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" Prénom ? Neige d'été
Ta mère ? Papillon de l'île douce
Ton père ? Nuage à la fois sévère et gentil
Saison ? Plage blanche
Cheveux ? Baiser doux
Avenir ? Me marierai avec la glace"
 
- Romina, 8 ans
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                                -- Maeve-- 
 
 
Les aiguilles du soleil.  
Ma couleur, injectée dans la neige. 
L'extrême douceur d'un éveil blanc.
Je tends les bras,
Je me lève et je me souviens. 
J'ai froid ... Mais moins que ce monde.
 
Maeve ? 
C'est mon nom ? Je l'ai trouvé là, sous moi, quand je me suis relevée.
Il y avait des gouttes de lettres dans cette neige, des cristaux de
noms. Il fallait vite les cueillir. Je les ai pris pour les lire dans ma
main et ils m'ont bue. 
Je pouvais me relever. 
J'aurais voulu tomber dans le chaud des marelles, c'est trop blanc, ici.
Et personne n'y joue. Il fait si froid que les cristaux de neige n'ont
même pas l'impression d'être ensemble. Tout près de moi fume une pierre
noire. Je l'aime. Elle est chaude dans ma main. Son grain porte
l'adresse de toute ma vie. Je pose la lettre d'étoile contre mon coeur
pour la lire. La pierre tourne les pages en changeant de note. 
 
Je la referme doucement. Maintenant, je sais tout son chant de chaleur. 
Je brûle un peu la couleur en moi. J'ai besoin d'éveiller mes roues. 
Alors, je cours, cours dans la neige, à faire flamber les flocons. 
Quand j'ai bien fait tourner les roues de l'âme de mon ventre, je suis
bien. Je n'ai plus froid. Je réapprends à marcher mon souffle. 
 
 
 
 
 
 
Sur le givre, j'imprime un livre de buée. L'eau de mon souffle rit mon
vrai nom. Elle suit les veines de la pierre pour écrire dans mon oreille
"tu t'appelles Soleil Vert". 
Alors je sais que tu m'as laissé un mot. 
Je te lis, tu viendras plus tard, en été. Très bien. Je te laisserai ici
une envie de mer, quelque part dans un brin d'herbe, le plus chaud. Il
vient d'une graine-moi. Elle te dira combien de pas jusqu'à l'eau.
Peut-être, je t'appelerai de l'intérieur d'une vague pour te dire
"Prends ton soleil à pleines mains, lève la tête et suis les étoiles
vertes". 
Il faut que tu saches, les étoiles, ici, ils les voient blanches et
l'espace autour, noir. D'ici, ils ne voient pas que le ciel est un
jardin. Ils ne savent pas non plus parler vague.
 
Courir encore. C'est bon. La glace se pourpre à mes cheveux et du feu
prolonge mes cils. L'air répond à ma peau. 
Plus je cours, plus je te vois, tu t'éveilles ici dans l'été. J'entends
tes rayons de voix réchauffer la pierre à parler. Ma pierre blanche te
tiendra frais jusqu'à la mer. 
Il faut lui parler en l'embrassant. Lorsque tu le feras, des feux
follets viendront depuis toi jusqu' ici dans la neige me dire où tu es.
Pour l'instant, là où je suis , le froid est encore assez haut dans le
ciel, mais il va se coucher bientôt. 
 
Des hommes approchent. Je n'avais jamais vu des hommes d'hiver. On dit
qu'ils portent en collier les larmes gelées de leurs ennemis. Vite, je
me dessine à l'intérieur de moi.  Maintenant, à leurs yeux, je ressemble
à une goutte d'ambre. Un des hommes d'hiver invente un jeu grâce à moi.
Il me projette , saute en l'air et me récupère de l'autre côté de son
saut. Je grandis dans ses mains qui me lancent. J'aimerais qu'il m'amène
jusqu'à la mer en jouant et en sautant. Mais il devra s'arrêter au bord.
Ici, ils ne savent pas faire grandir les enfants dans l'eau. 
 
Je te vois. Tu viens de glisser du soleil. Tu viens d'arriver, tu as
chaud. Tu rêves d'hiver. Tu ne vas pas te mettre à aimer ce temps de
nuit et de silence ? 
La pierre blanche contre ton coeur, tu m'écoutes. 
"Je suis là, dans la mer. Je choisis des pousses d'eau pour les ramener
à notre étoile. Elle nous a demandé de nouveaux jardins. Maintenant,
embrasse la pierre"
Sous mes lèvres, elle devient un chat vert. J'aime vivre avec lui,
j'aime le bruit très doux de ses coussins sur la neige, j'aime marcher
 
 
 
dans ses yeux et faire le vent dans ses poils. J'aime le réchauffer
contre l'âme de mon ventre et son ronronnement me rappelle un battement
de coeur qui aimerait à la folie.  
 
Viens vite. La mer est belle ici. Notre étoile va aimer les vagues dans
ses jardins.  
Nous neigerons dans ses eaux fruitières, une pierre verte dans la main. 
 
 

24-11-98/28-03-2000

-- Les coureurs de couleurs --
 
 
Tu poses un galet de bois dans ma paume. J'aime ce toucher d'arbre rond,
j'aime respirer ce bois d'étoile. Je sais déjà que je grandirai toujours
autour de lui.
Puis tu ouvres un flacon de poudre d'ombre, en applique quelques grains
sur mes paupières fermées. Tu m'expliques : 
"Quand la nuit tomberas tu sauras quelle poudre tu contiens".
 
            
***                                                                                            ...
 
J'ouvre les yeux au milieu d'une étoile de tôle et de verre.  
Les voitures sont renversées. Il n'y a pas de morts dedans. Elles
dorment, c'est tout. Elles doivent quand même avoir un peu mal. Je me
relève. Je suis en plusieurs bouts, pas trop, je sais encore me compter.
Nous nous tenons debouts à côté des voitures, les mains sur le coffre,
comme si nous les avions chassées et capturées. 
À l'intérieur du coffre, tes flacons de poudre d'ombre. Chacun d'entre
eux contient une nuance de nuit. 
 
Je me souviens de tout, maintenant.  Nous sommes des coureurs de
couleurs.  Des fous payés très chers pour peindre avec des chocs. 
 
J'ai peur que mon corps devienne un jour une décoratiion de jardin. Le
dimanche, pendant que les gens le repeindront,  ils se protègeront de
mon âme avec de la crème solaire. Ils disent déjà que je suis une photo
dans un flacon, une poudre de visage.  Le soir, ils me posent sur une
chaise, me caressent en souriant. Et tout le monde porte un toast, à
l'alcool d'ange.
Puis ile me laissent, je rentre seul le soir, m'attable à la place du
mort, à côté de photos de familles souriantes. Je me couche tôt, bien
plié dans le tiroir du mur. 
Je rêve seul aussi. Et les photos dans mon lit n'ont pas grand appétit. 
 
***
 
                                                                                                        ...
 
J'entends le tiroir s'ouvrir. 
Toute la terre se colore peu à peu de nos courses folles, de nos éclats
de verre. Nous roulons si vite que toucher de la soie nous déchirerait.
Le coeur de nos voitures bat très fort. Leurs fauteuils sont découpés
dans des robes noires, des robes de sirène. Dans leurs écailles, les
vents déroulent des souffles salés de songes. 
Cette nuit, j'ai révé à toute vitesse, avec de très belles couleurs.
J'ai rêvé que je peignais un loup, chaque poil d'une nuance différente.
Il était si beau à voir que plus aucune feuille ne tombait jamais
pendant l'hiver. 
Et les photos prenaient vie, dans le lit. Elles avaient faim. 
 
Pendant la dernère course, j'avais bu trop de tempête. Je ne savais plus
marcher, juste traverser les voitures par les portières, laisser
quekques traces de doigt sur la poudre d'ange, au creux de l'oreille des
loups. 
 
***
                                                                                                        ...
 
Tu colores tes seins de jaune d'or, avec les pointes bleues. 
Ensemble, nous éclairons la route pour les voitures. 
Sur ta peau, j'écris : 
"Je t'ai versée dans mes gestes." 
 
La nuit tombe. Tu disais vrai, je sais quelle poudre je contiens. 
Je suis un flacon autour d' un autre flacon et ainsi de suite.  
Ta poudre d'ombre me parle en parfums sur mes paupières, profonde comme
un puits de mémoire, capiteuse comme un drapé de souffle. 
 
Par ma main ouverte, je me verse en étoile, en suivant  la direction de
chaque doigt. 
À la vitesse des couleurs, nous écartons les bords du monde. 
 
15-03-2000
 
 
 
 
 
 
 
"Cela remue la question éternelle : la vie est elle toute entière
visible ? (...) toujours la vue des étoiles me fait rêver(...)pourquoi
les points lumineux du firmament nous seraient-ils moins accessibles que
les points noirs sur la carte de France ? Si nous prenons le train pour
nous rendre à Tarascon ou à Rouen, nous prenons le train pour nous
rendre dans les étoiles..."
 
-- Vincent Van Gogh, "Lettres à Théo"
 
                     
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                             -- Cailloux blancs --
 
 
Ciel vert, longues feuilles brouillées, tranchantes pourtant, opaque
respiré aux fentes végétales des yeux inquiétants. 
Un temps de chat. Un temps à voir trop de soleil à la fois.
 
Je crie dans l'huile, renonce à la pâleur.   
Cette nuit j'ai dormi dans la grande jarre d'Arlaten. Mon corps a pris
de nouvelles courbes. Et mes traits de nouveaux mouvements. 
 
Arles est entourée de champs d'étoiles.
         
Arbre bleu de Prusse, sieste douleur au chevalet des plaies cigales. 
Sangsues en capuche, des chevelures carnivores s'abattent sur mon
front, usent mon cou frotté sur le fil de l'horizon, enlacent ma
poitrine de paniers étroits. 
Seule geint mon ombre étranglée, seul saigne mon souffle éclaireur. 
 
Ici, je sais les sources polychromes. 
 
Si je coupe mon oreille, c'est pour pouvoir entendre la lumière.
 
Pour le moment, j'entoure encore la moindre pierre d'un cercle de
rayons. Une main invisible semble les faire tourner sans cesse, comme un
enfant tenant une fronde. 
         
Immense disque citron. 
Oreilles de coquillage, fleurs brûlantes, des gestes d'ange entourent
mes
poignets, orientent mes gestes vers le sexe du delta du Rhône, cerclent
mes
lèvres de lueurs navigantes.  
Peut-on peindre avec des baisers ?
 
La lumière me mord.
 
Ma sueur-palette lance d'autres traits tournants, court en magmas
volants,
en ruches d'auras bourdonnantes autour des visages en feu. 
Ces flammes dissimulent ce qu'elle montrent.  
 
Un vent rouge passe devant mes yeux. 
Je voudrais savoir peindre le mistral. 
 
J'aimerais une femme de toile. Prise avec moi dans la corde des
couleurs. 
Ses baisers à bout portant.
Je serais son tableau, elle me signerait avec sa langue trempée dans
l'or.
 
Mais la journée va bientôt s'achever. Je n'ai plus assez de sang pour
payer la bougie, cette nuit. 
Il me faudra retourner remplir la jarre d'Arlaten.
Au matin, on y trempe des bébés dans la couleur, puis on laisse le
mistral les allonger jusqu'à la nuit.
 
Je vous écris ces mots-visages, cette lettre suspendue à un mur. 
Lorsque vous l'ouvrirez, l'air rentrera dans la chambre et j'aurai déjà
pris le chemin du Nord., le dernier. 
 
Tout à l'heure, je naîtrai à la lumière. 
J'ai chargé mon pinceau de balles de couleurs vives. 
Tout à l'heure, je me tirerai un soleil en pleine tête. 
Je sortirai d'abord par la porte de la Cavalerie, en direction du Nord. 
 
Il fait nuit partout sur les champs d'étoiles, mais il fait encore
soleil dans la jarre  quand j'ouvre les yeux. 
 
Un jour, les gens viendront en file visiter mon corps, exactement comme
ils viennent à Glanum regarder les pierres. 
Il y aura des éclaboussures d'or jusque sur les corbeaux.
 
Constellation de l'oreille coupée, mon cri entend le pinceau du ciel. 
 
25-12-98/14-03-2000
 
 
"Et dans un tableau, je voudrais quelque chose de consolant comme une
musique"
--- Van Gogh
 
 
 
 
"Tu as le détonateur
juste à côté du coeur"
-- Téléphon
-- La bombe humaine --
 
Dans ce pays
il n'y a pas de cendriers
parce que rien n'arrive à s'éteindre
 
la pluie ne s'y pose jamais
 
On y plante des flammes centenaires
des arbres de soleil
des bateaux debout
des feux de berceaux
des îles à boire
 
L'été
des incendies de sève
font déborder les forêts
 
j'abats les cercueils
 
Musique au bout du fil
depuis là bas
depuis moi
ta voix a la main verte
 
je raccroche la mèche
 
j'aiguise la lumière 
comme une âme de rasoir
 
11-03-2000
 
 
 
--- Coeur à étages ---
 
Gravés sur un arbre d'architecte
j'ai trouvé les plans d'un coeur
sans ascenseur
 
Au milieu du patio
une fontaine à pétales
des coussins en plume de peau
 
Un grand lit en soleil massif
on y entre par une chatière
pour y passer un examen de lumière
 
Du jardin en terrasse
on s'envole tous ensemble 
à la belle saison
comme une grande famille d'oiseaux
 
12/13-03-99
 
 
 
 
 
"Il en est de ce que nous faisons et de ce que nous pensons comme de
la courbe extérieure et de la courbe intérieure d'un vase :
l'une modèle l'autre."
-M. Yourcenar
 
M. Yourcenar "Les yeux ouverts"
 
                                         -- Ville de sable --
 
Sur les draps du livre était écrit "Ville de sable". 
L'écriture des plis bouclait mes valises. 
 
C'était juste quelques semaines après ma mort. Je ne m'étais jamais
senti aussi bien. Il faut mourir de temps en temps, c'est très bon pour
la santé.
Je laissais tourner tout le jour un ventilateur près de mon visage. Pas
un ventilateur de magasin. Un sauvage, capturé dans le livre, fait d'un
cercle de plumes de couleurs.
Pour revivre, je devais embrasser les plumes tournantes sans me blesser. 
 
Mes mains prenaient un peu d'encre sur le livre et venaient danser
devant moi. Elles portaient la moitié des mots et je devais trouver
l'autre. Quand j'avais deviné une page entière, je pouvais dormir.
J'éteignais les plumes pour la nuit, bordait le livre autour de moi et
m'endormais dans une lettre. 
 
La nuit, le livre s'évadait de moi,  venait chanter sous ma fenêtre,
m'appelait.  
Une de ses images avait fini par entrer en remontant le courant de la
vitre. 
"Je m'appelle Nour. Je viens rêver dans ton rêve.  J'aime bien naître de
temps en temps, ça me maintient en forme. Me prêterais-tu tes plumes ?
Elles donneraient des souffles d'ombre à la ville de sable, poseraient
des rubans autour du soleil, guériraient les arêtes des maisons. S'il te
plaît, détache moi du livre, pour que je soigne ma ville. Je reviendrai
souvent et j'aurai beaucoup de choses à te raconter". 
 
J'attendais le moment de revivre en fixant les plumes avec le regard de
mes lèvres. Mais j'ai écouté Nour. Je l'ai détachée du livre comme elle
le demandait et elle est partie en suivant le courant de la fenêtre. 
Comme elle l'avait promis, elle revenait chaque nuit rêver dans mon
rêve. Elle m'emmenait dans la ville de sable. 
 
Nour et moi aimions nous lancer doucement des  reflets de lune, en
marchant ensemble sur les toits, sautant de terrasse en terrasse. Nos
pieds nus riaient de voir les plumes tourner si vite. " Rien que de les
regarder, j'ai des chatouilles qui dansent sous mes pieds"  plaisantait
Nour avant de sauter sur le toit suivant. 
La lune était blanche. Les arêtes des maisons de sable tremblaient sous
le regard de Nour, s'arrondissaient un peu, pouvaient dormir enfin
quelques heures. Des croissants de maison poussaient à l'ombre de
sabliers. 
 
"Nour, les grains dans le sablier ont exactement la couleur des plumes
!"
Elle ouvrait les mains et me souriait. 
" Tu as remarqué ça, toi ? Alors, tu peux savoir la suite. Ces
maisons-là ne sont encore qu'en croissant. Mais quand elles seront
pleines, elles remplaceront les anciennes. C'est là qu'il me faut tes
plumes"
"Pour creuser les terrasses ?"
"Pour que les sabliers en fassent des grains. Sans les couleurs des
plumes, les grains n'écriraient pas. C'est eux qui ont formé chaque
lettre du livre, ils ont écrit "Nour" pour me faire vivre, et fait
surgir toute la ville de sable." 
 
En attendant d'avoir ses plumes, elle m'apprenait des choses. Elle me
faisait regarder l'envers des lettres du livre. Elle m'emmenait dans les
rayons des rues, pour que je regarde grandir sa ville. 
"Si le sable vient dans les lignes de tes mains, attends la nuit.
Quelques grains se mettront à briller. Ils indiquent la température de
ton âme . Ne te demande pas ce que cela t'apporte. Ce n'est pas pour
toi  mais pour les étoiles. Il est important pour elles de savoir si tu
es une âme froide ou une âme chaude."
 
Une nuit, Nour  est venue avec une cruche. Elle voulait la verser sur le
livre pour que les maisons de la ville de sable puissent boire. D'un
mouvement de bras, elle lançait la cruche vers le ciel. 
"Veux-tu que je t'aide à la remplir ?"
Nour a éclaté de rire
" Je ne la remplis pas !  Je la vide ! Je la vide même de son air.
Lorsque les étoiles sauront la température de mon âme, je me verserai
dans la cruche et je donnerai à boire à ma ville"
 
Les mots de Nour m'ont fait sursauter. Tellement que j'en ai réussi
l'épreuve du baiser. 
Alors, je lui ai donné ses plumes. 
 
"Quel mot as-tu pensé au moment de les embrasser ?"
"Toucher"
"Je dirai ce mot là en soignant les maisons de la ville de sable"
 
Nour s'est tue un moment, le temps d'embrasser du regard la succession
des terrasses. Elle aurait bien fait encore quelques sauts de toits 
Puis elle m'a souri
 
"Je dois partir, mais je vais revenir te donner des nouvelles de chaque
grain de ma ville. En attendant, ne mets pas la main sur la bouche des
pierres. Pose-y tes lèvres. Une pierre peut être une plume déguisée. 
Je pars et le livre va se blottir autour du souvenir de mon visage. Tu
dormiras dans le cercle de l'image. 
J'arrive et je reviendrai chaque nuit rêver dans ton rêve.  Tu peux
renaître, maintenant.  Ne ferme jamais la porte du milieu du monde. Il
faut que ses deux moitiés puissent toujours se rejoindre"
J'ai regardé à mon tour les terasses de la ville de sable. 
"Nour, je vais écrire sur les toits des maisons blanches. Je vais écrire
le livre de ta ville pour que tu puisses venir me voir une nuit, et me
demander mes plumes"
 
Nour a noué ses cheveux pour qu'ils passent tous ensemble avec elle,
Puis elle a sauté dans la fenêtre. "Écris le livre ! ". 
Assis sur la terrasse, j'ai ouvert la première page du livre de la ville
de sable et j'ai écrit les premières phrases de mon carnet de voyage : 
 
"Bientôt, Nour reviendra, la ville de sable sera guérie. En attendant,
je laisse la vie sourire avec mes lèvres"
 
12-03-2000
 

 
--Feu nacré--
 
 
Je lis dans ton oreille : 
"Un coquillage dans la neige. Escalier de nacre, il descend vers
le centre de la mer, rougeoyant toujours plus, jusqu'à dessiner une
longue spirale flamboyante, une conque de feu où tu sauras écouter le
soleil et rayonner sa mémoire..."
 
Il neige sur l'eau. 
Je marche, plonge mes pieds dans les cristaux, y entre tout
entier, deviens transparent, éternel, unique.  J'entends le cri du
silence blanc rythmer ma mort muette. Je laisse une longue traînée
poudreuse, croise des sillages gelés sur des visages lisses. Ils
montrent les traces du givre sur leurs joues pour faire croire qu'ils
ont pleuré en été. 
          
Mes mains émergent de la neige, cherchent à escalader l'air
froid, glissent sur des parois à la fois invisibles et sourdes.   
Retournées entières dans la terre, elles construisent des oiseaux.
Puis, habillé d''une gangue luisante et sombre, je fais face à la mer,
sur la plage de neige.
Je me démembre et laisse mon sang colorer la neige, jusqu'à ce
que la plage ne soit plus qu'une rose couchée léchant la mer.
        
Suivant la forme de l'intérieur du coquillage, je traduis le
chant secret que l'on entend dedans. 
J'élève des chateaux blancs, des bonhommes de rêve et de sang,
d'or et de soie mélés. Pour les fenêtres, j'y dessine des étoiles.  
Lorsque le château est fini, j'imprime ma trace sur la
neige salée, le tout dernier mouvement de ma main. 
 
Restent la neige sur les vagues, le château aux yeux
d'étoiles, quelques enfants qui jouent à se lancer des oiseaux de neige
et tous ceux qui continuent à vivre devant. 
 
Tourbillon glacé, je cherche longtemps à me reconstituer.
Palpitation tiède, coeur battant de l'hiver, quelque part dans
le sommeil de mon visage. 
Eau brûlante, je vis. 
        
J'entends dans tes yeux : 
"...Un coquillage de peau et de rêves, un long corps couché,
roulé comme les pages d'un livre sacré. Il monte vers le ciel, toujours
plus bleu, dessine un long mouvement ascendant, un pays d'eau
où tu sauras parler au ciel et construire les ruines de
l'indifférence."
 
22-12-98/7-03-2000
 
 
 
 
 
She slips her dress like a flag to the floor
And hands in the sky 
Surrenders it all... 
-- The Cure
 
                                            -- Un coeur sous les ailes --
 
 
Collés sous les ailes de l'avion, ils attendent de passer au dessus de
la mer pour lire le nom du ciel dans son reflet. 
Étendant leurs bras, ils prononcent les syllabes d'une autre langue,
celle du pays où ils vont.  Ils pourraient la rassembler à l'arrivée, la
retrouver dans leurs bagages. Mais ils n'en n'ont pas. Leurs mains sont
restées en bas à parler l'ancienne langue. 
Ils sont deux moitiés d'un coeur, chacune dessinée sous une aile d'avion
par deux mains enlacées.
 
Passagers du destin, ils joignent en fraude leurs deux moitiés de coeur
dans les pétales du réacteur. En voyageant près des flammes, ils
emmagasineront un peu de chaleur, juste assez pour atterrir vivants. 
 
Loin, en bas, au pays de l'ancienne langue, les deux mains qui ont
dessiné les coeurs sous les ailes regardent les horaires des oiseaux. 
Deux paumes bleues deviennent rouges. 
Mach 1. Quelques traits sous les ailes. Le réacteur fait fondre le
coeur, puis le vent le givre, puis il reflambe.  Il bouge, grandit très
vite de ce battement. 
Les mains se sourient. Tout en haut de leurs doigts, un coeur bat.
 
Ensemble,  elles apprennent un par un les premiers mots de leur langue. 
 
Dès leur arrivée, elles viendront le long de la piste, courront en
tenant un volant imaginaire, un gyrophare au dessus de leur tête. Une
moitié de coeur sous chaque aile, elles voleront au secours de leur
dessin. Plieront les ailes de l'avion pour que les deux moitiés 
tiennent ensemble dans une seule main. 
 
En dessous de l'avion, deux moitiés de coeur se regardent, pensent à ce
moment, se lancent d'une aile à l'autre des soleils de givre clair. 
L'espace au-dessus d'eux leur est invisible.  Ils inventent son visage
en écoutant le frottement du vent sur le métal. 
 
Sous le ventre bleu du ciel, ils clignotent en s'inclinant; appellent
l'épaule de la terre. 
Sous les ailes rouges de l'arbre, les coeurs rêvent à de grandes fêtes
de feuilles sur la toit des maisons, à la course des mains sur les
tuiles du jardin. 
 
Sous les moitiés de coeur, ils écrivent une étoile pour faire croire 
qu'ils ne savent pas signer. Mais quand un oiseau vient vérifier leurs
papiers, ils éternuent un trou d'air et raturent le ciel avec des
éclairs. 
Tout explose à l'intérieur des moitiés du coeur. 
Dispersés, quelques atomes se lancent des phrases en l'air, mais
l'altitude rajeunit leurs mots. Ils naissent d'éclater si haut. 
 
Après l'orage, on ne retrouve plus personne, rien que nous tous. Les
autres ont sauté vers le ventre de l'avion, loin, couchés dans le noir,
au centre de l'histoire. Si nous la racontons, c'est que nous étions là
depuis le début, tout contre le coeur, juste de l'autre côté de la
paroi, à portée de nos mains. 
 
Nous les voyons très bien,  maintenant. L'avion va atterrir. Le manque
d'altitude les fait déjà dormir. 
Ils posent leur étoile sur leurs paupières. Au pays de leur nouvelle
langue, plus personne ne les lira en sautant des syllabes. Ils n'auront
qu'à fermer les yeux pour éblouir. 
 
On les a arrêtés à l'arrivée,  dessinés sous les ailes de l'avion. En
attendant de retrouver leurs vrais corps, les policiers, assis dans les
réacteurs interrogent les traits clandestins, pendant que les coeurs
serrent des mains.
 
Une lampe droit dans les yeux des deux moitiés de coeur. Ensemble, ils
baissent leurs paupières et la lampe avoue. Elle était avec eux sous les
ailes, les surveillait, aveuglait les oiseaux de peur qu'ils sachent les
lire tout haut. 
 
La lampe parle, parle, parle : 
"Moi, je ne sais pas voler en deux moitiés.  Je ne parle pas la langue
des coeurs sous les ailes. Je n'ai qu'un filament à l'écriture en feu
d'enfant.  
Ma lumière  suit des doigts votre carnet de bord. 
Vous avez écrit la dernière ligne de l'histoire sur la vitre du cockpit.
À l'envers. Sans doute pour que les oiseaux vous lisent directement sans
devoir entrer dans l'avion. 
Les mots gelés disent " Nous vivons". Vous voyez, nous savons vous
lire."
 
Assis sous la lueur, les coeurs regardent la nuit en face. 
 
"Moi aussi, j'ai été bleue" murmure la lumière de la lampe. 
"Mais nous ne pouvons pas vous laisser en liberté". 
 
Enfermées dans une fleur, deux mains rêvent l'une dans l'autre.  
Dans un pétale, elles ont découpé une étoile pour respirer et savoir
lire notre langue au réveil. 
En déchiffrant le dessous bleu des avions, les mains liront notre ciel à
cinq branches. 
 
5-03-2000
 
 
 
 
It's deep and dark, like the water was 
The day I learned to swim.
-- Kate Bush
                        ------------
 
                                        -- Marée haute -- 
 
L'eau frappe le ciel. Elle ouvre sa gueule par étincelles brèves. 
Dans les lignes de pluie horizontale, je prends une douche en croix. 
 
Je suis assis dans mon coquillage. Je l'ai garé sur le parking, mais
ensuite j'ai longtemps hésité à sortir. Au bout d'un moment j'ai posé le
pied sur la terre. Elle était bonne. 
J'ai inspiré à fond, mais juste avant de sauter je me suis rattrapé à
temps. Dépassant à peine de la terre, elles étaient là, leurs ailerons
rouges embaumant chaque grain du parking.       
 
Derrière la vitre de mon coquillage, j'avais laissé un bon de soleil,
valable deux heures. Je l'ai recollé pour qu'il ait l'air périmé. 
J'ai fermé ma peau à double tour . Je m'en tirais bien : quelques
morsures de parfum, seulement. J'avais honte de mon air resplendissant.
En pulvérisant un peu de sang et en écartant un peu la plaie, cela ne se
verra même plus demain matin. 
 
Dehors, la mer s'étend, fait de nouvelles pousses sur les maisons.  Les
murs se couvrent de bleu, de plus en plus sombres.  Les maisons
deviennent de plus en plus profondes et maintenant,  il faut être
capitaine au long cours pouravoir le droit de les habiter. Sinon, pour
le commun des mortels, il y a des vagues pas chères. 
 
À la lisière du parking, les fleurs tournaient en longs cercles
rythmiques autour de mon coquillage, attendant patiemment que je sorte.
Leurs ventres rouges tendus, leur pétales un peu creusés, leur tiges
nerveuses, tout le corps des fleurs criait leur faim. 
 
Le ciel grondait en entrant dans les criques, les nids de rochers, les
grottes où séchait la lumière. Il prononçait des voyelles graves,
sourdes. Il parlait depuis nos ventres. Et la mer s'assombrissait,
enflait de l'appeler. L'eau noire faisait siffler ses crètes et claquer
son varech. Elle voulait pleuvoir vers lui, s'élever en vrille, puis
l'inonder de souffle et saler les étoiles. 
 
Le soleil n'a  plus pied. 
 
Des enfants sortaient de l'auto-radio. J'éteignais, la file s'arrêtait.
Je rallumais, ils revenaient. Je les ai aidés à traverser, d'une
portière à l'autre. La chanson s'appelait "Enclume à écume". Un petit
garçon fermait la marche, un cartable sur son dos. Il s'est retourné
vers moi,  m'a lancé quelques notes juste à ma taille. 
"Hé, petit, tu vas où ?". "Moi ? Je ne bouge pas, c'est la route qui se
déplace".
Il avait l'air de se moquer de moi, mais j'ai gardé les notes. 
Si les choses se gâtent vraiment, je m'appuierai sur elles pour marcher
sur la terre. Les fleurs les respectent. 
 
Au dessus de ma tête, l'eau est de plus en basse, de plus en plus
sombre. 
Je suis déjà obligé de m'accrocher un peu  à des brins de terre.
Je cliquète et crépite, me craquèle pour dégoûter les fleurs. Je ne veux
pas de leur baisers.  Je ne veux pas pleuvoir vers le haut. 
Je...
 
Horizon rouge sur des  bruits de soleil. Un couple de vieux passe, un
cartable sur le dos. 
"Beau temps pour la pêche aux fleurs"
 
La mer forgée grésille d'amour. 
 
1er mars 2000
 
-- Le souffle d'Amina  --
 
Quand ils m'aperçoivent, les gens du plateau se serrent un peu plus les
uns contre les autres. Me regardent poser le Chemin de Nacre.
Cela fait des années que je viens ici me brûler sur les rochers. Les
anciens les peignent en couleurs douces pour éventer mes yeux et
protéger la nacre du déchirement des arêtes. 
 
Les anciens m'aident. Ils couvrent toute la gamme et répondent toujours
aux questions que je ne pose pas. 
 
Je leur tend un de mes coquillages et demande "Où est-elle ? Que
fait-elle ?". Un ancien en Do écoute et m'explique alors "Amina pleut
sur la mer. Elle monte au mât des crètes et, à travers l'écume, elle te
voit avancer". 
Coquillage par coquillage, un jour j'atteindrai la mer. Les rochers en
rient. Sauf ceux aux couleurs douces peints par les Anciens. Eux sont de
mon côté.
 
Tard la nuit, les pierres se resserrent parfois sur moi. Ils ne veulent
pas que j'atteigne la mer, ils ne veulent pas qu'Amina revienne. Les
rochers peints veulent bien. Les autres, souvent, tuent les anciens qui
m'aident. 
 
Tard la nuit, alors que je me suis lové dans un coquiillage et que je
vais m'endormir dans la nacre, j'entends la pierre d'Amina qui gronde.
"C'est ainsi depuis 3000 ans" m'apprend  un Ancien en Mi, réveillé pour
l'occasion. "Amina appelle sa pierre depuis la mer.". 
 
La mer. Certains jours, je crois déjà lècher son sel bleu. Un ancien en
Sol m'enseigne :  "Aujourd'hui, Amina rit dans l'eau. Elle sait que tu
approches.  Elle appelle un coquillage-toit pour la protéger et un
coquillage-coupe où elle puisse se verser. Garde lui les deux plus beaux
Tu es sur la bonne voie, mais fais vite".  
 
Le vent se lève, écrit sur le sol, dérange un peu les coquillages, fait
onduler la nacre. 
Alors, le plus vieux d'entre eux, celui qui chante la note la plus près
du soleil, répond  "c'est le souffle d'Amina". 
 
Puis, il sonne une cloche à sa note. C'est un Ancien en Do, le plus
rieur. Il peint les rochers en vert, y ajoute des lèvres prononçant un
début de mot. Il tourne vers moi son visage ciselé par les vents du
plateau. "Je chante la note la plus près du soleil. Je suis celui qui
voit de plus haut. Je viens de voir une grande vague. Amina t'appelle.
Elle veut te voir rapidement". Il conclut. "La Voie de Nacre est une
voie faire d'eau et de soleil."
 
Maintenant je vois la mer sans avoir besoin de la rêver. Elle est là,
juste devant mes yeux.   . 
J'ai posé le premier coquillage sur l'ancienne pierre d'Amina, celle qui
a trois mille ans.      
Je vais lancer le dernier à Amina, elle le posera sur une vague, sa
nacre face au soleil. 
 
26-02-2000
 
 
 
 "(...)et puis, quand on a bien regardé, il faut prendre la feuille de
papier, et dessiner avec les mots ce qu'on a vu."
        -- JMG Le Clézio                                                        
 
                       -- Les doigts de la lumière --
        
Longue ligne tremblante dans le désert. 
Caravane nue, elle ne transporte rien, aucune marchandise. Juste
les enfants sans prix. Il dorment dans les bosses des chameaux, montent
en graine dans son balancement doux.
 
Les yeux en marche boivent le soleil et attendent la nuit pour
briller. Dans les bosses des chameaux, les soleils en graine, les
pousses de lumière se retournent et têtent les étoiles.
 
Lorsque ces yeux là regardent à travers un seul grain, ils savent voir
le monde entier en un coup d'oeil.  
Vue de haut, la caravane dessine un mot. Patiente, elle écrit sur la
terre, attendant que nous apprenions à lire le langage de nos pas. 
 
À chaque étape, au miieu des bosses du soleil, les enfants dans les
dunes des chameaux nous apprennent à lire une nouvelle lettre. . 
         
Belle courbe des mains allongées sur la sable. 
Vient le temps du repos. Chacun choisit son étoile avant de fermer les
yeux. 
Ronfleur de sagesse, un des Anciens dit en dormant "rien de plus
brillant que la nuit" et les chameaux rient en l'imitant. Et, au fond
des bosses des chameaux, les enfants rêvent de dunes de mousse verte, de
grains de sève roulés sur la peau de la terre. La carte des sources
tient dans les plis de leur sourire. 
Ici, la vie est un rêve palpable.    
 
Nous marchons. 
Soleil nus sur les cordes de pluie, les doigts de le lumière inventent
les couleurs nomades
 
Vaste cercle du ciel bordant le voyage. Anneau de feuilles fraîches pour
éventer la fatigue. 
Une arche de couleur, comme un pont au dessus des dunes. Nous sommes ce
fleuve , nous coulons vers notre naissance. 
 
Le jour se lève, il pleut. 
De la mousse s'est formée sur les bosses des chameaux. 
 
Nous marchons, prononçons le chemin, procession de syllabes, mots d'un
seul
sésame, nos corps se balancent et, dans les dunes des chameaux, les
grains de vie allument les puits dans nos pas. Et nous marchons encore,
les pieds durcis de cailloux, les mains allongées par le vent, jusqu'à
ce que nous ne puissions plus jamais les ranger, plus jamais les fermer. 
 
Nous sommes ces mains ouvertes, feu à cinq doigts autour duquel les
chameaux se repèrent sur les feuilles du ciel. 
 
Au milieu des bosses dessinées par nos gestes, juchés sur les étincelles
de nos yeux, les enfants polychromes colorent la pleine lune. 
 
12-01-99/
24-02-2000
 
                                            
 
 
- Une rose bleue --
 
 
Intérieur cendres
Dans ma main en coupe
Je bois les orages fertiles
 
Encrés de foudre
Imprimés
Je nous lis sur les lèvres
 
Feuilles de champagne
Enfants en friche
Soleils-souffles millésimés
Nous sommes ces bulles emmêlées
 
Bouquet de feux verts
Feuilles de loups-lierres
L'incendie de mer
Brûle la lumière
L'encre bouge
Passe la pluie au fer rouge
 
Toute une garde-rose
Mes baisers sur des cintres
Tu ris et t'en habilles
 
Origami de ciel
Calligraphie de parfums
Une rose bleue rit dans ta main
 
Les roses sont fruitières
Dans ton jardin
 
23-02-2000
 
 
 
 
- Fleur de loup --
 
 
Je tiens ma photo dans ma main. Elle est lourde de beaucoup de temps et
il me faut les deux mains pour qu'elle tienne. Papa a eu une drôle
d'idée de la traiter comme ça, en noir et blanc et de la vieillir. On
dirait ma grande soeur dessus.  Il dit que je suis une jeune enfant mais
une vieille envie. 
C'est ma photo de plus tard, c'est pour ça qu'il n'y a pas encore la
couleur. 
J'aime bien le temps, parfois il me tient chaud. Emmener ma photo de
plus tard à l'école, pour faire peur aux autres filles, j'adore. 
 
Les autres filles, elles sont trop bêtes. Dans la cour, elles me disent
sans rire qu'elles sont nées dans une rose. Et puis elles sautent sur
une jambe.  Les pauvres, elles auraient vraiment besoin d'un docteur
vite fait. Comme si une fille pouvait tenir dans une rose ! 
Heureusement, ma maman à moi sait la vérité. Je sais faire peur aux
autres filles avec la vérité. Quand c'est mon tour de parler, je les
regarde bien en face. Et je leur explique : " Je suis née dans une
louve, au milieu d'une forêt très parfumée". D'ailleurs, maman m'appelle
toujours "Mon p"tit loup". 
 
Quand j'ai fini de parler, je ne me mets pas à sautiller sur une jambe
comme une débile, mais je les regarde avec les yeux qui brillent noir et
je me passe la langue sur les lèvres. Les plus peureuses poussent un
petit cris de souris et s'enfuient, les autres se balancent un peu.
Aucune ne rigole. 
C'est le bon moment, celui où j'adore sortir ma photo. "Mais c'est toi".
"Oui, toi, mais on dirait toi plus tard, mais aussi toi au début du
siècle, j'y comprends rien". C'est là où je leur explique que j'ai
trouvé une recette magique, une recette de loup pour exister à plusieurs
époques. Là, elles détournent leur regard de la photo et me fichent la
paix pendant au moins une semaine. Des jours de rêve, pendant lesquels
je n'ai rien à demander, j'ai toujours les meilleurs bonbons et elles
m'apportent toutes les images de loup que je veux. Je les mets une à une
dans mon carnet de loup, que je remplis devant le mûrier, dans le
jardin, jamais ailleurs. Je colle une image et, quand personne ne me
voit,  je la trempe dans l'ombre de l'arbre. 
 
Hier, il m'est arrivé quelque chose de drôle. J'ai posé ma photo de plus
tard sur mon carnet de loup. Et les yeux de la photo se sont mis à
briller. Je n'ai pas eu peur. 
Au contraire, j'ai très envie qu'elle se transforme complètement.
 
 
 
 
 
 
 
À "Chateau de sable" de Mireille, un poème-être vivant, tellement
magique qu'il  a engendré celui-ci.                                                             
 
                                        -- Or vivant --
 
 
Une petite fille aux yeux de soleil prend une couleur volante
dans le bouquet de tes plumes d'enfant. Dedans, elle
prend tes mains et ta voix, souffle sur les plumes et mélange,
te lit en chantant. Après, elle cueille l'encre de vie dans ton jardin
de livres, et le vertige de la vie l'écrit. Elle tourne
et tourne et tournoie sur elle-même, page par page. Ses pétales, son
lierre de lune font la vie-mouvement. Lorsque le ciel prend racine
elle boit la plume de ton prénom, lève la tête et ouvre le livre, lit ce
que nous sommes : 
 
                Or
 
Elle envole fleurir l'animal né de tes
lettres. Le livre-loup est chaud, doux et vivant. Il porte le parfum de
la vie.
Avec, longtemps, elle sculpte une coupe à recueillir le soleil. Elle
prend soin de
ne pas la construire trop près du vent, pour la protéger de
la tempête qui ne le soulèvera  pas avant quelques souffles. Elle
imagine que l'or aura le temps de briller chaud et loin, de
s'emplir de toi. Elle y lira : 
 
                                Vivant
 
 
 
Elle sait aussi qu'au creux de ton temps, dans très peu, la plume écrira
l'amour et l'amènera entier. 
La petite fille viendra alors poser une fleur sur la coupe d'or vivant
que tu seras. 
Son coeur prendra forme de toi. Avant, après, maintenant.
D'autres diront toujours. Les fées te prononceront : 
 
                                Or vivant
 
Et pour m'aider à naître dans notre temps, elle
ouvrira les livres de loup. La formule du chant de la lumière 
sera prononcée.
Enfin
    Ton nom allumera l'or vivant
             Le sable en soleil se changera.
 
 
 
 
 
-- Irish Coffee --
 
Je tiens notre conversation à moitié bue.
L'Irish Coffee nous écoute par l'anse,  grésille un peu. Un de tes mots
s'est caché dans la mousse. Je le déchiffre avec mes lèvres. 
 
Tu me passes le vent. "Écoute le Mistral". Je tire un peu plus sur les
racines de l'appareil pour mieux t'entendre. 
Des oiseaux viennent tremper une plume dans le verre. 
En lettres noires, d'un seul trait chaud et capiteuse, ils boivent
l'encre du café et écrivent sur la nappe: "Allô ?"
 
Je pose le soleil sur la table, avec deux pailles.  Pas besoin de
demander, tu fais comme chez toi, tu te sers. 
 
Je regarde l'heure au soleil. Mais c'est la nuit. Ou toi qui a mis tes
mains sur mes yeux. Oui, c'est ça; je reconnais l'écriture de ta paume.
J'adore la lire avant de dormir, encore fumante. 
 
À notre bout du fil, la voix du Mistral remarque: "Tu as vu, les jours
rallongent"
 
21-02-2000
 
- Livre de paume --
 
"mettre le feu à la pluie, écouter crépiter la lumière" 
-- Mireille 
 
 
Dans le livre de ta main, une enfant ouvre sa flûte à la première page.  
 
La charmeuse de paume joue et l'écriture prend visage. Encre de gestes,
au milieu des toiles d'enfants que le vent soulève, tu lèves ta main et
la regarde comme un fruit impossible ou une nouvelle couleur. 
Les petits garçons sur la place lisent ton écriture et leurs lèvres
apprennent à prononcer tes mains. 
 
Une cruche remplie de sable au dessus de la tête, le ciel passe rajouter
un anneau à ton doigt. L'enfant rit "Il est passé au lunaire". Tu sais
alors que tu viens d'épouser cet endroit. 
 
L'adolescente à la flûte égoutte ses cheveux dans le feu qui prend
couleur d'animal, le tien. Les flammes halètent et la fumée dessine un
loup avant de s'éparpiller en gouttes dans ta paume. 
 
Elle explique : 
"Tout le monde est parti de la place à présent. Nous dormons assis en
tailleur et la nuit veille. Souvent, c'est le contraire, souvent nous
couvons ses couleurs dans nos souffles courbés. Il est temps qu'elle
nous sache aussi et apprenne à nous lire."
Des flammes trempent dans l'oeil de ta paume.  
 
La jeune fille  ouvre son coeur à la page du milieu. Elle lit "le
tatouage signifie "regarder ses désirs dans l'âme". Pourtant, elle est
déjà partie. Les enfants préviennent alors qu'il nous faudra apprendre
le
langage des traces si nous voulons atteindre le matin. 
Ils précisent :  "Quand les gens partent il coule de leur dos un sang de
marche. Mêlé aux poids de ton corps accroupi sur le sable, il forme un
tout. Sang vivant et trace éternelle écrivent ton véritable nom"
 
La femme est revenue. 
Tu la soulèves un peu dans ta main, elle est de plus en plus légère et
sa voix de plus en plus aigüe. Avec les fils de son rire tu inventes un
nouvel instrument à doigts.  
 
"Nous n'entrerons pas dans la nuit. Nous soulèverons ses couleurs pour
qu'elles se détachent, puis nous la plierons bien pour nous lancer des
avions de nuit. Quand ils reviendront, tu en descendras et viendras me
recontrer pour la première fois". 
Tu lui souris. Lui montre ta paume.
Elle hoche la tête, satisfaite : 
"A travers ta main, je vois le vent, c'est bien".
 
La vieille femme à la flûte vient de mourir en tournant la dernière page
du livre, heureuse. Ses grains se versent dans ta paume et le dessin est
complet. Un vent de couleurs prend vie. La respiration des enfants
soulève leur toile. Ils peuvent rêver tranquille, tu sauras tout leur
expliquer demain.
 
Au milieu exact du monde, ta main levée indique la direction du matin. 
Tu décides d'écrire une lettre avec ta nouvelle main avant de fermer ses
yeux. 
 
Noir, le papier de la lettre de nuit a écrit l'adresse de la prochaine
journée. Pour y aller, il faut jouer de la flûte de sable en marchant. 
Tu regardes ta paume et le vent se lève sur les lignes de ta main,
ferme doucement les yeux du dessin pour qu'il se repose. 
 
En partant de la place, tu écris par terre
"Là où le vent prend racine, les arbres sont mouvants"
Et les nuages ont la forme exacte de ces mots. 
"Cela veut dire que mes gestes se reflètent".
Cette fois, c'est toi qui expliques. 
 
21-02-2000
 
 
 
"Oh nuit, ma grande fille noire, qui saura dire combien de
fois  tu pleuras sous ton oreiller"
-- JP Rosnay
 
                                                -- Félunes -- 
 
Si vous me lisez, c'est que le monde sera bientôt sauvé des Félunes. 
                
Elles se font passer pour nos mères. 
Les hommes disent en se penchant vers elles que ce sont des chattes 
"rien que de belles chattes noires". 
Souvent, ce sont les derniers mots qu'ils prononcent. 
Les Félunes sont de plus en plus nombreuses et nos vraies mères se font
de plus en plus rares. 
Nous, les chatons, avons de plus en plus de mal à naître. Pourtant, nous
devons arriver en portées toujours plus touffues, pour prévenir les
hommes du danger. 
 
Je vous écris cette lettre avec les mains d'un humain. Celui qui va nous
sauver. 
 
Nous, les chatons, arrivons parfois à sauver un homme. Nous jouons dans
ses jambes et, s'il chante une certaine note en tombant, la Félune se
désintègre. Alors nous nous précipitons vers lui , car -les plus sages
d'entre nous l'affirment- dans ses caresses on peut lire bien des choses
et peut-être apprendre où sont les vraies chattes, nos mamans. 
Nos vraies mamans laissent toujours la même trace, à l'endroit exact où
elles on été enlevées. Heureusement, les Félunes croient que toutes les
plaies sont rouges. Alors,  avec leurs plaies bleues, nos mamans
laissent incognito une flaque dessinant une paume. Sur cette paume, les
lignes de vie croisées tracent un visage humain : celui qui nous sauvera
tous. Celui que nous cherchons. Celui que j'ai trouvé. 
 
Les Fêlunes ne dorment jamais. Lorsqu'elles ferment les yeux, c'est
uniquement pour qu'on se pose des questions à leur sujet, qu'on bâtisse
des temples de mystère autour de leur posture. Divinités venimeuses,
elles se servent de grands verres de notre électricité et- pendant que
les hommes discutent du sexe des ombres- viennent de plus en plus
nombreuses neiger sur la terre. 
Bientôt , à cause de la distraction des hommes, le monde -celui des
humains,  des chats et de toutes les espèces- sera recouvert d'un grand
tapis noir. Il respirera à leur place.  
 
Lorsqu'elles disparaissent, les Félunes changent de phase. La nuit,  pas
plus épaisses que l'arête des murs elles coulent en longues lignes
gelées, petites gouttes raides et noires glissées dans vos verres. Il
suffit qu'une seule d'entre elles touche les lèvres et le buveur mourra
dans l'année.
 
Nous avons tenté de prévenir les hommes, mais ils n'écoutent pas les
peurs des chatons. Ils nous tendent un bol de lait en souriant et
retournent dormir. Ils ont presque réussi à endormir le monde entier
avec leur lait sucré.  
 
Je vous écris cette lettre avec les mains d'un humain près de moi. Il
est très savant, il a trouvé l'endroit exact où me caresser derrière
l'oreille pour que j'oublie tous mes soucis et il sait lire les
mouvements de ses propres mains sur moi. Il ne vous parlera pas
directement, car les hommes ne se croient pas les uns les autres. Nous
ferons tout nous mêmes, tous les deux, lui et moi. Cette lettre est
juste pour vous prévenir. 
 
Je reviendrai peut-être longtemps après que vous ayez lu ma lettre. Car
nous sommes en train de construire, lui et moi, un grand filet à
Félunes. 
Ensemble, nous les attraperons toutes d'un coup, en un même mouvement.
Moi, je jouerai à courir dans ses jambes, et il tombera en criant la
bonne note pour les éparpiller en poussières gelées. 
Puis, je retrouverai les vraies chattes, nos mamans, pendant que mon ami
humain récupèrera de ses fractures. Quand il sera presque guéri,  petite
chatte noire juchée sur son plâtre blanc j'aurais vue sur le monde, je
surveillerai s'il ne reste plus de traces de Félune. 
Alors, il sera temps de vous ramener les mamans chattes. 
 
Himains, je vous le promets,  si quelques-unes de vos mères se trouvent
aux côtés des nôtres, elles reviendront ensemble, les unes dans les bras
des autres. 
 
19-02-2000
 
 
-- Mon ombre -- 
 
Demain, on opère mon ombre
Elle ne me va plus, disent-ils
J'ai trop aimé 
Elle est devenue plus claire que moi. 
 
Dans un vase sur ma table de nuit
Ils ont disposé l'équipe de chirurgie
 
Le chef n'était pas content
"Cette ombre n'est plus bonne 
Qu'à peindre la peau des livres
À caresser les oiseaux 
Comme un vulgaire soleil"
 
Son second renchérissait : 
"Le laxisme nous perdra
Il faut lui greffer une minuterie
Pour règler le temps de cuisson de sa vie"
 
Mais sur les lèvres d'une fleur  
Était écrit "embrasse moi"
Quand j'ai lu tout haut
Une épidémie de soleil les a tous terrassés
 
Depuis 
Mon ombre a retrouvé ses couleurs
Et me précède partout de quelques secondes
 
13-02-2000
 
 
 
 
 
-- Les pétales --
 
                 (Petits tsunamis de poche)
 
 
Une femme qui dort par terre. Une autre qui passe. Talons.  Sort une
bouteille de parfum. Un nuage pour elle. Un nuage pour l'autre. "Ces
gens là, ils vaudraient mieux qu'ils soient morts, au fond". Fermoir du
sac. "Au revoir". Par terre, l'autre ne sait pas quoi dire, alors elle
meurt. Le seul langage qui lui reste. À travers une larme, la femme au
sac pense "Si j"avais su, je n'aurais pas gaspillé mon parfum". Quand
elle s'éloigne, elle perd un pétale de son chapeau, le premier.
 
Une cave à rêves. Ils y vieillissent en fûts.  Peut-être faits de mon
corps. Je crois me reconnaître à une courbure désinvolte dans le
cerclage des tonneaux. Non, je peux toucher les rêves, donc ce ne sont
pas les miens. Le deuxième pétale sent le vieux bois humide. Il est un
peu enivrant.    
 
Une petite fille qui peint deux yeux bleus sur un citron. Rit de sa
trouvaille. Court la montrer à son chat. Décroche une rose pêche d'un
bouquet, la prend comme un téléphone. "Allô Minou ? Regarde mon citron,
il te voit. Comme il a des yeux, il ne piquera plus jamais les yeux des
autres, il sait ce que c'est maintenant. Je te laisse, on se rappelle". 
En raccrochant la rose pêche,  un pétale se détache, le troisième. Elle
regarde un moment le soleil à travers. Elle me le laisse, mais pour
cela, j'ai dû inventer des questions très difficiles aux réponses
qu'elle me donnait.  
 
Un homme très bizarre. Il a toujours de drôles d'impressions, comme la
sensation subite d'avoir trop de doigts. Ou celle d'être un instrument
de musique en réparation chez un luthier. Ou celle que les langues
étrangères ont toutes été inventées pour qu'il ne comprenne pas quand on
parle de lui. D'ailleurs, il a inventé un accent personnel, à lui tout
seul. Certaines de ses déformations sont belles. Comme celle de se
croire au bord de la mer où qu'il soit, même dans un salon. Chez lui, je
dois accepter plusieurs verres de vin pour obtenir mon quatrième pétale.
Il  croit que toutes les fleurs sont ses enfants, qu'il est jardinier au
long cours. "Vous savez, j'ai le secret de la vie, les fleurs naissent
dans les filles et pas le contraire". Je dois hocher la tête plusieurs
fois d'un air très convaincu  pour qu'il me tende le pétale. 
 
Puis, je dois faire un repas entier sur une table en pente, écouter
toutes les plaintes d'une vieille chaussure gauche, inventer de fausses
tables de multiplication pour un anglais excentrique, promener des
couleurs en ville comme si elles étaient des chiens etc...
 
Quelques pétales plus tard : 
 
Une perle de rosée posée sur le nombril d'une femme. 
Autour de lui, j'ai soigneusment disposés en roue les pétales que j'ai
réunis.
-"Pourquoi ?
" C'est pour que tu renaisses dans un jardin,  la prochaine fois ".
 
04-02-2000
 
 
 
 
 
-- Thé aux étoiles --
 
 
Il pose le ciel sur le rocher
À bonne température
 
Elle prend le feu sur ses genoux
Le rassure
Ils sont enfin arrivés au milieu du voyage
 
Doucement
Il règle la vitesse de l'arôme
Incline la pente des dunes de fumée
 
Elle fait cercle autour du thé
Allume l'eau
Se passe un peu de lune sur les lèvres
 
Elle remue la nuit
Pour qu'il n'attache pas trop au ciel
 
Ils boivent les feuilles d'étoile infusées
 
02-02-2000
 
 
 
 
- Courants de printemps --
 
Cette nuit j'ai planté la mer
Sans regarder l'heure 
Mes mains posées sur l'incendie des fleurs 
 
Sans lumière morte
L' encre invisible  
Des lettres peintes sur la porte
A posé sur le sol
La clé du duvet des oiseaux
 
Qu'importent
Les roues dentées les ascenseurs à chagrin
Les assiettes affamées les tessons de terre
Les momies des marteaux à briser les mains
 
Couchées dans le duvet des oiseaux
Rêves en forme de cerf-volant
Les deux lèvres d'une seconde
Rideau à faire le tour du monde
La mer est ronde
 
En face chante l'écriture des abeilles
Intailles et camées du soleil 
Toutes les eaux marchent sur un seul toit
Se passent les vagues au doigt
 
La nuit s'est levée
Bientôt l'été
La mer dort dans un duvet d'oiseau
 
21-01-2000
 
 
 
-- Lumière en bord de mer --
 
        Cette longue marche sur le tronc
        Remonte jusqu'à nos jours
 
        Ma terre tourne
        De monter jusqu'au soleil
        Escalier sans paliers
        Verre à regarder 
                La mer se lever
 
        Spirale
        Valse vertige
        Montée de sève
        Le soleil s'érige
        C'est la lumière qui rêve
 
        L'écume de sa prière
        Va mordre sur la mort    
        Nouvelles frontières
 
        Les éclats tournent sur l'eau
        Pinceaux à trouver les bateaux
 
        Angles arrondis
        Canifs à courber les caresses
        Je ne sais plus le temps
        Les albums à colorier
        Les cadastres fermés le samedi
        Les poignées des morts
        Les horaires des marées
           
            Long cou de pierre
        Dinosaure de la lumière
        Tu te penches pour boire
 
        Moitiés de gestes
        Si nos mains se rejoignent      
        Penchées au bord des blessures
        Nous recoudrons la terre
        La tige du phare par vent arrière
        Lune entière  
 
                Tombée d'en bas        
        Une graine pousse dans la lumière
 
        Cette longue lueur sous le phare
        Descend jusqu'a nos ancètres
 
 
 
 
 
 
 
 
-- Papier à vivre --
 
Je me suis lavé à la bougie juste avant de me réveiller.
Vétu de cire chaude, j'ai regardé en l'air. 
Les cheveux du ciel avaient un peu poussé et gravaient des chansons sur
la cire autour de moi.  
 
Je voulais boire tes larmes, les essuyer au soleil. Tu fermais doucement
ma bouche.  
J'aime penser à toi au début du jour. J'aime te voir quand il n'y a
encore qu'un demi-soleil. Et faire l'autre moitié moi-même.  
 
Aujourd'hui, sur le papier à vivre, mon rôle disait "Intérieur Vie. La
scène se passe dans une salle de vérité".
Ces nouvelles salles avec les écrans qui saignent, des puits mouvants et
humides où s'installer et des tailleurs de happy end qui arrivent
jusqu'à vous par les gouttes au bout des mèches et prennent vos
démesures. 
 
Tu seras là aussi. Tu es partout où je suis. 
 
Quelques épaisseurs de nudoté autour de ma peau,  je me suis bien calé
sur les accoudoirs des puits. La projection a commencé. 
Le rayon à images et à paroles entrait par les pores des puits. 
 
J'ai compris. Ces fameux nouveaux écrans, c'est nous, c'est dedans.  
 
En première partie, il y avait un documentaire de Méliès. Il parlait de
la lune qui marchait sur toi. 
Si les vivants étaient déjà nés, ils auraient parlé de trucages, se
seraient bouchés les oreilles avec du bruit. 
Je les connais trop bien. Ils aiment jouer à nous, insonoriser leurs
corps avec des boules qui-est-ce,  mais le résultat  ne nous ressemble
pas du tout. 
De toute façon,  à cette heure-ci, nous étions encore tous du côté
immergé, donc tout le monde croyait tout le monde. 
 
Dans la rue, les ouvriers réparaient les fils à nuit. Il y avait eu une
anti-panne. Il n'y avait plus que de la lumière, plus personne ne
mourait et ça commençait à faire désordre. 
Une tempête de vie levait de nouveaux arbres. Des nuages de graines
volaient dans le ciel. Furtivement, l'un d'eux avait pris forme de toi. 
 
Le film était animé. Il s'appelait "la revanche des feux étanches". 
Les héros se pousuivaient en roulant à berceau ouvert. Quand ils se
rattrapaient, ils sortaient leurs âmes et se donnaient la vie. 
C'était très bien fait. 
Je sentais les baisers autour de ma langue et réciproquement. Les
bougies brûlaient à flots.  
Cela ressemblait à ma vie, sauf que c'était mieux monté et que le héros
ne manquait aucun rendez-vous. 
Je te touchais. 
 
Mélangé aux perles de l'écran, mes mots enroulés à ceux du dialogue,
j'ai continué  de nager sur le papier à vivre.
Les ouvriers à nuit sont resdescendus de moi. Impossible de casser les
fils, impossible de t'éteindre. 
J'ai été déclaré zone émerveillée. 
 
Je suis sorti de la salle par le fond du puits et je t'écris sous des
trombes de bougie.
 
02-01-2000
 
 
 
 
 
 
- Largo --
 
 
Nos mots accrochés aux branches, nous brillons au dessus de la ville. 
Guirlandes à vos cous, nous vous faisons clignoter.
Il reste quelques heures dans les vitrines. Sur des diables lisses
tombent les châles des anges.
Verre aspiré, visage soufflé, tu regardes mes valises empilées. Pyramide
de seuils pliés, éventail d'encres polyglottes, un grand vent dans les
bronches interprête la tablature des marelles. 
 
Une femme irise mon ombre. 
 
Ses doigts déplient des carillons de plumes, cognent aux hangars des
poitrines, font tinter les cages à éclairs. 
C'est l'heure de la mutinerie des ruades, de l'abordage des soleils.
C'est l'heure où des langues d'or sortent des tiroirs, où décollent les
avions posés sur les plis des mouchoirs. 
 
Si je la danse, c'est parce qu'elle enlève les points des phrases.  
 
Elle les pose en grains de beauté sur la peau des murs et prononce les
voyelles des ouvertures. 
 
Tempête à lever les herses des sorts, tu pétris des voix, jette le
sommeil par les ouvertures de ma tête, chante les ruches à dormir
dehors.  
 
La ville, la ville est un grand cri d'oiseau.
Une femme ouvre les mains. 
Son nom descend du train, se pose sur le trottoir d'en face. Des cargos
aux cales remplies de ballons emmênent les grands magasins vendre leurs
filles en flacons sur des terrasses interdites aux rêveurs. 
Il n'y a plus que la forêt qui vivait ici avant la ville. 
 
Si je la respire, c'est parce qu'elle défait les pelures des trottoirs. 
 
Ton chant prend vigueur, lisse ses pointes, fait grimper les courbes du
jour en éventails secoués.  
En robe d'abeille, tu piques tous les arrière-pays, nous encercle de
Mers Rouges, nous propulse par le chas des aiguilles. 
 
Battent les flammes-faucilles. grimpent les bras qui s'écarquillent. 
Une femme à sa fenêtre agite des sémaphores, leur fait faire le saut du
chat, fait signe aux toits plus bas. 
 
Si je l'aime, c'est parce qu'elle entoure le monde d'un anneau qui
parle.  
 
Tes ailes, tes ailes flamboient dans nos niches à couleurs. 
Sonne le glas des morts en poudre qui pleuvent sur nos costumes de
scène.
Basculent les lames des tréteaux, saignent les couvertures à guillotine,
s'échangent les sercets des têtes hautes. 
Certains Arlequins ne rendent pas la monnaie. Il  faut toujours prévoir
des quartiers de peau entiers pour leur donner à manger. 
Tu te poses sur leurs couleurs carnivores, et les change en
fleurs-balançoires, et les offre aux enfants comme portiques à parfum. 
 
Passe une femme habilée de couleurs cadencées. 
 
Quelques trilles encore, quelques oranges bien disposées en successions
d'accord. 
Quelques cartes postales à ceux qui viendront en même temps que nous. 
Nous ne les verrons jamais qu'au cours de glissades, pendant les spasmes
de nos alphabets, sur les pistes d'envol de nos diaphragmes. 
 
Si je chante pour elle, c'est parce qu'elle prolonge mes doigts. 
 
Tessiture de brins d'herbe, ton chant s'enfle encore et rince les
écailles des puits, fait briller les parois des sillages. 
Les bateaux, les bateaux s'évasent dans nos veines.
 
Il est minuit, docteur Mengele. Vous ne tendrez pas nos chants auttour
de vos abats-jours.
Ici, une femme-joie découd les pas de l'oie.
 
Quand nous serons morts, nous dirons que le monde a voyagé dans nos
corps.
Surtout, continue à bouger, sinon la photo sera ratée. 
Montre moi la femme aux épaules qui savent lire. 
Tu l'as vue marcher ? Regarde son parcours dans la ville. elle projette
des gouttes de parfum sur la carte des rues.
Quand je vais la rencontrer, je me demande dans quel ordre je vais bien 
nous compter. 
Des mains sauvages roulent dans la mousse, délient les noeuds du bois,
donnent la parole aux maisons.  
 
Présence d'une femme qui bâtit les bulles d'un champagne de lilbellules. 
 
Les gammes, les gammes naissent du bruit des index sur les portes
Crèvent les tambours à tuer les rêves,  Claque la vie dans les plis des
voiles.  
Échancrées molécules, elle s'assemble en longues rayures sur les murs,
paraphe le sens de l'ouverture des volets des chateaux. 
Elle n'est pas ailleurs, mais partout.  
Ici, s'inventent les fourmis des papilles.
Ici les oiseaux couvent le ciel. 
 
Si je l'aime, c'est parce que la terre prend feu dans ses yeux
 
Corolles jointes, Alice passe par là en changeant dix fois de taille. 
Tourne un chat autour d'un sourire. Angles de vie, la mémoire ronronne
autour des troncs.
Corps plafonds, sérigraphies hanches à hanches, le soleil brille là où
des lèvres ont penché les eaux  plates.
 
Monte encore la voix du feu sur l'escalier du chant. 
Vanesse orante, lune à démaquiller les cavernes, tu prononces la
combinaison des coffres, démarre les moteurs à étoiles.
Et Dieu agite son drapeau, veut arrêter la course, et tes ailes nous
colorient plus vite que lui. Il nous passe le relais du monde. 
 
Cousus aux caniveau, quelques robinets à nuit aboient encore du gris,
mais déjà, la vie les ignore, fait ses courses chez l'empailleur,
fourmille de rubans, s'offre à elle-même.
C'est Noël qui décore nos arbres sous sa peau rouge. 
 
        4-12-99

 
"Donne moi tes mains, que mon âme y dorme"
- Louis Aragon
 
                                        -- Vitraux de neige -- 
 
Il marche dans l'église, il marche sous sa tête, s'imprime dans la
pierre. 
Il regarde le soleil s'aplatir contre les vitraux, comme un visage
d'enfant qui regarde des mystères derrière le verre. 
 
Ce visage tout contre le vitrail. Sa couleur est une expression. Rien ne
le protège de la lumière. 
 
Jadis, ici, il y a eu une bataille de boules de couleur et Dieu est
remonté tout essouflé de bonheur, a demandé pour Noël quelques hommes à
mettre dans sa cheminée. Ils font de belles flammes et crient avec art. 
 
Dieu a très peur des hommes silencieux et des visages qui regardent en
écarquillant les couleurs. 
 
Il neige, les flocons tombent en croix, se coupent sur le verre, brisent
la terre en la touchant.
 
Il pose sa main sur la rampe du ciel. 
Le plomb règle le chant du verre, trace les plans de la lumière. 
 
Il prie en éclats sur la pierre. 
Des poches fouillent ses mains, les percent de leurs pas. Il lève les
bras, devient arbre blanc, coeur penché, couleur assise. 
 
Peu à peu, il ferme ses yeux et neige vers le ciel. 
Il monte patiemment en cristaux de chant. 
Ses lèvres s'allument bleues, mais cela ne veut pas dire qu'il meurt,
juste qu'il fait beau dans ses mots. 
 
Dans quelques minutes, il reviendra, coloré de ciel d'été. 
 
En montant, sa tête a cogné contre la cloche. Les gens ont accouru,
croyant à un
mariage. 
 
Il laissera leurs yeux ouverts. 
Dans quelques instants, les siens neigeront en rayons dans les rues,
prendront forme de buée en couleurs, riront de brûler vifs dans les
paumes des gens qui prient. 
 
Alors, le soleil entrera dans l'église et viendra mordre les âmes pour
qu'elles s'éveillent. 
 
 
24-11-99
 
 

 
 
 
- Velvet --
 
Velvet, 
Je t'écris d'en bas de l'escalier. Quand je lacherai les mots, ils
rouleront jusqu'en haut. 
C'est ici que tu venais dans pas si longtemps. Sur ces marches. 
L'escalier montait et redescendait tout seul, toutes les six heures. Sur
ces vagues de bois, tu viendras hier. 
 
Ici, en novembre, pas mal de masques sont déjà tombés des arbres. 
Quelques mains sont déjà rentrées sous terre. Tu sais comme elles sont.
À l'approche de l'hiver, elles s'enroulent les unes dans les autres et
attendent la saison des gestes. 
 
Aujourd'hui, j'ai joué à deviner où tu seras. C'était trop facile, il
faudra que tu apprennes à repeindre les brins d'herbes en vert. Tu en as
laissé une touffe de toutes les couleurs. 
Et les champs de robes n'existent pas ici, Velvet, même si c'est très
joli quand elles ondulent toutes ensemble. On va finir par se faire
remarquer. 
 
Ensuite,  pour passer plus loin, j'ai peint l'entrée d'une maison qui
avait déjà fait sa fourrure. 
J'ai touché le bois de la table et il a parlé un peu. 
Il m'a raconté qu'un arbre t'avait vue essayer de ne pas pleuvoir et
qu'il t'avait proposé de t'abriter un moment dans ses cercles. Tu t'es
vrillée dans son bois, faite goutte tournante, et tu as bu toute sa
clarté. Sur le tronc de l'arbre devenu si sombre, s'y trompant
elles-mêmes, des étoiles commençaient à se former. 
 
Velvet, Velvet, ça me revient, je me souviens ce jour là, Une grande
bouche noire avait bien failli tous nous aspirer. Je sais, je sais,
"prudent n'est pas vivant !", me diras tu depuis dix endroits en même
temps. 
 
Un moment est passé, sans évènement spécial. La maison respirait
doucement. Seuls quelques fauteuils fantômes agitaient leurs draps
blancs et venaient s'asseoir sur nous. 
Puis il y a eu un orage de plaies et le plancher s'est recousu lui même.
Pris en lui, j'ai attendu tranquillement qu'il guérisse. Je n'ai pas
perdu mon temps. J'ai appris à fabriquer des souffles doux avec des
stores pour que la lumière caresse les yeux, et à tendre des peaux de
mots pour que la vie reste bien rouge. 
 
Je te vois, Velvet, tes cheveux s'enroulent d'impatience.  Tu sais tout
ça, Tu veux le début de l'histoire. Je vais me chercher et je continue. 
 
La table s'était arrêtée de parler et je me suis endormi un moment dans
un tableau au mur. Le tableau mentait mal, et c'était difficile de rêver
dans ses couleurs obliques. À chaque fois, je glissais sur leur pentes. 
Alors,j'ai sauté du cadre, mais pas du même côté. 
Je me suis retrouvé dans un endroit que je ne connaissais pas encore :
chez moi. 
 
Velvet, Velvet, regarde quand tu viendras avant. J'ai laissé un mot de
toi, lis le attentivement pour arriver au bon moment. 
 
Les feuilles sont redevenues vertes et nombreuses.  Je crois qu'ici
n'est plus novembre, je crois que je  suis rentré à la maison. 
Ma peau m'attendait à la fenêtre, je l'ai enfilée et elle m'allait très
bien. 
 
Une vague chauffe doucement dans la cheminée, pour les visiteurs de
passage. 
Je l'ai ravivée en lui racontant une histoire à réveiller. Je me suis
souvenu d'avant. D'ailleurs. Du temps où à  chaque fois que je
respirais, je croyais que c'était la dernière fois. 
 
Je suis assis dane une grande main. J'ai dû la trouver dans bien
longtemps, elle a l'air d'une main d'enfant. 
Velvet, regarde la nuit dehors. 
Tu as remarqué ? Je crois que cette nuit aura la la couleur de tes
cheveux. 
 
16-11-99
 
 

 
-- Bunker beat -- 
 
C'était l'hiver à Bunker Beat. Sauf autour d'elle. 
Les maisons se serraient l'une contre l'autre. Sauf la sienne
qui s'évasait, se dilatait de sa présence en son centre. 
 
Sur la vapeur gelée des mots, elle avait suspendu ce
panneau. 
"Laisse tes mains dehors. Suspends les aux arêtes du mur
avant d'entrer. Ou rentre les dans tes manches. Je ne veux
pas les voir". 
 
Pourtant, nulle autre femme au monde n'avait autant de
mains, autant de lèvres et de sourires accrochés aux portes
de sa maison. 
 
À Bunker Beat, des rideaux étaient tendus, des drapés de
soleil, des filets à pensées qu'elle relèverait longtemps après. 
Elle superposait les ombres aux ombres, pour que je ne voie
d'elle qu'une grande tache noire, imprécise, un visage de cire
sombre sur un corps fait de baguettes liées ensemble. 
Quand cela ne suffisait pas, elle tendait un grand paravent
devant sa peau et elle soufflait, pour que je rebondisse sur
cette écume de toile bombée, mouvante, folle. 
Autour d'elle, la vie ne dormait jamais. Porté à
l'incandescence, le béton de Bunker Beat palpitait en bulles
oranges, dômes de ventres rêveurs. 
 
Mes mains séchaient au mur. Caressant le béton, leurs
paumes frémissaient en s'épluchant. Mains jetées loin du
corps, étirées jusqu'à la mer. 
Se souvenant des siennes à elle, mes mains trouvaient les
portes secrètes des vagues. 
Elle. Mes mains gardaient un peu de son or chaud, la trace de
son soleil fluide mêlé au mien. 
Chaleurs chantantes, accrochées au vestiaire submersible,
deux mains pleuraient en longs rires, et je ne savais même
plus si elles étaient les miennes ou les siennes. 
 
Elle disait "pour me dire bonjour, embrasse ma joue, mais à
l'endroit où elle était il y a dix mouvements ou à celui où elle
sera dans dix pas". Alors, j'embrassais l'air froid où elle n'était
plus, où elle n'était pas encore. La chaleur de son corps y
demeurait toujours-ou déjà- par hachures, et mes lèvres
étaient un damier bleu et rouge. 
 
En désignant le toit, elle disait "entre", avec un geste large. 
Alors, je m'envolais comme une fusée et la vapeur de mon
cri traçait "je t'aime" en lettres enroulées autour des arêtes
grises. 
 
J'étais une grande fleur rouge dans le ciel blanc. 
Mes pétales retombaient sur les toits de Bunker Beat et ses
murs devenaient couleurs bâties, portes de peau tiède,
chants entrebaillés. 
 
 

 

-- Course tout contre le temps --
 
Corolles d'entrevies
Ses lèvres ouvrent la terre
Graminées balancées d'âme en âme
Le paradis halète
Filet d'air à l'aube trapèze
Elle vient boire au mouvement
 
Tissu soulevé cerceaux de souffle
Un lion saute
Et traverse l'anneau à son doigt

15-11-99

 

"Living is easy with eyes closed"
(Beatles, "Strawberry fields forever")
 
-- Herbe à rêves --
 
Boucles de tige ouverte
Au bord de la rivière en verre
La vie saute par dessus les arbres
 
Poudre offerte
Neige à la main verte
L'herbe à rêves dépasse du ciel
Dénoue les ancres de la terre
 
Rubans de frontières filles
Poussent tirent s'élargissent se recroquevillent
J'irai feuilleter ce livre ondulé 
Quand je serai entier 
 
15-11-99
 
 

 

 

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