche morte n'écoute aux portes
regarde bien à gauche puis à droite
vers le matin puis vers le soir
pour vérifier si on peut traverser la suite de l'histoire
à dos de feuille d'automne
 
pomme, approche toi, je vais te le dire à l'oreille
 
(ici je lui ai soufflé les ouragans de jasmin
nés du déplacement de l'âme quand tu marches
mais je n'ose même pas  l'écrire en mots
de peur que le soleil se mette à te suivre partout)
 
la pomme savait tout maintenant
elle avait pris ta saveur
s'étoilait déjà en tartes immenses
grandes comme des bateaux sauvages
ceux qui délacent la robe de la mer
Et sur le pont de la pomme
couraient des enfants rieurs
pêchant des vagues pour les ramener chez eux le soir
et les élever dans un vivier à rêves
posé sur le rebord de la fenêtre
à portée d'oiseaux
 
alors
gorgée de toi
la pomme s'est retournée dans l'arbre
comme une clé se retourne dans une serrure
et elle est née dans ma main 
 
        8-10-2000
 
* je préfère manger à la comptine :-)
 

 
 
-- Saignement de rêve --
 
 
Se réveiller
démarrer sa première pensée
faire chauffer la journée
 
J'étais bien
je marchais dans une nacelle
suspendue au dessus de la mer
je dressais la carte des îles du ciel
mais mon rêve s'est mis à saigner
sa beauté a débordé
alors j'ai sauté
 
Le ciel s'est endormi 
je l'ai bordé avec mon premier pas sur le carrelage
avec des baisers qui lisaient son visage
en lui racontant une histoire
avec des vrais morceaux de vie dedans
 
Le vent saigne en chantant
 
Le café
a comme un goût d'arrière-vie
je saute par dessus les entailles des gouttes
 
"Gravir le monde
jusqu'à la porte de la cuisine
suivre la direction de la queue du chat
et se plier en poudre
jusqu'à tenir tout entier dans la tasse"
 
Qui a laissé ce mot sur ma peau ? 
 
Rivière accrochée 
je berce une goutte
prononcée par le robinet
balancée d'arrière en avant
souffle qui te cherche
souffle qui te trouve
souffle qui te perd
 
Pour te rêver plus loin 
demain
j'irai dormir dans le jardin
 
6-10-2000
 
 
 

 
 
"d'après les fenêtres il pleut toujours
                     il n'y a personne autour à décevoir"
- Mathieu Boily
 
                        -- Paliers de lecture à mains nues ---  
        
 
        Si tu as détourné les gouttières
        Et joué aux perles à palper les lumières avides
        A tenir les toits dans tes mains
        Je ne t'en voudrai pas
 
        Si tu as fléchi les rites 
        Des coups de corne à la rivière des vies
        Pour rendre tes paupières tangibles
        Je ne sursauterai pas
 
        Si tu as écarté les stores
        Des amples soucis à labourer tes draps
        Ceux qui tiennent tes nuits encordées l'une à l'autre
        Je ne mordrai pas la terre
 
        Si tu laves à grand feu la frénésie feutrée
        De nos gangues en gloire
        Le chemin de poussière de nos verres déchirés 
        
        Je tremblerai
        Jetterai mes épaules de ténèbres  
        Et 
        Pour effiler tes doigts         
    Et raviver leurs angles à rafraîchir les fronts
        Je lirai à mains nues
        L'étendue qui gravite au revers des serrures
 
                5-10-2000
 
 

 
 
"Il y a dans le temps d'inépuisables provisions de
scondes qui ne cesseront jamais d'exister, et à
chacune d'elles, le débordement des gouffres s'avance sur les plages de
la
terre et les couvre de naissances vivantes"
        -Jean Giono, Triomphe de la vie-
 
          -- Danse de la pluie --
 
        
  Je tourne sur un manège de feu, mes doigts de vapeur
prennent matière,
jettent un manteau de peau sur le soleil. 
  Mes bras sont fumées, mon ombre rouille sur le sol,
ne me suit plus, gravée dans un monde qui n'entend pas
encore ma voix.  
  Je suis la soif des gestes. Je nage sous tes
paupières, ris dans tes lèvres et arpente mon échine,
cavalier de mon propre corps.
 
  J'attise le ventre de nos images. 
        
  À chaque battement de tes cils, des éternités
s'écoulent de moi en filets brillants, ensemencent la terre, érigent des
arbres, couchent des falaises, ornent le monde d'un
rond de sortilèges vivants. 
 
  Je dois rester bien en haut du manège. 
        
  Si je mets pied à terre, si un seul de mes cheveux
effleure le sol, le feu s'arrêtera de tourner et je serai gravé dans le
monde comme un point immobile, je percerai la terre, trouerai son
noyau.
  Plus rien ne bougera, et les flammes ressembleront à
des tours dentelées, rouges et impénétrables. 
  Je pétris mon souffle, le courbe comme un pont,
j'arque mon corps à la forme du creux du soleil. Lorsqu'elle passera sur
moi,
la lumière incurvera le temps, y tracera un ovale, celui de tes yeux. 
        
  J'entends le coeur des arbres sonner l'heure
intérieure. 
 
  Aquarelle de cloches , le chant des feuilles conduit
par l'eau se diffuse en ogive autour de ma tête, leur son se mêle
intimement à mes cellules. Je suis ce bruit sourd, émouvant dans son
dépouillement, redoutable dans sa profondeur,
respirant le moindre recoin de la vie. 
  Je cherche l'arbre qui attirera l'eau comme le fer
attire la foudre.
 
  J'effleure ton visage à la vitesse du creux des
reins. 
 
   Je danse sans jamais m'arrêter, sans jamais mettre
pied à terre, je suis le tourbillon du sang, la peau-toupie qui appelle
ta pluie, je danse à en pleurer et si une de mes larmes touche le
sol, il en jaillira des fleurs, celles que tu portais sur ton
chapeau, un certain jour. 
   Les fleurs de manège tourneront avec moi. 
 
   Je prends des risques dans mes bras. 
                
     23-10-98/3-10-2000
 
 
 
 
"The scattered pages of a book by the sea
Held by the sand, washed by the waves"
(Genesis, Foxtrot)
 
        -- Il s'est passé quelque chose ici --
 
Il s'est passé quelque chose ici
Une rose trémière s'est retournée dans son lit
Les draps tirés ont découvert le monde
Il est tout nu maintenant le monde
La lumière marche à même sa peau
Le vent qui le traverse
Se charge de sons étranges
Comme une caravane de voix attachées l'une à l'autre
 
Un vol de souffles tendus comme un arc
Traverse ma poitrine
Toutes mes mains te regardent
 
Il s'est passé quelque chose ici
Ou bien quelqu'un a repeint la vie avec des parfums
Des longs parfums décolletés
Des fragrances aux hanches délacées
Je ne reconnais plus les angles de l'horizon
Il s'est habillé en robe du soir
Une robe de dunes faite de nappes de chaleur
Une robe de cheveux et d'algues 
Qui palpite à même le coeur
 
Le soleil marche sur les bulles du sable
Je traverse la tempête de cris
Sur le fil de la fourrure d'un renard des sables
Tous mes yeux te caressent
 
Il s'est passé quelque chose ici
La lune rampe comme un chat sous une porte
S'allonge comme une feuille d'eucalyptus
A dos d'étoile
Je traverse un chant hérissé de corolles
Quelque chose est venu ouvrir des fenêtres dans la terre
Une sorte de rayon de vent
Qui soulève les bras de l'horizon
 
L'eau dans les grains du sable
Me demande d'où je viens
Mion rêve lui sourit
Tous mes pas te marchent
 
30-09-2000
 
 

-- La colère est une bouilloire morte --
 
La colère est une bouilloire morte
Sur la plaque
Chauffée au bleu
L'eau des yeux disparaît
Bue par le feu à lécher les vies
 
Je ne l'écoute pas
Essuie son écume d'un revers d'amour
Autour de la cuisine
J'ai tendu un drap
Pour que la vapeur aigre se voie fantôme
Courant après sa queue
 
Le rire des yeux déborde
Se sauve en sifflant
Les enfants se passent les gouttes
Chauffées au bleu
Je les aime comme ça
Les enfants lanceurs de torrents
 
La nuit, ils se glissent sous le drap
De la cuisine
Dessinent des yeux sur la bouilloire
Elle peut enfin pleurer
Pleurer la soif brûler le drap
Vivre
 
Relié en ronds de fumée
Un livre s'échappe
Par l'âme de la bouilloire
 
Les enfants jouent à la mémoire
 
Sa colère en lambeaux
La bouilloire siffle des enfants par sa peau
Chauffée au bleu
Elle prépare le ciel pour le goûter
 
28-09-2000
 

 
Ils s'en allèrent dos à dos
oubliant 
qu'au bout de la circonférence
ils devraient à nouevau 
se faire face
-- Mimy Kinet                           
 
A toi, à qui je pense.
Simplement et infiniment, pour toi. 
 
                -- Papier à vivre --
 
Je me suis lavé à la bougie juste avant de me
réveiller. Vétu de cire chaude, j'ai regardé en l'air.
Les cheveux du ciel avaient un peu poussé et gravaient
des chansons sur la cire autour de moi.  
        
Je voulais boire tes larmes, les essuyer au soleil.
Mais tu fermais doucement ma bouche.  
 
J'aime penser à toi au début du jour. J'aime te voir
quand il n'y a
encore qu'un demi-soleil. Et faire l'autre moitié
moi-même.  
        
Aujourd'hui, sur le papier à vivre, mon rôle disait
"Intérieur Vie. La scène se passe dans une salle de
vérité".
Ces nouvelles salles avec les écrans qui saignent, des
puits mouvants et
humides où s'installer et des tailleurs de happy end
qui arrivent jusqu'à vous par les gouttes au bout des
mèches et prennent vos démesures. 
        
Tu seras là aussi. Tu es partout où je suis. 
        
Quelques épaisseurs de nudité autour de ma peau, je me
suis bien calé sur les accoudoirs du puits. La
projection a commencé. Le rayon à images et à paroles
entrait par les pores de la margelle. 
        
J'ai compris. Ces fameux nouveaux écrans, c'est nous,
nous dedans.  
        
En première partie, il y avait un documentaire de
Méliès. Il parlait de
la lune qui marchait sur toi. 
Si les vivants étaient déjà nés, ils auraient parlé de
trucages, se
seraient bouchés les oreilles avec du bruit. Je les
connais trop bien. Ils aiment jouer à nous,
insonoriser leurs
corps avec des boules qui-est-ce,  mais le résultat 
ne nous ressemble
pas du tout. 
De toute façon,  à cette heure-ci, nous étions encore
tous du côté
immergé, donc tout le monde croyait tout le monde. 
        
Dans la rue, les ouvriers réparaient les fils à nuit.
Il y avait eu une anti-panne. Il n'y avait plus que de
la lumière, plus personne ne mourait et ça commençait
à faire désordre. 
Une tempête de vie levait de nouveaux arbres. Des
nuages de graines volaient dans le ciel. Furtivement,
l'un d'eux avait pris forme de toi. 
        
Le film s'appelait "la revanche des feux étanches".
Les héros se pousuivaient en roulant à berceau ouvert.
Quand ils se rattrapaient, ils sortaient leurs âmes et
se donnaient la vie. Je sentais les baisers des
personnages autour de ma langue et réciproquement. Les
bougies brûlaient à flots.  
Cela ressemblait à ma vie, sauf que c'était mieux
monté et que le héros
ne manquait aucun rendez-vous. 
Je te touchais. 
        
Mélangé aux perles de l'écran, mes mots enroulés à
ceux du dialogue,
j'ai continué  de nager dans le papier à vivre.
Les ouvriers à nuit sont resdescendus de moi.
Impossible de casser lesfils, impossible de
t'éteindre. 
J'ai été déclaré zone émerveillée. 
        
Je suis sorti de la salle par le fond du puits et je
t'écris sous des trombes de bougie.
        
  2 janvier 2000-26 septembre 2000
 

       -- Diverses tailles de tocsins -- 
 
Les taches de peau sur les robes des gargouilles
Résistent par touffes
Au frottement énergique des joues du ciel
 
Des hommes viendront ce soir
Ouvrir les capots des cierges
Ovales de pierre en panne
Depuis hier
Les visages des anges refusent de démarrer
 
Derrière leur dos
Je dénoue déjà les verrous des purges
Pour gagner 
Quelques centimètres de chair
Je veux sentir sur la langue
Ce baiser âcre
L'asile pointu du bout d'un noyau d'olive
 
L'ensevelissement des jus n'aura pas lieu
Moi, tissu de tocsin
Je suis ce drap tendu sur la fosse à marées
Ce lavoir à linceuls
Sous un soleil rincé
  
27-09-2000
 

 
 
"En travers du chemin
Plane sur le talus la luciole engourdie
L'eau coule par les veines de la pierre"
(Li-Ho, vers l'an 800)  
 
                                -- Par quatre chemins --
 
 
        Au nord de l'âme 
        Une île d'eau 
        Sur nos mots de terre pâlie
 
        Un drap tordu par la pluie
 
        Dans tes yeux 
        Les gouttes fendues
        Balançoire du soleil 
 
        L'araignée tisse l'étoile de nuit
 
        Une corde autour du ciel 
        Pendu à tes lèvres 
        Le soleil va sauter 
 
        À l'est de l'âme
        Sueur en prière 
        La pluie vient croquer la lumière 
 
        Les mots sur tes joues 
        La coulée d'encre 
        Amarrée aux commissures des cris
 
        A l'ouest de l'âme
        La corde 
        Un grappin lancé sur le bruit
 
        Je saute entre les gouttes 
        Pour jouer à la vie
 
        Au sud de l'âme
        L'ancre 
        Se balance 
        Sur un ciel volé à la suie 
 
                22-09-2000
  
 
 
-- Suivez mon doigt --
 
 
 
Suivez mon doigt
Regardez vers votre gauche
C'est votre dîner de ce soir qui vous parle
Vous savez bien
Celui qui est dans un emballage bleu
Comme un ciel de chambre d'enfant
Mais sans les arêtes
Ni les orages sous l'emballage
 
Quoi
Vous ne saviez pas que les petits plats ont une âme ?
Il faut pourtant beaucoup d'abnégation
Pour se laisser ainsi mastiquer
Et aussi l'envie de la trace de vos lèvres
Et aussi l'espoir qu'une petite miette de moi
Tombera sur votre ventre
Juste au creux du nombril où je m'enfouirai
 
Mais ce n'est pas encore l'heure
Pour le moment j'ai pris la liberté
De me promener un peu dans le tableau
Celui qui représente votre arrière-grand-tante
En train de poser avec des indigènes
D'ailleurs, il ne faut pas que je m'éternise
Pouvez-vous me rappeler ma date limite ? 
 
Bougez mon doigt
Recréez ma main avec votre faim
Vous savez, avant
Je courais dans la savane
Les oiseaux dansaient sur mes épaules
 
Vous m'auriez aimé à l'époque
Je veux dire pas seulement avec votre estomac
Même quand j'honorais ma fiancée
Les oiseaux restaient sur moi
Quelques inclinaisons d'ailes pour l'équilibre
Et le tour était joué
La seule chose c'est qu'il faisaient des commentaires
Et qu'ils me picoraient les fesses quand j'étais trop pressé
 
Et puis je ne sais pas
Des fusils m'ont attrapé
J'ai rebondi dans la terre
Ah, c'est votre mari qui tirait ? 
Il est bien avancé maintenant
Même si je suis tout carré
Et couvert de chapelure
Vous allez décrocher le tableau
Et me verser dans une poële
Où je vais frétiller de chaleur
Nous allons vivre un grand moment
Rien qu'à nous deux
 
J'aime quand vous mangez nue
Cela donne une saveur particulière à ma chair
Comme si vous regarder
Me donnait meilleur goût
 
18-09-2000
 

 
-- Frères d'eau --  
 
J'écoute avec ma bouche
Les cris des doigts sur les cailloux
Une pierre tremble un peu sous mes lèvres
Je la fais respirer hors de l'eau
En équilibre sur mon souffle
 
A terre
Des femmes se noient dans l'herbe
L'une d'elles a lancé la pierre 
Et le ciel est entré par mon front
 
Les veines blanches sur la pierre humide
Sont une lettre à ma main : 
 
"Ceux qui sont passés ici hier
Sont nos frères d'eau
Ils ont aimés plus vite que la rivière
Plus largement que les bras de toutes les femmes des rives
Cousues l'une à l'autre
Ils coulent devant l'eau 
Ils coulent à la vitesse des étoiles
Trempées dans les troncs des arbres
Venues faire leurs nids
Dans tes mains mouillées"
 
A terre
Des femmes froissent les rives 
Elles font le plus de bruit possible
Dans un étau en ongles forgés
 
La pierre sur ma tête
Je nage plus loin
Le mouvement des bras
Trace la suite de la rivière
Le désir de la source d'inonder la mer
 
L'eau me rêve et je suis sa pluie
Sa vapeur en plein midi
Je rafraîchis le tronc des arbres
Désossés par les brûlures des sorcières
 
A terre
Des femmes tressent des gangues à soleils
Déjà fendillées avant d'être nées
Elles tombent de leur peau
Elles n'ont pas pied dans le ciel
 
Des oiseaux se posent sur la pierre
M'allègent
Chantent la main qui a tenu la terre
Toute entière
Avant de la lancer sur mon front
 
L'eau bat mon sang
Le tamise le récolte l'assouplit
Le fleuve à le goût d'une goutte de cannelle
À l'intérieur d'un sexe
 
La nuit est tombée
Je dors dans un arbre
La terre fumante
Versée dans ma gorge
Boit ma peau et s'essuie sur mon âme
 
Sur les rives des femmes
Des oiseaux viennent nager dans les marmites
Où elles préparent le lever du prochain soleil
 
Posé sur ma tête, 
Un caillou parle avec mes lèvres : 
"Demain, nous serons plus près de la mer
Cette nuit
Tu es une étoile
En équilibre sur une feuille
Ecoute avec tes mains
La liqueur du bourdonnement de la terre
Quand ses tempes distillent l'orage. 
Frère d'eau, 
Écoute les visages des pierres
Coulant vers la mer
Ce sont les barques de la lune
Venue planter ses rêves
Tout au fond de nous "
 
Kalankoë, 14-09-2000¨

 
-- Mon envie -- 
 
Cette envie posée sur la table
Je ne sais même pas si elle est à moi
Ou aux oiseaux qui partent vers le sud
En laissant des petites traces sur la fenêtre
Avec leurs pattes
Pour que je les imprime dans la buée
Et les conserve dans des flacons de pensées
 
Si, 
Je crois bien que c'est mon envie
Il me manque un petit bout de moi
Dans mon ventre
De la forme d'une oreille de chat
Ca donne un sourire bizarre à la journée
Et l'envie de marcher longtemps
De jouer des tours aux passants
En leur faisant croire que je pars aussi là-bas
Avec les oiseaux
 
Je voudrais leur demander leurs envies
Pour voir si elles ressemblent à la mienne
Et rire sous la lumière
En appuyant sur les sonnettes des roses trémières
 
C'est une envie qui donne envie
Envie d'aller boire avec les oiseaux
Au bord du lac Tanganyka
Et de m'accrocher au cou des girafes 
Pour qu'on puisse me voir de loin
Ou au moins en avoir envie
 
Mon envie
Je la reconnais maintenant
A ses motifs
Elle est bien assortie
A la couleur du ciel aujourd'hui
Couleur d'une table rêveuse
Au temps où elle était un arbre
Penchée sur le lac Tanganyka
Avec mes oiseaux dans ses bras
 
Ce soir
Je lui dessinerai des jambes
À mon envie
Pour qu'elle puisse marcher toute seule
Et aussi deux oreilles de chat
Mais là, 
Même si vous en avez envie
Je ne vous dirai pas pourquoi
 
 
Kal,ankoë 13-09-2000
 

 
 
-- Despues mi media muerte * --
 
 
Après ma demi-mort 
J'ai posé sur le fleuve 
L'ancre sépia d'un baiser 
Une ombre assise dans une tasse de thé 
 
La muerte tiene manos 
Bailan en el agua ** 
 
Après ma demi-mort 
Transi d'étoiles 
Parallèle au fleuve 
J'ai croqué la lune rouge en marchant 
 
La vida se canta 
Con labias mojadas *** 
 
J'ai mis les petites morts dans les grandes 
Despues mi media muerte 
Le fleuve et moi 
Partons brûler la mer 
 
Steph 
Toulouse, la Daurade : le 09 septembre 2000 
 
 
* : après ma demi-mort 
** : la mort a des mains 
elles dansent dans l'eau 
*** : la vie se chante 
avec des lèvres mouillées 
 

 
"Et nous allions, nous allions comme 
deux aveugles tirés par le chien de l'amour."
-- Renée Brock  
 
 
                --  Nés rouges --
 
 
Tu marches, j'expire. Je marche, tu inspires.
 
Clowns sur la piste de transe. Poupées météores avalées par les robes
ouvertes des femmes. Deux danses sur les langues tressautantes des
rieurs. 
Des frondes grondent dans nos ventres, petites vies élastiques roulées
en fleur dans nos poches trop grandes. 
 
Nez rouges suspendus aux trapèzes, nous lançons nos ombres contre la
toile du chapiteau, jusqu'à ce qu'elles cassent. 
 
Vous riez, nous vivons. Vous vous taisez, nous mourons.
 
Nous marchons sur le sable défait, nous courons à l'envers des lits
froids, assis sur les échardes des cabanes, plantés dans le sexe de la
lune. 
Nous avons coulé jusqu'à vous depuis la ville, par les caniveaux, portés
dans les gueules des chiens, propulsés par les poitrines des femmes. 
Nous tétons vos regards. 
 
Notre désert est fait de tables mouillées, de mousses de bière soufflée
par les lèvres d'une enfant qui rit, d'arbres d'ici, feuillus, gorgés de
petites nervures d'océan. Des pélerins emmitoufflés de lumières au néons
et de matières sans odeur.  
Notre désert s'étend jusqu'à votre appel. 
 
Nous levons les bras, vous volez. Nous glissons, vous tombez. 
 
Rien d'autre que des pélerins nus, des masses de glaise s'effilant peu à
peu sous la ciselure du soleil, la piqûre du sang sous nos pieds,
l'écorchure des crevasses du vent. 
Petits enfants dans un monde tellement plus vaste que nos bras tendus.
Le temps nous déshabille, nous épluche, les ongles des gradins
dénoyautent nos âmes. 
Nous sommes les danseuses nues que les enfants ont le droit de regarder. 
 
Votre rire. Un peuple qu'il faut arriver à réunir, puis coller son
visage sous le notre.
Pour enfin, un jour, regarder. Si notre visage va bien à celui du monde,
nous le pourrons. 
 
Vous nous aimez, nous grandissons. Vous nous oubliez, nous vous
inventons. 
 
Venez voir nos têtes plantées dans le sable de la piste. Venez tracer
des cercles avec vos lèvres autour de nos corps granuleux.  
Nous jouons des histoires vraies.  Histoires de plumes et de
plombs. De lunes bouillantes enchâssées dans des corps d'oiseaux. D'une
étoile cyan sertie dans le verre d'une larme. De flammes
versées l'une dans l'autre, d'âmes enlacées, enroulées en ruban de
cadeau. 
 
Nos cadeaux changent vos vies en or. 
 
Nous nous ouvrons, vous dansez. Nous nous refermons, vous vous couchez. 
 
Vos regards sont notre vitrail. Votre rumeur qui ondule est la rosace à
voir à travers la vie, tournant sur nos ventres. Cadeau à regarder à
travers, couleur à bleuir, rougir, verdir la lumière du soleil.  
 
Il est interdit de nous caresser. Des barbelés sont distribués à
l'entrée, embuant vos mains pour qu'elles ne puissent pas nous toucher. 
Mais nous nous aimons. 
 
Nos âmes coulent le long de nos corps de clown, 
Les enfants nous prennent pour nous passer de main en main, nos corps
couchés viennent doucement dans leurs paumes qui applaudissent,
remontent les
gradins, gravissent l'escalier de mains et de rires aigus, jusqu'en
haut,
tout en haut du chapiteau. 
Nos corps adhérent à la toile, s'y entremêlent. Fibres croisées de
sueurs. 
Leurs mains attrapent leurs têtes, les retiennent pour qu'elles ne
s'envolent pas nous rejoindre. 
 
Maintenant, nous vivrons là, couchés sur la lumière des yeux brillants
des enfants. 
 
Nous naissons, vous applaudissez. Nous mourons, vous vous faites
rembourser.  
 
Nos corps s'émietteront au dessus de vous, poudre luisante dans le
faisceau du grand projecteur, nous neigerons doucement dans les cheveux
des enfants, leur cheveux couleur clown tombant sur leurs joues rouges.
 
Je ris, tu me dessines. Tu pleures, je te colore. 
 
2-8-2000 -

 
- L'oiseau-dièse --
 
 
Je suis l'enfant posé sur une patte
La dernière touche de ton piano
La plus proche du ciel
Celle qui enroule les nids autour du soleil
 
Chacun de mes oeufs a une couleur de ton vitrail
Celui dont tu t'habilles la nuit
Pour qu'un rayon de lune
Révèle les rosaces de tes seins
 
Il y a longtemps
J'ai creusé à moi tout seul les cratères de la lune
Je t'y cherchais partout
Tu sais, à chaque fois que je suis mort
J'ai inventé une nouvelle couleur
Et pondu une nouvelle touche
 
À chaque mort
Des fleurs me suivaient en procession
Prenaient les mesures de tes épaules
Pour ajuster la taille de mes ailes
 
Je suis un oiseau posé sur ton reflet
Tu regardes mon ventre qui tourne
Pas plus gros qu'un pétale
Tes cheveux jouent sur les touches
Une Gymnopédie de Satie
 
Je suis l'enfant de la gouttière
La musique qui chante en arrière
Juste une ombre assise sur ta chaise
Une bulle dans le ciel, un cratère de vitrail
Un glissé de doigts sur ton ventre qui joue
 
Tu peux prolonger le piano d'une touche
Je suis l'oiseau-dièse posé sur ta bouche
 
30-07-2000
 
"Je ne sais pas où va mon chemin 
Mais je marche mieux 
Quand ma main serre la tienne" 
(Alfred de Musset) 

 
-- Petites notes à lever le couvercle de la nuit -- 
 
Un reflet bleu sur un piano noir 
La terre tourne et s'éteint le soir 
Dans la nuit trop claire 
Ma voix lève le couvercle 
Les pieds trempés dans une touche 
Celle d'une note grave 
Celle de ton sourire de basse profonde 
 
Ne ferme pas ton ventre sur mes paupières 
Je veux garder le chaud du noir 
L'ancre bouclée d'un de tes cheveux 
Autour de mes doigts 
Pour m'arrimer à toi 
 
Tu penches ton visage 
Tes lèvres allument 
Une vie soufflée dans du verre 
Un ciel forgé 
Des cailloux d'ombre mouillée 
Qui roulent en écrivant 
Des opéras pour becs d'oiseaux 
Le chant d'une fleur au soleil 
 
L'or extrait de ton sang 
Prolonge la vulve du miel 
 
D'un mouvement d'épaules 
Tu déchires le revers de l'oracle 
La partition des sorcières 
Les bulles, les phylactères de pierre 
Qui montent la nuit 
Au dessus des cimetières 
 
Un de tes cheveux vient dénouer mes lèvres 
Ton reflet nu sur le piano 
S'approche 
 
Ce soir, j'ai mis le feu aux anges 
Et personne 
Plus jamais 
Ne pourra venir la nuit 
Me souffler comme une bougie 
 
Tu ouvres les draps 
Et la mort cicatrise 
 
29-07-2000

 
"De toutes mes forces, je me précipite vers plus tard" 
(lettre de François à Léna dans le film "l'année de l'éveil") 
 
-- Le piano à devenir -- 
 
Un piano juste devant l'eau. 
Il est là pour plus tard. Posé d'avance, humide, avec encore
des traces du sang de la mer, de l'écume de ventre, mais
pouvant s'échapper d'une ruade et nager seul, voile noire et
laquée faisant claquer ses arpèges. 
 
Mes mains l'apprennent. 
La marée monte, mon corps brûle et remonte tout entier au
bout de mes doigts. 
La marée descend, mes mains maigrissent, prennent un profil
de fissure. 
 
La nuit, les étoiles tournent sur mon corps noir, sauf la
polaire, sertie dans mon nombril. 
La piano rêve, et au large, des bateaux se jettent du haut des
hommes. 
 
Un piano sur la plage. Organique, faisant corps avec le joueur,
avec moi, couché de tout son long sur lui, entrelacé à ses
cordes, ses doigts mêlés aux touches. 
 
Les étoiles tournent dans le ciel laqué 
Je saigne des dièses et des bémols. 
 
Le piano se courbe, se cabre, demande la parole, tousse des
harmonies, désaccorde les vagues. 
Je salue et vais allonger mon corps en sourdine. 
Couché, je construis un chateau de vagues. 
Dépassant à pein du sable mouillé, une graine rose aux lèvres
pleines, aux cils en touches noires et blanches. Le piano dit
qu'il l'a oubliée à l'intérieur d'un grain de sable. 
 
Ses appels pour sortir baguent mes doigts de cercles
fantômes. 
Air de mystère. "C'est un jeu très sérieux" explique la graine. 
 
Le piano répond en traçant une nocturne de Chopin sur le
sable. 
À l'entendre, devant la mer, nous ressemblons à ces cornes
de 
brumes qui savent et qui cherchent en même temps. 
 
Dans les ruines de la plage, j'ai trouvé la photo d'un piano
corné et des débris de doigts d'homme. 
Et une drôle de graine, à touches noires et blanches. 
 
"Bientôt l'aurore" disent mes paumes qui dépassent du sable.
 
 
Musique de plus tard, quand le piano rosit , la peau de la mer
se lève sur mon corps. 
 
26-01-99/29-07-00 
 

 
-- Les gouttes --
 
 
J'écoutais le robinet de la salle de bain. Il me
vidait lentement. Je ne l'avais pas fermé, exprès. Les
gouttes se retournaient dans mon lit, toujours de mon
côté.
 
Il était tard, je fermais les yeux, il était cette
heure de la nuit, cette heure sans survie où la voix
rend un son terrible,  semble éclater. J'attendais une
goutte particulière. Celle qui ressemblerait à une
femme qui vivait de l'autre côté du monde et en plein
milieu de moi. J'attendais la goutte qui la ferait
venir à travers les tuyaux. Je la devinais déjà, en
transparence, ses mains pressées contre la paroi
d'eau, son corps tournant comme une roue au milieu de
la goutte. 
 
Quand elle ne venait pas, je rentrais les épaules,
jouais à me faire peur, jouais à attendre, des fois
que quelque chose passe au dessus de moi, me frôle,
m'enveloppe et vienne me prendre, m'aspirant par la
bouche du robinet, me propulsant par les canalisations
à la rencontre de cette goutte. 
 
Tout près, la télévision avait toussé lontemps les
images distraites des émissions de la nuit. Emissions
sur la chasse, avec des chiens même pas maquillés qui
oubliaient leur texte. Séries tournées à la hâte avec
les fenêtres des appartements dessinées à même le
corps des acteurs. 
Mais lorsqu'elle avait vu mon expression, la
télévision s'était éteinte toute seule. 
Je préférais écouter le robinet.  
 
Régulier comme le battement d'un coeur, il égrenait
des nouvelles puisées là-bas. Son eau avait le goût du
 
dos du monde, celui de l'autre versant de mon
mouvement. Elle avait coulé lentement le long de sa
colonne vertébrale, pris l'odeur de sa peau qui
dormait aussi, au bout de moi. 
Souvent, je sentais ses pieds toucher les miens et
nous étions une longue pensée allongée, une goutte à
deux têtes. 
 
La persistance rétinienne des spots publicitaires
animait mes paupières. Une goutte, un mouvement de
chevelure. Un autre goutte, le rond doux d'une épaule.
Entre deux, quelque chose se roulait en boule dans mon
ventre, partait, revenait, un peu comme ces néons
d'hôtel dans les films. 
J'étais de passage en moi, j'avais rêglé la nuit
d'avance. En me réveillant, j'allais prendre soin de
plier méticuleusement les draps à la forme de son
corps. Ensuite, je partirais en descendant les marches
à la nage. 
 
Une à une,  les gouttes me couvraient les yeux, et
c'était bon de ne plus avoir à regarder, de ne plus
avoir à compter les espaces vides entre les soleils. 
Plus rien ne se couchait. Plus rien ne se levait. Sauf
moi. Désormais, je rêglais la marche du monde. 
Parfois, je tardais, volontairement, pour que le monde
désire mon lever, me regrette, m'appelle, me secoue
dans mon lit, m'enlace en appuyant ses lèvres sur ma
peau.   
 
Pendant ce long temps passé à respirer de moins en
moins souvent, je construisais des tentes de
mouvements, des auvents de peau. 
Ils abritaient les gouttes, toujours plus nombreuses,
si nombreuses qu'à présent, elles recouvraient aussi
le robinet. 
 
Je ne l'entendais plus couler. Je sentais monter sur
mon corps, lentement, les deux gouttes des deux côtés
du monde, mêlées, désormais impossibles à distinguer. 
 
19-07-2000

 
 
		 -- Saison sèche --
 
Il y eut une longue saison sèche.
Nous plantions des hérissons à marcher en douleur, des
murs à coupures toujours fraîches, des tesssons de
signaux à écorcher les pieds de nos vies. 
Je te lançais de la poudre à pleurer, tu m'envoyais
des cartes noires pour plier la vie, tu me clignotais
des lieux d'égarement. 
 
Quand je voulais ouvrir une de nos portes, je clouais
une feuille dessus avec mon souffle en fléchettes. Je
te présentais mon coeur par le bout pointu, et je
touillais ta vie dans le sens inverse des aiguilles
d'une montre. De mon langage de déchirure, de mes
caresses à rebours, je traçais des angles et des
arêtes sur le papier, et je croyais que c'étaient des
lettres. 
 
Entrechoquée de clochettes à fausses notes, tu
retirais mes mots à aspirer l'amour, les déracinais de
ta peau, comme des sangsues de pointes sèches, et ton
sang poussait des cris brefs, dressait une longue
digue de carbone devant nos vents à respirer ensemble.
 
 
Nos gestes glissaient les uns loin des autres, comme
des patineurs décalés. Comme deux danseurs de tango
s'étreignant ensemble en deux temps différents, l'un
glissant d'hier, l'autre bondissant de demain. 
Je ne voyais pas tes cheveux se tordre de douleur, je
ne voulais pas savoir danser la vibration aigüe des
mêches de ton ventre, brûlant sous mes vrilles. 
Je t'aimais à te traverser trop vite, comme un cerceau
de glace, mes poings fermés sur ton coeur. 
 
Un soir, je me suis réveillé. 
Il y eut un printemps de nuit, des évasements humides,
des entrechats verts phosphorescents. Une pluie de feu
doux avait fondu les forges à noircir nos visages. Je
me suis retrouvé tout près de toi, à ne plus savoir
nous compter et une mousson d'anges rebondissait sur
nos plaies, délivrant nos crevasses.  
 
J'ai tendu ma peau sur un fil, je l'ai étirée au
maximum de sa longueur pour que tu puisse la voir de
n'importe quel endroit du monde. J'ai dessiné un
immense baiser sur une plage pour que tu saches que
j'avais retiré tous les clous de mes lèvres.
 
Les fleurs que je lançais en l'air germaient en plein
vol. Un jour de grand froid ou simplement un jour de
sourire bas, tu pourrais t'habiller de leur pollen. 
 
Puis je suis sorti respirer la terre et j'ai arrosé
cette pluie plantée, ces feuilles de rivière. 
J'ai décloué les rimes d'encre tranchante, dénoué les
crochets de cris, puis j'ai caressé nos portes,
longtemps, doucement. 
Et j'ai jeté à terre la saison sèche. 
 
Dans la tiédeur humide d'un même rire sur nos lèvres,
j'ai compté les gouttes qui se déversaient de nous,
sans en oublier aucune. 
 
Maintenant, tu peux marcher. J'ai pavé de lèvres
douces toutes les routes de ce monde 
 
17-07-2000
 

 
 
 
La fraîcheur de la rosée les ouvrait 
Comme un secret qui se serait divulgué en paroles" 
-- Al Bouhtouri, IXeme siècle 
 
			-- Calligraphie de terre -- 
 
 
 
J'écris avec mes pieds 
J'écris à tâtons 
La nuit épaisse de terre 
J'écris les poussières rondes qui enterrent mes mains 
Miette par miette 
Elles s'agitent pour faire signe 
Au fossile de la sève 
 
Je marche 
L'or lent d'une étoile 
Versée sur mes joues froides 
Une pluie de salamandres 
La gangue de miel rêche 
d'une coquille de soleil 
 
Tombés dans les crevasses de la lune 
Mes rêves 
Tournent sans savoir dans quel sens 
 
J'invente 
Des cheveux noués par le vent 
Les barreaux de baisers d'une nuit à échelle 
J'invente des océans qui s'aiment 
Dans un grand verre de sable 
 
Ma trousse à pleine lune 
S'ouvre sur un visage 
Pas plus grand qu'une larme 
Sa bouche m'encercle de soie 
Ouvre les pans de ma peau 
 
Je danse le corps reptile d'un grand arbre d'amour 
 
28-06-2000

 
 
			-- Famillle de coeur -- 
 
 
Vous êtes trois, parfois plus, souvent une infinité de visages
autour de moi. Ceux qui marchent sur les quais, les soirs où
je rentre de vous, les nuits de glissade où j'ouvre la porte qui
donne sur l'air. Tous les visages ont votre expression, tous
les pas ont votre pas. 
 
Quand je vous croise, les jours de plein coeur, je ne sais
jamais si je vous reverrai un jour. 
J'ai appris, j'apprends, j'apprendrai à relier goutte par goutte
le fil de vos fleuves. J'aime marcher vos lieux. J'aime
m'asseoir à des tables vides que je peuple de vous. 
 
Les lendemains, j'inscrivais, j'inscris, j'inscrirai l'incarnat d'un
cheveu effleurant une lèvre qui me regarde en face. J'habillais,
j'habille, j'habillerai de robes à fleurs les feuilles que vous ne
verrez jamais. Celles où je vous dessine, seul, un crayon au
bout du coeur. 
 
Et dans le train qui a votre rire, je pense déjà au prochain
jour, celui où nous nous reverrons toujours. 
 
26/27-06-2000
 
 

		-- À la verticale de l'été -- 
 
 
Le cortège progressait sans combat, le long de la montagne.
Pierre par pierre, des avalanches roulaient vers en haut. Amis
de corde, ensemble, des hommes défilaient l'un au dessus de
l'autre. 
 
Leur bras touchaient le soleil fossile des à-pics, leurs joues se
chauffaient aux reflets en chute libre. 
Sur le flanc de leur souffle, ils posaient des pitons. 
 
Dans leur sac à dos respiraient des papiers. Leurs enfants,
leurs soeurs, leurs amants, leurs mères et les myosotis de
leur jardin, tous leur avaient donné une feuille pour qu'ils
l'emportent ensemble, en haut, pour la faire lire au ciel. 
 
Les souhaits grimpaient avec les hommes, au rythme des
gouttes de sueur qui montaient doucement, de leur ventre
vers le sommet de leur tête. 
 
"On voudrait des écoles en pente où on apprenne à déplier
les doigts. Des cahiers sans face Nord à décompter le
rebours des morsures. On voudrait des dos sans cadenas,
des corps doux à entourer debout, de grands verres de
peaux en velours sur nos lèvres. Et des arrosoirs qui ne se
couchent jamais le soir." 
 
Les aigles lisaient ces grappes d'hommes ascendants,
retournaient à leur nid et se réjouissaient : "voilà enfin des
hommes lents. Des mains sans becs pointus à déchirer les
chairs. Regardez les embrasser la montagne." 
 
De temps en temps, ils croisaient d'autres hommes qui
redescendaient déjà. 
À dos d'épaule, ceux-là ramenaient les sommets des
montagnes dans les vallées, pour en arrimer un au coeur de
chaque ville. 
 
Bientôt, on y verserait les enfants, c'est à dire nous tous, on
les poserait là, à la verticale de l'été, tout en bas du monde,
pour qu'ils apprennent à regarder à hauteur d'homme. 
 
25-06-2000 

 
		-- Papillons de saison -- 
 
Je t'écris des papillons pour qu'ils te caressent la joue. 
 
Je pourrais t'écrire des méduses brillantes, animer leur corps
d'étoiles d'eau. 
Je pourrais t'écrire des requins-fleur, les faire passer au
dessus de nos têtes levées. 
 
Mais aujourd'hui, c'est l'été et, en creusant la mer, j'ai trouvé
une source chaude à papillons. 
 
Au moment où tu liras ma lettre, ils bougeront leurs ailes. 
Elle vivra par leur mouvement, leurs battements de couleur. 
Quand ils dorment sur les arbres, les ailes des mots sont
pliées. 
Pour savoir lire les papillons, il faut les réveiller. 
 
Et ressembler à une fleur. 
 
21-06-2000 
 

 
		-- Tu sais, aujourd'hui... -- 
 
Tu sais, aujourd'hui, mes bras ont enlacé ces espaces plats et
 
scintillants où on ne voit que toi. En lisant, j'ai inventé des
courbes à cette encre poreuse, celle qui se mèle à la peau, la
transforme en serre à eaux chaudes. 
 
Mes yeux ont récolté ces feuilles , poitrines translucides
allongées par le vent, ces rectangles à l'ovale de visage, ces mosaïques de
neige  posées à même le coeur. 
J'ai su alors que le monde n'a pas de bord. 
 
Tu marches dans la fenêtre avec ton sac ouvert. De sa
bouche s'échappent des papillons  de nuit, papyrus d'ombre pour écrire à la craie. Se tracent les initiales dévidées, se déroule la pelote des noms et des lieux,
se peint le profil de la mer. 
Tu soulèves les perles en grappe de tes nombreux enfants
pendant que la  nuit tremble, s'écope des noms qui manquent à l'appel. 
 
Te souviens-tu souvent de la première porte des mots ? Celle
qui battait devant nous dans la lumière, juste à l'entrée d'un
été ? Porte tournante des vies-manèges, elle t'attendait. 
Dans les oriflammes en puzzle d'or massif que tu verseras un
jour dans  les oreilles alentour quand tu parleras de moi, j'aimerais que
tu inscrive le monogramme de ce jus d'étoiles, la mémoire de
cette porte à  coeur plein qui ouvrait tous les feux, les quatre coins de cette
bouche  à entrecroiser nos mains. 
Alors, peut-être, je pourrai frémir dans le sens de la marche. 
 
J'ai disposé aujourd'hui les copeaux de cette première porte
dans un  vase, j'ai gommé ses contours de serrure douce, les ai
agrandis à la dimension de l'espace. Posé des soleils patinés
sur ces corolles de bois vif. 
 
Tu sais, aujourd'hui, j'ai aimé, violemment, ouvrir les palettes
de ton sang crié, de tes gouttes à allumer les mottes de
terre. Je me suis amalagamé à l'eau de ce vase en pleurs. 
 
Je retournera là où tu m'as mis, dans la boîte à rire debout,
exosquelette en fleur suspendu aux lèvres grises d'un monde
en couleurs. 
 
Mais tu sais, aujourd'hui avait comme un goût de soie
poivrée, soupe de murmures dans une assiette creuse. 
 
13-06-2000 

 
 
Paragraphes : 
1-3-5-7 : Florence Noël
2-4-6-8 : Stéphane Méliade
 
« Là où passait la géante la moindre chose
reconquérait toute l'ampleur de son nom, le plus
malingre et fade arbuste retrouvait la mémoire de sa
race, de sa très haute et légendaire race végétale. »
Sylvie Germain. La pleurante des rues de Prague
 
----------
Vies de dos
~~ :-)*(- : ~~
 
 
Tu es passée hier me danser ces simples mots : " Ne
mange pas les lichens des pierres, ils n'ont que le
goût du passage. »
 
La marche est une caresse primitive, balancement de
peau et de terre melées. Alors, je voudrais marcher,
mais je suis collé a ton visage par les lèvres. Tu
restes assise.
 
Tu étales l'ombre à petite moue de rêve. Tu me
dispenses de sol, pour ne pas souiller les reflets de
mes pieds. Eclipse d'une salutation, mes mains
s'agenouillent sous tes hanches.
 
Je te parle dans la langue des grésillements, celle de
la neige sur le ciel, quand les prières sont
terminées. Tu te couches sur le dos pour ne pas me
voir. J'imprime tes mots d'absence avec ma salive.
 
A mes lueurs nues, l'espace d'un geste engoncé de
vide.
A mes désirs, la dissection d'un rire, étalé au mileu
de ton ventre. Nombril en pointillisme. Tu m'offres
l'envers des paupièresŠcertaine que mon souvenir y est
inscrit à l'aube d'un cillement. 
 
Je m'assieds à ta table, en forme de toi, avant. Tu
plonges dans un verre d'âme, jeune pétale vieilli en
fut de ciel. Du fond du verre, tu parles de brûlures
de peau bleue, d'or dansant suspendu a un trapèze. 
A travers des mains froides, un soleil nous aggripe.
 
A tes mots, la terre funambule sur le bord de tes
ongles. L'eau pulse tout autour.Je cherche à lui
donner un nom. « île de Parque », « Mont Lissière »,
mais les vagues rôdent et éclatent ton verre. Tu
t'écoules en rivières frisonnantes.
 
Sur tes points d'appluie, j'enlace tes mers closes,
fais briller le fermoir de tes larmes. Une goutte
géante vient ouvrir mon visage. 
Corps en croisière, à travers elle je me regarde te
boire. 
 
11/12&endash;6- 2000
	
``
Strophes impaires : Florence Noël 
Strophes paires : Stéphane Méliade
 
«  Je crois qu'il profita, pour son évasion, d'une
migration d'oiseaux sauvages." le Petit Prince 
Saint Exupéry
 
L'enlovée
~~:-)(-:~~  
 
Ils courent en vol d'étoffe large 
Peau mouvante 
Toile d'ions tiédie sur les genoux du temps
 
Ciel froncé tissu lourd 
La plage les mouille d'or plissé 
Passants cerclés de sol  
 
Ils tombent en graine d'exclamation 
Sur la tranche de ses lèvres,  
Les oiseaux de capes et de lin 
Enluminent leurs becs d'or 
 
Suspendus aux embruns de leurs ailes 
Des battements de plume perdent la mémoire de l'oubli 
Un ange creuse leur poitrine 
 
Ils attisent ses éclaboussures 
Soufflent  les bombardements de lumière 
Derrière leurs eaux en amande 
Enveloppe qu'évase le fruit d'un pas
 
Au bout du ciel
Des ancres flèchent son corps
Leur soleil fluide éponge ses morsures 
 
D'ambre doux, 
Les nids s'enroulent de leurs draps
Ils le bordent
Cillement de cernes jamais assoupis  
 
Les oiseaux pétrissent l'ange 
Corps perdu au bout du bec 
Bascule son pouls picoré
 
Arbres en élan 
Branchies dressées en liesse
Ils déversent les cîmiers 
brûlants ensauvageant la mer
 
« Levez moi, levez moi en avant » 
Gémit le dos des ailes 
Ils entourent l'ange d'un anneau de mer 
Baignent ses gonds tendus à briller 
 
Naissent les petites flammes de verre 
Hachurent au feutre safran 
La semence des pluies à venir 
 
Tiroir a mystères
L'ange ouvre la porte des oiseaux 
 "J'emporte ta plume à ciel tendre 
Pour te dessiner, demain" 
 
Longue arche blanche
Vol cambré des gestes d'ombres
Leurs pennes tendues à rompre le ciel
Soutiennent un soleil rieur
 
 
8/9-06-2000
 
 
 

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