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------------------------------------ " Prénom ? Neige d'été Ta mère ? Papillon de l'île douce Ton père ? Nuage à la fois sévère et gentil Saison ? Plage blanche Cheveux ? Baiser doux Avenir ? Me marierai avec la glace" - Romina, 8 ans ------------------------------------ -- Maeve-- Les aiguilles du soleil. Ma couleur, injectée dans la neige. L'extrême douceur d'un éveil blanc. Je tends les bras, Je me lève et je me souviens. J'ai froid ... Mais moins que ce monde. Maeve ? C'est mon nom ? Je l'ai trouvé là, sous moi, quand je me suis relevée. Il y avait des gouttes de lettres dans cette neige, des cristaux de noms. Il fallait vite les cueillir. Je les ai pris pour les lire dans ma main et ils m'ont bue. Je pouvais me relever. J'aurais voulu tomber dans le chaud des marelles, c'est trop blanc, ici. Et personne n'y joue. Il fait si froid que les cristaux de neige n'ont même pas l'impression d'être ensemble. Tout près de moi fume une pierre noire. Je l'aime. Elle est chaude dans ma main. Son grain porte l'adresse de toute ma vie. Je pose la lettre d'étoile contre mon coeur pour la lire. La pierre tourne les pages en changeant de note. Je la referme doucement. Maintenant, je sais tout son chant de chaleur. Je brûle un peu la couleur en moi. J'ai besoin d'éveiller mes roues. Alors, je cours, cours dans la neige, à faire flamber les flocons. Quand j'ai bien fait tourner les roues de l'âme de mon ventre, je suis bien. Je n'ai plus froid. Je réapprends à marcher mon souffle. Sur le givre, j'imprime un livre de buée. L'eau de mon souffle rit mon vrai nom. Elle suit les veines de la pierre pour écrire dans mon oreille "tu t'appelles Soleil Vert". Alors je sais que tu m'as laissé un mot. Je te lis, tu viendras plus tard, en été. Très bien. Je te laisserai ici une envie de mer, quelque part dans un brin d'herbe, le plus chaud. Il vient d'une graine-moi. Elle te dira combien de pas jusqu'à l'eau. Peut-être, je t'appelerai de l'intérieur d'une vague pour te dire "Prends ton soleil à pleines mains, lève la tête et suis les étoiles vertes". Il faut que tu saches, les étoiles, ici, ils les voient blanches et l'espace autour, noir. D'ici, ils ne voient pas que le ciel est un jardin. Ils ne savent pas non plus parler vague. Courir encore. C'est bon. La glace se pourpre à mes cheveux et du feu prolonge mes cils. L'air répond à ma peau. Plus je cours, plus je te vois, tu t'éveilles ici dans l'été. J'entends tes rayons de voix réchauffer la pierre à parler. Ma pierre blanche te tiendra frais jusqu'à la mer. Il faut lui parler en l'embrassant. Lorsque tu le feras, des feux follets viendront depuis toi jusqu' ici dans la neige me dire où tu es. Pour l'instant, là où je suis , le froid est encore assez haut dans le ciel, mais il va se coucher bientôt. Des hommes approchent. Je n'avais jamais vu des hommes d'hiver. On dit qu'ils portent en collier les larmes gelées de leurs ennemis. Vite, je me dessine à l'intérieur de moi. Maintenant, à leurs yeux, je ressemble à une goutte d'ambre. Un des hommes d'hiver invente un jeu grâce à moi. Il me projette , saute en l'air et me récupère de l'autre côté de son saut. Je grandis dans ses mains qui me lancent. J'aimerais qu'il m'amène jusqu'à la mer en jouant et en sautant. Mais il devra s'arrêter au bord. Ici, ils ne savent pas faire grandir les enfants dans l'eau. Je te vois. Tu viens de glisser du soleil. Tu viens d'arriver, tu as chaud. Tu rêves d'hiver. Tu ne vas pas te mettre à aimer ce temps de nuit et de silence ? La pierre blanche contre ton coeur, tu m'écoutes. "Je suis là, dans la mer. Je choisis des pousses d'eau pour les ramener à notre étoile. Elle nous a demandé de nouveaux jardins. Maintenant, embrasse la pierre" Sous mes lèvres, elle devient un chat vert. J'aime vivre avec lui, j'aime le bruit très doux de ses coussins sur la neige, j'aime marcher dans ses yeux et faire le vent dans ses poils. J'aime le réchauffer contre l'âme de mon ventre et son ronronnement me rappelle un battement de coeur qui aimerait à la folie. Viens vite. La mer est belle ici. Notre étoile va aimer les vagues dans ses jardins. Nous neigerons dans ses eaux fruitières, une pierre verte dans la main.24-11-98/28-03-2000
-- Les coureurs de couleurs --Tu poses un galet de bois dans ma paume. J'aime ce toucher d'arbre rond, j'aime respirer ce bois d'étoile. Je sais déjà que je grandirai toujours autour de lui. Puis tu ouvres un flacon de poudre d'ombre, en applique quelques grains sur mes paupières fermées. Tu m'expliques : "Quand la nuit tomberas tu sauras quelle poudre tu contiens".*** ...J'ouvre les yeux au milieu d'une étoile de tôle et de verre. Les voitures sont renversées. Il n'y a pas de morts dedans. Elles dorment, c'est tout. Elles doivent quand même avoir un peu mal. Je me relève. Je suis en plusieurs bouts, pas trop, je sais encore me compter. Nous nous tenons debouts à côté des voitures, les mains sur le coffre, comme si nous les avions chassées et capturées. À l'intérieur du coffre, tes flacons de poudre d'ombre. Chacun d'entre eux contient une nuance de nuit. Je me souviens de tout, maintenant. Nous sommes des coureurs de couleurs. Des fous payés très chers pour peindre avec des chocs. J'ai peur que mon corps devienne un jour une décoratiion de jardin. Le dimanche, pendant que les gens le repeindront, ils se protègeront de mon âme avec de la crème solaire. Ils disent déjà que je suis une photo dans un flacon, une poudre de visage. Le soir, ils me posent sur une chaise, me caressent en souriant. Et tout le monde porte un toast, à l'alcool d'ange. Puis ile me laissent, je rentre seul le soir, m'attable à la place du mort, à côté de photos de familles souriantes. Je me couche tôt, bien plié dans le tiroir du mur. Je rêve seul aussi. Et les photos dans mon lit n'ont pas grand appétit.***... J'entends le tiroir s'ouvrir. Toute la terre se colore peu à peu de nos courses folles, de nos éclats de verre. Nous roulons si vite que toucher de la soie nous déchirerait. Le coeur de nos voitures bat très fort. Leurs fauteuils sont découpés dans des robes noires, des robes de sirène. Dans leurs écailles, les vents déroulent des souffles salés de songes. Cette nuit, j'ai révé à toute vitesse, avec de très belles couleurs. J'ai rêvé que je peignais un loup, chaque poil d'une nuance différente. Il était si beau à voir que plus aucune feuille ne tombait jamais pendant l'hiver. Et les photos prenaient vie, dans le lit. Elles avaient faim. Pendant la dernère course, j'avais bu trop de tempête. Je ne savais plus marcher, juste traverser les voitures par les portières, laisser quekques traces de doigt sur la poudre d'ange, au creux de l'oreille des loups.***... Tu colores tes seins de jaune d'or, avec les pointes bleues. Ensemble, nous éclairons la route pour les voitures. Sur ta peau, j'écris : "Je t'ai versée dans mes gestes." La nuit tombe. Tu disais vrai, je sais quelle poudre je contiens. Je suis un flacon autour d' un autre flacon et ainsi de suite. Ta poudre d'ombre me parle en parfums sur mes paupières, profonde comme un puits de mémoire, capiteuse comme un drapé de souffle. Par ma main ouverte, je me verse en étoile, en suivant la direction de chaque doigt. À la vitesse des couleurs, nous écartons les bords du monde.15-03-2000"Cela remue la question éternelle : la vie est elle toute entière visible ? (...) toujours la vue des étoiles me fait rêver(...)pourquoi les points lumineux du firmament nous seraient-ils moins accessibles que les points noirs sur la carte de France ? Si nous prenons le train pour nous rendre à Tarascon ou à Rouen, nous prenons le train pour nous rendre dans les étoiles..." -- Vincent Van Gogh, "Lettres à Théo" ------------------------------------------- -- Cailloux blancs -- Ciel vert, longues feuilles brouillées, tranchantes pourtant, opaque respiré aux fentes végétales des yeux inquiétants. Un temps de chat. Un temps à voir trop de soleil à la fois. Je crie dans l'huile, renonce à la pâleur. Cette nuit j'ai dormi dans la grande jarre d'Arlaten. Mon corps a pris de nouvelles courbes. Et mes traits de nouveaux mouvements. Arles est entourée de champs d'étoiles. Arbre bleu de Prusse, sieste douleur au chevalet des plaies cigales. Sangsues en capuche, des chevelures carnivores s'abattent sur mon front, usent mon cou frotté sur le fil de l'horizon, enlacent ma poitrine de paniers étroits. Seule geint mon ombre étranglée, seul saigne mon souffle éclaireur. Ici, je sais les sources polychromes. Si je coupe mon oreille, c'est pour pouvoir entendre la lumière. Pour le moment, j'entoure encore la moindre pierre d'un cercle de rayons. Une main invisible semble les faire tourner sans cesse, comme un enfant tenant une fronde. Immense disque citron. Oreilles de coquillage, fleurs brûlantes, des gestes d'ange entourent mes poignets, orientent mes gestes vers le sexe du delta du Rhône, cerclent mes lèvres de lueurs navigantes. Peut-on peindre avec des baisers ? La lumière me mord. Ma sueur-palette lance d'autres traits tournants, court en magmas volants, en ruches d'auras bourdonnantes autour des visages en feu. Ces flammes dissimulent ce qu'elle montrent. Un vent rouge passe devant mes yeux. Je voudrais savoir peindre le mistral. J'aimerais une femme de toile. Prise avec moi dans la corde des couleurs. Ses baisers à bout portant. Je serais son tableau, elle me signerait avec sa langue trempée dans l'or. Mais la journée va bientôt s'achever. Je n'ai plus assez de sang pour payer la bougie, cette nuit. Il me faudra retourner remplir la jarre d'Arlaten. Au matin, on y trempe des bébés dans la couleur, puis on laisse le mistral les allonger jusqu'à la nuit. Je vous écris ces mots-visages, cette lettre suspendue à un mur. Lorsque vous l'ouvrirez, l'air rentrera dans la chambre et j'aurai déjà pris le chemin du Nord., le dernier. Tout à l'heure, je naîtrai à la lumière. J'ai chargé mon pinceau de balles de couleurs vives. Tout à l'heure, je me tirerai un soleil en pleine tête. Je sortirai d'abord par la porte de la Cavalerie, en direction du Nord. Il fait nuit partout sur les champs d'étoiles, mais il fait encore soleil dans la jarre quand j'ouvre les yeux. Un jour, les gens viendront en file visiter mon corps, exactement comme ils viennent à Glanum regarder les pierres. Il y aura des éclaboussures d'or jusque sur les corbeaux. Constellation de l'oreille coupée, mon cri entend le pinceau du ciel.25-12-98/14-03-2000 "Et dans un tableau, je voudrais quelque chose de consolant comme une musique" --- Van Gogh"Tu as le détonateur juste à côté du coeur" -- Téléphon-- La bombe humaine --Dans ce pays il n'y a pas de cendriers parce que rien n'arrive à s'éteindre la pluie ne s'y pose jamais On y plante des flammes centenaires des arbres de soleil des bateaux debout des feux de berceaux des îles à boire L'été des incendies de sève font déborder les forêts j'abats les cercueils Musique au bout du fil depuis là bas depuis moi ta voix a la main verte je raccroche la mèche j'aiguise la lumière comme une âme de rasoir11-03-2000--- Coeur à étages ---Gravés sur un arbre d'architecte j'ai trouvé les plans d'un coeur sans ascenseur Au milieu du patio une fontaine à pétales des coussins en plume de peau Un grand lit en soleil massif on y entre par une chatière pour y passer un examen de lumière Du jardin en terrasse on s'envole tous ensemble à la belle saison comme une grande famille d'oiseaux12/13-03-99"Il en est de ce que nous faisons et de ce que nous pensons comme de la courbe extérieure et de la courbe intérieure d'un vase : l'une modèle l'autre." -M. Yourcenar M. Yourcenar "Les yeux ouverts" -- Ville de sable -- Sur les draps du livre était écrit "Ville de sable". L'écriture des plis bouclait mes valises. C'était juste quelques semaines après ma mort. Je ne m'étais jamais senti aussi bien. Il faut mourir de temps en temps, c'est très bon pour la santé. Je laissais tourner tout le jour un ventilateur près de mon visage. Pas un ventilateur de magasin. Un sauvage, capturé dans le livre, fait d'un cercle de plumes de couleurs. Pour revivre, je devais embrasser les plumes tournantes sans me blesser. Mes mains prenaient un peu d'encre sur le livre et venaient danser devant moi. Elles portaient la moitié des mots et je devais trouver l'autre. Quand j'avais deviné une page entière, je pouvais dormir. J'éteignais les plumes pour la nuit, bordait le livre autour de moi et m'endormais dans une lettre. La nuit, le livre s'évadait de moi, venait chanter sous ma fenêtre, m'appelait. Une de ses images avait fini par entrer en remontant le courant de la vitre. "Je m'appelle Nour. Je viens rêver dans ton rêve. J'aime bien naître de temps en temps, ça me maintient en forme. Me prêterais-tu tes plumes ? Elles donneraient des souffles d'ombre à la ville de sable, poseraient des rubans autour du soleil, guériraient les arêtes des maisons. S'il te plaît, détache moi du livre, pour que je soigne ma ville. Je reviendrai souvent et j'aurai beaucoup de choses à te raconter". J'attendais le moment de revivre en fixant les plumes avec le regard de mes lèvres. Mais j'ai écouté Nour. Je l'ai détachée du livre comme elle le demandait et elle est partie en suivant le courant de la fenêtre. Comme elle l'avait promis, elle revenait chaque nuit rêver dans mon rêve. Elle m'emmenait dans la ville de sable. Nour et moi aimions nous lancer doucement des reflets de lune, en marchant ensemble sur les toits, sautant de terrasse en terrasse. Nos pieds nus riaient de voir les plumes tourner si vite. " Rien que de les regarder, j'ai des chatouilles qui dansent sous mes pieds" plaisantait Nour avant de sauter sur le toit suivant. La lune était blanche. Les arêtes des maisons de sable tremblaient sous le regard de Nour, s'arrondissaient un peu, pouvaient dormir enfin quelques heures. Des croissants de maison poussaient à l'ombre de sabliers. "Nour, les grains dans le sablier ont exactement la couleur des plumes !" Elle ouvrait les mains et me souriait. " Tu as remarqué ça, toi ? Alors, tu peux savoir la suite. Ces maisons-là ne sont encore qu'en croissant. Mais quand elles seront pleines, elles remplaceront les anciennes. C'est là qu'il me faut tes plumes" "Pour creuser les terrasses ?" "Pour que les sabliers en fassent des grains. Sans les couleurs des plumes, les grains n'écriraient pas. C'est eux qui ont formé chaque lettre du livre, ils ont écrit "Nour" pour me faire vivre, et fait surgir toute la ville de sable." En attendant d'avoir ses plumes, elle m'apprenait des choses. Elle me faisait regarder l'envers des lettres du livre. Elle m'emmenait dans les rayons des rues, pour que je regarde grandir sa ville. "Si le sable vient dans les lignes de tes mains, attends la nuit. Quelques grains se mettront à briller. Ils indiquent la température de ton âme . Ne te demande pas ce que cela t'apporte. Ce n'est pas pour toi mais pour les étoiles. Il est important pour elles de savoir si tu es une âme froide ou une âme chaude." Une nuit, Nour est venue avec une cruche. Elle voulait la verser sur le livre pour que les maisons de la ville de sable puissent boire. D'un mouvement de bras, elle lançait la cruche vers le ciel. "Veux-tu que je t'aide à la remplir ?" Nour a éclaté de rire " Je ne la remplis pas ! Je la vide ! Je la vide même de son air. Lorsque les étoiles sauront la température de mon âme, je me verserai dans la cruche et je donnerai à boire à ma ville" Les mots de Nour m'ont fait sursauter. Tellement que j'en ai réussi l'épreuve du baiser. Alors, je lui ai donné ses plumes. "Quel mot as-tu pensé au moment de les embrasser ?" "Toucher" "Je dirai ce mot là en soignant les maisons de la ville de sable" Nour s'est tue un moment, le temps d'embrasser du regard la succession des terrasses. Elle aurait bien fait encore quelques sauts de toits Puis elle m'a souri "Je dois partir, mais je vais revenir te donner des nouvelles de chaque grain de ma ville. En attendant, ne mets pas la main sur la bouche des pierres. Pose-y tes lèvres. Une pierre peut être une plume déguisée. Je pars et le livre va se blottir autour du souvenir de mon visage. Tu dormiras dans le cercle de l'image. J'arrive et je reviendrai chaque nuit rêver dans ton rêve. Tu peux renaître, maintenant. Ne ferme jamais la porte du milieu du monde. Il faut que ses deux moitiés puissent toujours se rejoindre" J'ai regardé à mon tour les terasses de la ville de sable. "Nour, je vais écrire sur les toits des maisons blanches. Je vais écrire le livre de ta ville pour que tu puisses venir me voir une nuit, et me demander mes plumes" Nour a noué ses cheveux pour qu'ils passent tous ensemble avec elle, Puis elle a sauté dans la fenêtre. "Écris le livre ! ". Assis sur la terrasse, j'ai ouvert la première page du livre de la ville de sable et j'ai écrit les premières phrases de mon carnet de voyage : "Bientôt, Nour reviendra, la ville de sable sera guérie. En attendant, je laisse la vie sourire avec mes lèvres" 12-03-2000--Feu nacré--Je lis dans ton oreille : "Un coquillage dans la neige. Escalier de nacre, il descend vers le centre de la mer, rougeoyant toujours plus, jusqu'à dessiner une longue spirale flamboyante, une conque de feu où tu sauras écouter le soleil et rayonner sa mémoire..." Il neige sur l'eau. Je marche, plonge mes pieds dans les cristaux, y entre tout entier, deviens transparent, éternel, unique. J'entends le cri du silence blanc rythmer ma mort muette. Je laisse une longue traînée poudreuse, croise des sillages gelés sur des visages lisses. Ils montrent les traces du givre sur leurs joues pour faire croire qu'ils ont pleuré en été. Mes mains émergent de la neige, cherchent à escalader l'air froid, glissent sur des parois à la fois invisibles et sourdes. Retournées entières dans la terre, elles construisent des oiseaux. Puis, habillé d''une gangue luisante et sombre, je fais face à la mer, sur la plage de neige. Je me démembre et laisse mon sang colorer la neige, jusqu'à ce que la plage ne soit plus qu'une rose couchée léchant la mer. Suivant la forme de l'intérieur du coquillage, je traduis le chant secret que l'on entend dedans. J'élève des chateaux blancs, des bonhommes de rêve et de sang, d'or et de soie mélés. Pour les fenêtres, j'y dessine des étoiles. Lorsque le château est fini, j'imprime ma trace sur la neige salée, le tout dernier mouvement de ma main. Restent la neige sur les vagues, le château aux yeux d'étoiles, quelques enfants qui jouent à se lancer des oiseaux de neige et tous ceux qui continuent à vivre devant. Tourbillon glacé, je cherche longtemps à me reconstituer. Palpitation tiède, coeur battant de l'hiver, quelque part dans le sommeil de mon visage. Eau brûlante, je vis. J'entends dans tes yeux : "...Un coquillage de peau et de rêves, un long corps couché, roulé comme les pages d'un livre sacré. Il monte vers le ciel, toujours plus bleu, dessine un long mouvement ascendant, un pays d'eau où tu sauras parler au ciel et construire les ruines de l'indifférence."22-12-98/7-03-2000She slips her dress like a flag to the floor And hands in the sky Surrenders it all... -- The Cure-- Un coeur sous les ailes --Collés sous les ailes de l'avion, ils attendent de passer au dessus de la mer pour lire le nom du ciel dans son reflet. Étendant leurs bras, ils prononcent les syllabes d'une autre langue, celle du pays où ils vont. Ils pourraient la rassembler à l'arrivée, la retrouver dans leurs bagages. Mais ils n'en n'ont pas. Leurs mains sont restées en bas à parler l'ancienne langue. Ils sont deux moitiés d'un coeur, chacune dessinée sous une aile d'avion par deux mains enlacées. Passagers du destin, ils joignent en fraude leurs deux moitiés de coeur dans les pétales du réacteur. En voyageant près des flammes, ils emmagasineront un peu de chaleur, juste assez pour atterrir vivants. Loin, en bas, au pays de l'ancienne langue, les deux mains qui ont dessiné les coeurs sous les ailes regardent les horaires des oiseaux. Deux paumes bleues deviennent rouges. Mach 1. Quelques traits sous les ailes. Le réacteur fait fondre le coeur, puis le vent le givre, puis il reflambe. Il bouge, grandit très vite de ce battement. Les mains se sourient. Tout en haut de leurs doigts, un coeur bat. Ensemble, elles apprennent un par un les premiers mots de leur langue. Dès leur arrivée, elles viendront le long de la piste, courront en tenant un volant imaginaire, un gyrophare au dessus de leur tête. Une moitié de coeur sous chaque aile, elles voleront au secours de leur dessin. Plieront les ailes de l'avion pour que les deux moitiés tiennent ensemble dans une seule main. En dessous de l'avion, deux moitiés de coeur se regardent, pensent à ce moment, se lancent d'une aile à l'autre des soleils de givre clair. L'espace au-dessus d'eux leur est invisible. Ils inventent son visage en écoutant le frottement du vent sur le métal. Sous le ventre bleu du ciel, ils clignotent en s'inclinant; appellent l'épaule de la terre. Sous les ailes rouges de l'arbre, les coeurs rêvent à de grandes fêtes de feuilles sur la toit des maisons, à la course des mains sur les tuiles du jardin. Sous les moitiés de coeur, ils écrivent une étoile pour faire croire qu'ils ne savent pas signer. Mais quand un oiseau vient vérifier leurs papiers, ils éternuent un trou d'air et raturent le ciel avec des éclairs. Tout explose à l'intérieur des moitiés du coeur. Dispersés, quelques atomes se lancent des phrases en l'air, mais l'altitude rajeunit leurs mots. Ils naissent d'éclater si haut. Après l'orage, on ne retrouve plus personne, rien que nous tous. Les autres ont sauté vers le ventre de l'avion, loin, couchés dans le noir, au centre de l'histoire. Si nous la racontons, c'est que nous étions là depuis le début, tout contre le coeur, juste de l'autre côté de la paroi, à portée de nos mains. Nous les voyons très bien, maintenant. L'avion va atterrir. Le manque d'altitude les fait déjà dormir. Ils posent leur étoile sur leurs paupières. Au pays de leur nouvelle langue, plus personne ne les lira en sautant des syllabes. Ils n'auront qu'à fermer les yeux pour éblouir. On les a arrêtés à l'arrivée, dessinés sous les ailes de l'avion. En attendant de retrouver leurs vrais corps, les policiers, assis dans les réacteurs interrogent les traits clandestins, pendant que les coeurs serrent des mains. Une lampe droit dans les yeux des deux moitiés de coeur. Ensemble, ils baissent leurs paupières et la lampe avoue. Elle était avec eux sous les ailes, les surveillait, aveuglait les oiseaux de peur qu'ils sachent les lire tout haut. La lampe parle, parle, parle : "Moi, je ne sais pas voler en deux moitiés. Je ne parle pas la langue des coeurs sous les ailes. Je n'ai qu'un filament à l'écriture en feu d'enfant. Ma lumière suit des doigts votre carnet de bord. Vous avez écrit la dernière ligne de l'histoire sur la vitre du cockpit. À l'envers. Sans doute pour que les oiseaux vous lisent directement sans devoir entrer dans l'avion. Les mots gelés disent " Nous vivons". Vous voyez, nous savons vous lire." Assis sous la lueur, les coeurs regardent la nuit en face. "Moi aussi, j'ai été bleue" murmure la lumière de la lampe. "Mais nous ne pouvons pas vous laisser en liberté". Enfermées dans une fleur, deux mains rêvent l'une dans l'autre. Dans un pétale, elles ont découpé une étoile pour respirer et savoir lire notre langue au réveil. En déchiffrant le dessous bleu des avions, les mains liront notre ciel à cinq branches.5-03-2000It's deep and dark, like the water was The day I learned to swim. -- Kate Bush -------------- Marée haute --L'eau frappe le ciel. Elle ouvre sa gueule par étincelles brèves. Dans les lignes de pluie horizontale, je prends une douche en croix. Je suis assis dans mon coquillage. Je l'ai garé sur le parking, mais ensuite j'ai longtemps hésité à sortir. Au bout d'un moment j'ai posé le pied sur la terre. Elle était bonne. J'ai inspiré à fond, mais juste avant de sauter je me suis rattrapé à temps. Dépassant à peine de la terre, elles étaient là, leurs ailerons rouges embaumant chaque grain du parking. Derrière la vitre de mon coquillage, j'avais laissé un bon de soleil, valable deux heures. Je l'ai recollé pour qu'il ait l'air périmé. J'ai fermé ma peau à double tour . Je m'en tirais bien : quelques morsures de parfum, seulement. J'avais honte de mon air resplendissant. En pulvérisant un peu de sang et en écartant un peu la plaie, cela ne se verra même plus demain matin. Dehors, la mer s'étend, fait de nouvelles pousses sur les maisons. Les murs se couvrent de bleu, de plus en plus sombres. Les maisons deviennent de plus en plus profondes et maintenant, il faut être capitaine au long cours pouravoir le droit de les habiter. Sinon, pour le commun des mortels, il y a des vagues pas chères. À la lisière du parking, les fleurs tournaient en longs cercles rythmiques autour de mon coquillage, attendant patiemment que je sorte. Leurs ventres rouges tendus, leur pétales un peu creusés, leur tiges nerveuses, tout le corps des fleurs criait leur faim. Le ciel grondait en entrant dans les criques, les nids de rochers, les grottes où séchait la lumière. Il prononçait des voyelles graves, sourdes. Il parlait depuis nos ventres. Et la mer s'assombrissait, enflait de l'appeler. L'eau noire faisait siffler ses crètes et claquer son varech. Elle voulait pleuvoir vers lui, s'élever en vrille, puis l'inonder de souffle et saler les étoiles. Le soleil n'a plus pied. Des enfants sortaient de l'auto-radio. J'éteignais, la file s'arrêtait. Je rallumais, ils revenaient. Je les ai aidés à traverser, d'une portière à l'autre. La chanson s'appelait "Enclume à écume". Un petit garçon fermait la marche, un cartable sur son dos. Il s'est retourné vers moi, m'a lancé quelques notes juste à ma taille. "Hé, petit, tu vas où ?". "Moi ? Je ne bouge pas, c'est la route qui se déplace". Il avait l'air de se moquer de moi, mais j'ai gardé les notes. Si les choses se gâtent vraiment, je m'appuierai sur elles pour marcher sur la terre. Les fleurs les respectent. Au dessus de ma tête, l'eau est de plus en basse, de plus en plus sombre. Je suis déjà obligé de m'accrocher un peu à des brins de terre. Je cliquète et crépite, me craquèle pour dégoûter les fleurs. Je ne veux pas de leur baisers. Je ne veux pas pleuvoir vers le haut. Je... Horizon rouge sur des bruits de soleil. Un couple de vieux passe, un cartable sur le dos. "Beau temps pour la pêche aux fleurs" La mer forgée grésille d'amour.1er mars 2000-- Le souffle d'Amina --Quand ils m'aperçoivent, les gens du plateau se serrent un peu plus les uns contre les autres. Me regardent poser le Chemin de Nacre. Cela fait des années que je viens ici me brûler sur les rochers. Les anciens les peignent en couleurs douces pour éventer mes yeux et protéger la nacre du déchirement des arêtes. Les anciens m'aident. Ils couvrent toute la gamme et répondent toujours aux questions que je ne pose pas. Je leur tend un de mes coquillages et demande "Où est-elle ? Que fait-elle ?". Un ancien en Do écoute et m'explique alors "Amina pleut sur la mer. Elle monte au mât des crètes et, à travers l'écume, elle te voit avancer". Coquillage par coquillage, un jour j'atteindrai la mer. Les rochers en rient. Sauf ceux aux couleurs douces peints par les Anciens. Eux sont de mon côté. Tard la nuit, les pierres se resserrent parfois sur moi. Ils ne veulent pas que j'atteigne la mer, ils ne veulent pas qu'Amina revienne. Les rochers peints veulent bien. Les autres, souvent, tuent les anciens qui m'aident. Tard la nuit, alors que je me suis lové dans un coquiillage et que je vais m'endormir dans la nacre, j'entends la pierre d'Amina qui gronde. "C'est ainsi depuis 3000 ans" m'apprend un Ancien en Mi, réveillé pour l'occasion. "Amina appelle sa pierre depuis la mer.". La mer. Certains jours, je crois déjà lècher son sel bleu. Un ancien en Sol m'enseigne : "Aujourd'hui, Amina rit dans l'eau. Elle sait que tu approches. Elle appelle un coquillage-toit pour la protéger et un coquillage-coupe où elle puisse se verser. Garde lui les deux plus beaux Tu es sur la bonne voie, mais fais vite". Le vent se lève, écrit sur le sol, dérange un peu les coquillages, fait onduler la nacre. Alors, le plus vieux d'entre eux, celui qui chante la note la plus près du soleil, répond "c'est le souffle d'Amina". Puis, il sonne une cloche à sa note. C'est un Ancien en Do, le plus rieur. Il peint les rochers en vert, y ajoute des lèvres prononçant un début de mot. Il tourne vers moi son visage ciselé par les vents du plateau. "Je chante la note la plus près du soleil. Je suis celui qui voit de plus haut. Je viens de voir une grande vague. Amina t'appelle. Elle veut te voir rapidement". Il conclut. "La Voie de Nacre est une voie faire d'eau et de soleil." Maintenant je vois la mer sans avoir besoin de la rêver. Elle est là, juste devant mes yeux. . J'ai posé le premier coquillage sur l'ancienne pierre d'Amina, celle qui a trois mille ans. Je vais lancer le dernier à Amina, elle le posera sur une vague, sa nacre face au soleil. 26-02-2000"(...)et puis, quand on a bien regardé, il faut prendre la feuille de papier, et dessiner avec les mots ce qu'on a vu." -- JMG Le Clézio -- Les doigts de la lumière -- Longue ligne tremblante dans le désert. Caravane nue, elle ne transporte rien, aucune marchandise. Juste les enfants sans prix. Il dorment dans les bosses des chameaux, montent en graine dans son balancement doux. Les yeux en marche boivent le soleil et attendent la nuit pour briller. Dans les bosses des chameaux, les soleils en graine, les pousses de lumière se retournent et têtent les étoiles. Lorsque ces yeux là regardent à travers un seul grain, ils savent voir le monde entier en un coup d'oeil. Vue de haut, la caravane dessine un mot. Patiente, elle écrit sur la terre, attendant que nous apprenions à lire le langage de nos pas. À chaque étape, au miieu des bosses du soleil, les enfants dans les dunes des chameaux nous apprennent à lire une nouvelle lettre. . Belle courbe des mains allongées sur la sable. Vient le temps du repos. Chacun choisit son étoile avant de fermer les yeux. Ronfleur de sagesse, un des Anciens dit en dormant "rien de plus brillant que la nuit" et les chameaux rient en l'imitant. Et, au fond des bosses des chameaux, les enfants rêvent de dunes de mousse verte, de grains de sève roulés sur la peau de la terre. La carte des sources tient dans les plis de leur sourire. Ici, la vie est un rêve palpable. Nous marchons. Soleil nus sur les cordes de pluie, les doigts de le lumière inventent les couleurs nomades Vaste cercle du ciel bordant le voyage. Anneau de feuilles fraîches pour éventer la fatigue. Une arche de couleur, comme un pont au dessus des dunes. Nous sommes ce fleuve , nous coulons vers notre naissance. Le jour se lève, il pleut. De la mousse s'est formée sur les bosses des chameaux. Nous marchons, prononçons le chemin, procession de syllabes, mots d'un seul sésame, nos corps se balancent et, dans les dunes des chameaux, les grains de vie allument les puits dans nos pas. Et nous marchons encore, les pieds durcis de cailloux, les mains allongées par le vent, jusqu'à ce que nous ne puissions plus jamais les ranger, plus jamais les fermer. Nous sommes ces mains ouvertes, feu à cinq doigts autour duquel les chameaux se repèrent sur les feuilles du ciel. Au milieu des bosses dessinées par nos gestes, juchés sur les étincelles de nos yeux, les enfants polychromes colorent la pleine lune. 12-01-99/ 24-02-2000- Une rose bleue -- Intérieur cendres Dans ma main en coupe Je bois les orages fertiles Encrés de foudre Imprimés Je nous lis sur les lèvres Feuilles de champagne Enfants en friche Soleils-souffles millésimés Nous sommes ces bulles emmêlées Bouquet de feux verts Feuilles de loups-lierres L'incendie de mer Brûle la lumière L'encre bouge Passe la pluie au fer rouge Toute une garde-rose Mes baisers sur des cintres Tu ris et t'en habilles Origami de ciel Calligraphie de parfums Une rose bleue rit dans ta main Les roses sont fruitières Dans ton jardin 23-02-2000- Fleur de loup --Je tiens ma photo dans ma main. Elle est lourde de beaucoup de temps et il me faut les deux mains pour qu'elle tienne. Papa a eu une drôle d'idée de la traiter comme ça, en noir et blanc et de la vieillir. On dirait ma grande soeur dessus. Il dit que je suis une jeune enfant mais une vieille envie. C'est ma photo de plus tard, c'est pour ça qu'il n'y a pas encore la couleur. J'aime bien le temps, parfois il me tient chaud. Emmener ma photo de plus tard à l'école, pour faire peur aux autres filles, j'adore. Les autres filles, elles sont trop bêtes. Dans la cour, elles me disent sans rire qu'elles sont nées dans une rose. Et puis elles sautent sur une jambe. Les pauvres, elles auraient vraiment besoin d'un docteur vite fait. Comme si une fille pouvait tenir dans une rose ! Heureusement, ma maman à moi sait la vérité. Je sais faire peur aux autres filles avec la vérité. Quand c'est mon tour de parler, je les regarde bien en face. Et je leur explique : " Je suis née dans une louve, au milieu d'une forêt très parfumée". D'ailleurs, maman m'appelle toujours "Mon p"tit loup". Quand j'ai fini de parler, je ne me mets pas à sautiller sur une jambe comme une débile, mais je les regarde avec les yeux qui brillent noir et je me passe la langue sur les lèvres. Les plus peureuses poussent un petit cris de souris et s'enfuient, les autres se balancent un peu. Aucune ne rigole. C'est le bon moment, celui où j'adore sortir ma photo. "Mais c'est toi". "Oui, toi, mais on dirait toi plus tard, mais aussi toi au début du siècle, j'y comprends rien". C'est là où je leur explique que j'ai trouvé une recette magique, une recette de loup pour exister à plusieurs époques. Là, elles détournent leur regard de la photo et me fichent la paix pendant au moins une semaine. Des jours de rêve, pendant lesquels je n'ai rien à demander, j'ai toujours les meilleurs bonbons et elles m'apportent toutes les images de loup que je veux. Je les mets une à une dans mon carnet de loup, que je remplis devant le mûrier, dans le jardin, jamais ailleurs. Je colle une image et, quand personne ne me voit, je la trempe dans l'ombre de l'arbre. Hier, il m'est arrivé quelque chose de drôle. J'ai posé ma photo de plus tard sur mon carnet de loup. Et les yeux de la photo se sont mis à briller. Je n'ai pas eu peur. Au contraire, j'ai très envie qu'elle se transforme complètement.À "Chateau de sable" de Mireille, un poème-être vivant, tellement magique qu'il a engendré celui-ci.
-- Or vivant --
Une petite fille aux yeux de soleil prend une couleur volante dans le bouquet de tes plumes d'enfant. Dedans, elle prend tes mains et ta voix, souffle sur les plumes et mélange, te lit en chantant. Après, elle cueille l'encre de vie dans ton jardin de livres, et le vertige de la vie l'écrit. Elle tourne et tourne et tournoie sur elle-même, page par page. Ses pétales, son lierre de lune font la vie-mouvement. Lorsque le ciel prend racine elle boit la plume de ton prénom, lève la tête et ouvre le livre, lit ce que nous sommes : Or Elle envole fleurir l'animal né de tes lettres. Le livre-loup est chaud, doux et vivant. Il porte le parfum de la vie. Avec, longtemps, elle sculpte une coupe à recueillir le soleil. Elle prend soin de ne pas la construire trop près du vent, pour la protéger de la tempête qui ne le soulèvera pas avant quelques souffles. Elle imagine que l'or aura le temps de briller chaud et loin, de s'emplir de toi. Elle y lira : Vivant Elle sait aussi qu'au creux de ton temps, dans très peu, la plume écrira l'amour et l'amènera entier. La petite fille viendra alors poser une fleur sur la coupe d'or vivant que tu seras. Son coeur prendra forme de toi. Avant, après, maintenant. D'autres diront toujours. Les fées te prononceront : Or vivant Et pour m'aider à naître dans notre temps, elle ouvrira les livres de loup. La formule du chant de la lumière sera prononcée. Enfin Ton nom allumera l'or vivant Le sable en soleil se changera.-- Irish Coffee -- Je tiens notre conversation à moitié bue. L'Irish Coffee nous écoute par l'anse, grésille un peu. Un de tes mots s'est caché dans la mousse. Je le déchiffre avec mes lèvres. Tu me passes le vent. "Écoute le Mistral". Je tire un peu plus sur les racines de l'appareil pour mieux t'entendre. Des oiseaux viennent tremper une plume dans le verre. En lettres noires, d'un seul trait chaud et capiteuse, ils boivent l'encre du café et écrivent sur la nappe: "Allô ?" Je pose le soleil sur la table, avec deux pailles. Pas besoin de demander, tu fais comme chez toi, tu te sers. Je regarde l'heure au soleil. Mais c'est la nuit. Ou toi qui a mis tes mains sur mes yeux. Oui, c'est ça; je reconnais l'écriture de ta paume. J'adore la lire avant de dormir, encore fumante. À notre bout du fil, la voix du Mistral remarque: "Tu as vu, les jours rallongent" 21-02-2000- Livre de paume --"mettre le feu à la pluie, écouter crépiter la lumière" -- Mireille Dans le livre de ta main, une enfant ouvre sa flûte à la première page. La charmeuse de paume joue et l'écriture prend visage. Encre de gestes, au milieu des toiles d'enfants que le vent soulève, tu lèves ta main et la regarde comme un fruit impossible ou une nouvelle couleur. Les petits garçons sur la place lisent ton écriture et leurs lèvres apprennent à prononcer tes mains. Une cruche remplie de sable au dessus de la tête, le ciel passe rajouter un anneau à ton doigt. L'enfant rit "Il est passé au lunaire". Tu sais alors que tu viens d'épouser cet endroit. L'adolescente à la flûte égoutte ses cheveux dans le feu qui prend couleur d'animal, le tien. Les flammes halètent et la fumée dessine un loup avant de s'éparpiller en gouttes dans ta paume. Elle explique : "Tout le monde est parti de la place à présent. Nous dormons assis en tailleur et la nuit veille. Souvent, c'est le contraire, souvent nous couvons ses couleurs dans nos souffles courbés. Il est temps qu'elle nous sache aussi et apprenne à nous lire." Des flammes trempent dans l'oeil de ta paume. La jeune fille ouvre son coeur à la page du milieu. Elle lit "le tatouage signifie "regarder ses désirs dans l'âme". Pourtant, elle est déjà partie. Les enfants préviennent alors qu'il nous faudra apprendre le langage des traces si nous voulons atteindre le matin. Ils précisent : "Quand les gens partent il coule de leur dos un sang de marche. Mêlé aux poids de ton corps accroupi sur le sable, il forme un tout. Sang vivant et trace éternelle écrivent ton véritable nom" La femme est revenue. Tu la soulèves un peu dans ta main, elle est de plus en plus légère et sa voix de plus en plus aigüe. Avec les fils de son rire tu inventes un nouvel instrument à doigts. "Nous n'entrerons pas dans la nuit. Nous soulèverons ses couleurs pour qu'elles se détachent, puis nous la plierons bien pour nous lancer des avions de nuit. Quand ils reviendront, tu en descendras et viendras me recontrer pour la première fois". Tu lui souris. Lui montre ta paume. Elle hoche la tête, satisfaite : "A travers ta main, je vois le vent, c'est bien". La vieille femme à la flûte vient de mourir en tournant la dernière page du livre, heureuse. Ses grains se versent dans ta paume et le dessin est complet. Un vent de couleurs prend vie. La respiration des enfants soulève leur toile. Ils peuvent rêver tranquille, tu sauras tout leur expliquer demain. Au milieu exact du monde, ta main levée indique la direction du matin. Tu décides d'écrire une lettre avec ta nouvelle main avant de fermer ses yeux. Noir, le papier de la lettre de nuit a écrit l'adresse de la prochaine journée. Pour y aller, il faut jouer de la flûte de sable en marchant. Tu regardes ta paume et le vent se lève sur les lignes de ta main, ferme doucement les yeux du dessin pour qu'il se repose. En partant de la place, tu écris par terre "Là où le vent prend racine, les arbres sont mouvants" Et les nuages ont la forme exacte de ces mots. "Cela veut dire que mes gestes se reflètent". Cette fois, c'est toi qui expliques. 21-02-2000"Oh nuit, ma grande fille noire, qui saura dire combien de fois tu pleuras sous ton oreiller" -- JP Rosnay
-- Félunes --
Si vous me lisez, c'est que le monde sera bientôt sauvé des Félunes. Elles se font passer pour nos mères. Les hommes disent en se penchant vers elles que ce sont des chattes "rien que de belles chattes noires". Souvent, ce sont les derniers mots qu'ils prononcent. Les Félunes sont de plus en plus nombreuses et nos vraies mères se font de plus en plus rares. Nous, les chatons, avons de plus en plus de mal à naître. Pourtant, nous devons arriver en portées toujours plus touffues, pour prévenir les hommes du danger. Je vous écris cette lettre avec les mains d'un humain. Celui qui va nous sauver. Nous, les chatons, arrivons parfois à sauver un homme. Nous jouons dans ses jambes et, s'il chante une certaine note en tombant, la Félune se désintègre. Alors nous nous précipitons vers lui , car -les plus sages d'entre nous l'affirment- dans ses caresses on peut lire bien des choses et peut-être apprendre où sont les vraies chattes, nos mamans. Nos vraies mamans laissent toujours la même trace, à l'endroit exact où elles on été enlevées. Heureusement, les Félunes croient que toutes les plaies sont rouges. Alors, avec leurs plaies bleues, nos mamans laissent incognito une flaque dessinant une paume. Sur cette paume, les lignes de vie croisées tracent un visage humain : celui qui nous sauvera tous. Celui que nous cherchons. Celui que j'ai trouvé. Les Fêlunes ne dorment jamais. Lorsqu'elles ferment les yeux, c'est uniquement pour qu'on se pose des questions à leur sujet, qu'on bâtisse des temples de mystère autour de leur posture. Divinités venimeuses, elles se servent de grands verres de notre électricité et- pendant que les hommes discutent du sexe des ombres- viennent de plus en plus nombreuses neiger sur la terre. Bientôt , à cause de la distraction des hommes, le monde -celui des humains, des chats et de toutes les espèces- sera recouvert d'un grand tapis noir. Il respirera à leur place. Lorsqu'elles disparaissent, les Félunes changent de phase. La nuit, pas plus épaisses que l'arête des murs elles coulent en longues lignes gelées, petites gouttes raides et noires glissées dans vos verres. Il suffit qu'une seule d'entre elles touche les lèvres et le buveur mourra dans l'année. Nous avons tenté de prévenir les hommes, mais ils n'écoutent pas les peurs des chatons. Ils nous tendent un bol de lait en souriant et retournent dormir. Ils ont presque réussi à endormir le monde entier avec leur lait sucré. Je vous écris cette lettre avec les mains d'un humain près de moi. Il est très savant, il a trouvé l'endroit exact où me caresser derrière l'oreille pour que j'oublie tous mes soucis et il sait lire les mouvements de ses propres mains sur moi. Il ne vous parlera pas directement, car les hommes ne se croient pas les uns les autres. Nous ferons tout nous mêmes, tous les deux, lui et moi. Cette lettre est juste pour vous prévenir. Je reviendrai peut-être longtemps après que vous ayez lu ma lettre. Car nous sommes en train de construire, lui et moi, un grand filet à Félunes. Ensemble, nous les attraperons toutes d'un coup, en un même mouvement. Moi, je jouerai à courir dans ses jambes, et il tombera en criant la bonne note pour les éparpiller en poussières gelées. Puis, je retrouverai les vraies chattes, nos mamans, pendant que mon ami humain récupèrera de ses fractures. Quand il sera presque guéri, petite chatte noire juchée sur son plâtre blanc j'aurais vue sur le monde, je surveillerai s'il ne reste plus de traces de Félune. Alors, il sera temps de vous ramener les mamans chattes. Himains, je vous le promets, si quelques-unes de vos mères se trouvent aux côtés des nôtres, elles reviendront ensemble, les unes dans les bras des autres. 19-02-2000-- Mon ombre --Demain, on opère mon ombre Elle ne me va plus, disent-ils J'ai trop aimé Elle est devenue plus claire que moi. Dans un vase sur ma table de nuit Ils ont disposé l'équipe de chirurgie Le chef n'était pas content "Cette ombre n'est plus bonne Qu'à peindre la peau des livres À caresser les oiseaux Comme un vulgaire soleil" Son second renchérissait : "Le laxisme nous perdra Il faut lui greffer une minuterie Pour règler le temps de cuisson de sa vie" Mais sur les lèvres d'une fleur Était écrit "embrasse moi" Quand j'ai lu tout haut Une épidémie de soleil les a tous terrassés Depuis Mon ombre a retrouvé ses couleurs Et me précède partout de quelques secondes 13-02-2000-- Les pétales --(Petits tsunamis de poche) Une femme qui dort par terre. Une autre qui passe. Talons. Sort une bouteille de parfum. Un nuage pour elle. Un nuage pour l'autre. "Ces gens là, ils vaudraient mieux qu'ils soient morts, au fond". Fermoir du sac. "Au revoir". Par terre, l'autre ne sait pas quoi dire, alors elle meurt. Le seul langage qui lui reste. À travers une larme, la femme au sac pense "Si j"avais su, je n'aurais pas gaspillé mon parfum". Quand elle s'éloigne, elle perd un pétale de son chapeau, le premier. Une cave à rêves. Ils y vieillissent en fûts. Peut-être faits de mon corps. Je crois me reconnaître à une courbure désinvolte dans le cerclage des tonneaux. Non, je peux toucher les rêves, donc ce ne sont pas les miens. Le deuxième pétale sent le vieux bois humide. Il est un peu enivrant. Une petite fille qui peint deux yeux bleus sur un citron. Rit de sa trouvaille. Court la montrer à son chat. Décroche une rose pêche d'un bouquet, la prend comme un téléphone. "Allô Minou ? Regarde mon citron, il te voit. Comme il a des yeux, il ne piquera plus jamais les yeux des autres, il sait ce que c'est maintenant. Je te laisse, on se rappelle". En raccrochant la rose pêche, un pétale se détache, le troisième. Elle regarde un moment le soleil à travers. Elle me le laisse, mais pour cela, j'ai dû inventer des questions très difficiles aux réponses qu'elle me donnait. Un homme très bizarre. Il a toujours de drôles d'impressions, comme la sensation subite d'avoir trop de doigts. Ou celle d'être un instrument de musique en réparation chez un luthier. Ou celle que les langues étrangères ont toutes été inventées pour qu'il ne comprenne pas quand on parle de lui. D'ailleurs, il a inventé un accent personnel, à lui tout seul. Certaines de ses déformations sont belles. Comme celle de se croire au bord de la mer où qu'il soit, même dans un salon. Chez lui, je dois accepter plusieurs verres de vin pour obtenir mon quatrième pétale. Il croit que toutes les fleurs sont ses enfants, qu'il est jardinier au long cours. "Vous savez, j'ai le secret de la vie, les fleurs naissent dans les filles et pas le contraire". Je dois hocher la tête plusieurs fois d'un air très convaincu pour qu'il me tende le pétale. Puis, je dois faire un repas entier sur une table en pente, écouter toutes les plaintes d'une vieille chaussure gauche, inventer de fausses tables de multiplication pour un anglais excentrique, promener des couleurs en ville comme si elles étaient des chiens etc... Quelques pétales plus tard : Une perle de rosée posée sur le nombril d'une femme. Autour de lui, j'ai soigneusment disposés en roue les pétales que j'ai réunis. -"Pourquoi ? " C'est pour que tu renaisses dans un jardin, la prochaine fois ". 04-02-2000-- Thé aux étoiles --Il pose le ciel sur le rocher À bonne température Elle prend le feu sur ses genoux Le rassure Ils sont enfin arrivés au milieu du voyage Doucement Il règle la vitesse de l'arôme Incline la pente des dunes de fumée Elle fait cercle autour du thé Allume l'eau Se passe un peu de lune sur les lèvres Elle remue la nuit Pour qu'il n'attache pas trop au ciel Ils boivent les feuilles d'étoile infusées 02-02-2000- Courants de printemps --Cette nuit j'ai planté la mer Sans regarder l'heure Mes mains posées sur l'incendie des fleurs Sans lumière morte L' encre invisible Des lettres peintes sur la porte A posé sur le sol La clé du duvet des oiseaux Qu'importent Les roues dentées les ascenseurs à chagrin Les assiettes affamées les tessons de terre Les momies des marteaux à briser les mains Couchées dans le duvet des oiseaux Rêves en forme de cerf-volant Les deux lèvres d'une seconde Rideau à faire le tour du monde La mer est ronde En face chante l'écriture des abeilles Intailles et camées du soleil Toutes les eaux marchent sur un seul toit Se passent les vagues au doigt La nuit s'est levée Bientôt l'été La mer dort dans un duvet d'oiseau21-01-2000-- Lumière en bord de mer --Cette longue marche sur le tronc Remonte jusqu'à nos jours Ma terre tourne De monter jusqu'au soleil Escalier sans paliers Verre à regarder La mer se lever Spirale Valse vertige Montée de sève Le soleil s'érige C'est la lumière qui rêve L'écume de sa prière Va mordre sur la mort Nouvelles frontières Les éclats tournent sur l'eau Pinceaux à trouver les bateaux Angles arrondis Canifs à courber les caresses Je ne sais plus le temps Les albums à colorier Les cadastres fermés le samedi Les poignées des morts Les horaires des marées Long cou de pierre Dinosaure de la lumière Tu te penches pour boire Moitiés de gestes Si nos mains se rejoignent Penchées au bord des blessures Nous recoudrons la terre La tige du phare par vent arrière Lune entière Tombée d'en bas Une graine pousse dans la lumière Cette longue lueur sous le phare Descend jusqu'a nos ancètres-- Papier à vivre --Je me suis lavé à la bougie juste avant de me réveiller. Vétu de cire chaude, j'ai regardé en l'air. Les cheveux du ciel avaient un peu poussé et gravaient des chansons sur la cire autour de moi. Je voulais boire tes larmes, les essuyer au soleil. Tu fermais doucement ma bouche. J'aime penser à toi au début du jour. J'aime te voir quand il n'y a encore qu'un demi-soleil. Et faire l'autre moitié moi-même. Aujourd'hui, sur le papier à vivre, mon rôle disait "Intérieur Vie. La scène se passe dans une salle de vérité". Ces nouvelles salles avec les écrans qui saignent, des puits mouvants et humides où s'installer et des tailleurs de happy end qui arrivent jusqu'à vous par les gouttes au bout des mèches et prennent vos démesures. Tu seras là aussi. Tu es partout où je suis. Quelques épaisseurs de nudoté autour de ma peau, je me suis bien calé sur les accoudoirs des puits. La projection a commencé. Le rayon à images et à paroles entrait par les pores des puits. J'ai compris. Ces fameux nouveaux écrans, c'est nous, c'est dedans. En première partie, il y avait un documentaire de Méliès. Il parlait de la lune qui marchait sur toi. Si les vivants étaient déjà nés, ils auraient parlé de trucages, se seraient bouchés les oreilles avec du bruit. Je les connais trop bien. Ils aiment jouer à nous, insonoriser leurs corps avec des boules qui-est-ce, mais le résultat ne nous ressemble pas du tout. De toute façon, à cette heure-ci, nous étions encore tous du côté immergé, donc tout le monde croyait tout le monde. Dans la rue, les ouvriers réparaient les fils à nuit. Il y avait eu une anti-panne. Il n'y avait plus que de la lumière, plus personne ne mourait et ça commençait à faire désordre. Une tempête de vie levait de nouveaux arbres. Des nuages de graines volaient dans le ciel. Furtivement, l'un d'eux avait pris forme de toi. Le film était animé. Il s'appelait "la revanche des feux étanches". Les héros se pousuivaient en roulant à berceau ouvert. Quand ils se rattrapaient, ils sortaient leurs âmes et se donnaient la vie. C'était très bien fait. Je sentais les baisers autour de ma langue et réciproquement. Les bougies brûlaient à flots. Cela ressemblait à ma vie, sauf que c'était mieux monté et que le héros ne manquait aucun rendez-vous. Je te touchais. Mélangé aux perles de l'écran, mes mots enroulés à ceux du dialogue, j'ai continué de nager sur le papier à vivre. Les ouvriers à nuit sont resdescendus de moi. Impossible de casser les fils, impossible de t'éteindre. J'ai été déclaré zone émerveillée. Je suis sorti de la salle par le fond du puits et je t'écris sous des trombes de bougie. 02-01-2000- Largo --Nos mots accrochés aux branches, nous brillons au dessus de la ville. Guirlandes à vos cous, nous vous faisons clignoter. Il reste quelques heures dans les vitrines. Sur des diables lisses tombent les châles des anges. Verre aspiré, visage soufflé, tu regardes mes valises empilées. Pyramide de seuils pliés, éventail d'encres polyglottes, un grand vent dans les bronches interprête la tablature des marelles. Une femme irise mon ombre. Ses doigts déplient des carillons de plumes, cognent aux hangars des poitrines, font tinter les cages à éclairs. C'est l'heure de la mutinerie des ruades, de l'abordage des soleils. C'est l'heure où des langues d'or sortent des tiroirs, où décollent les avions posés sur les plis des mouchoirs. Si je la danse, c'est parce qu'elle enlève les points des phrases. Elle les pose en grains de beauté sur la peau des murs et prononce les voyelles des ouvertures. Tempête à lever les herses des sorts, tu pétris des voix, jette le sommeil par les ouvertures de ma tête, chante les ruches à dormir dehors. La ville, la ville est un grand cri d'oiseau. Une femme ouvre les mains. Son nom descend du train, se pose sur le trottoir d'en face. Des cargos aux cales remplies de ballons emmênent les grands magasins vendre leurs filles en flacons sur des terrasses interdites aux rêveurs. Il n'y a plus que la forêt qui vivait ici avant la ville. Si je la respire, c'est parce qu'elle défait les pelures des trottoirs. Ton chant prend vigueur, lisse ses pointes, fait grimper les courbes du jour en éventails secoués. En robe d'abeille, tu piques tous les arrière-pays, nous encercle de Mers Rouges, nous propulse par le chas des aiguilles. Battent les flammes-faucilles. grimpent les bras qui s'écarquillent. Une femme à sa fenêtre agite des sémaphores, leur fait faire le saut du chat, fait signe aux toits plus bas. Si je l'aime, c'est parce qu'elle entoure le monde d'un anneau qui parle. Tes ailes, tes ailes flamboient dans nos niches à couleurs. Sonne le glas des morts en poudre qui pleuvent sur nos costumes de scène. Basculent les lames des tréteaux, saignent les couvertures à guillotine, s'échangent les sercets des têtes hautes. Certains Arlequins ne rendent pas la monnaie. Il faut toujours prévoir des quartiers de peau entiers pour leur donner à manger. Tu te poses sur leurs couleurs carnivores, et les change en fleurs-balançoires, et les offre aux enfants comme portiques à parfum. Passe une femme habilée de couleurs cadencées. Quelques trilles encore, quelques oranges bien disposées en successions d'accord. Quelques cartes postales à ceux qui viendront en même temps que nous. Nous ne les verrons jamais qu'au cours de glissades, pendant les spasmes de nos alphabets, sur les pistes d'envol de nos diaphragmes. Si je chante pour elle, c'est parce qu'elle prolonge mes doigts. Tessiture de brins d'herbe, ton chant s'enfle encore et rince les écailles des puits, fait briller les parois des sillages. Les bateaux, les bateaux s'évasent dans nos veines. Il est minuit, docteur Mengele. Vous ne tendrez pas nos chants auttour de vos abats-jours. Ici, une femme-joie découd les pas de l'oie. Quand nous serons morts, nous dirons que le monde a voyagé dans nos corps. Surtout, continue à bouger, sinon la photo sera ratée. Montre moi la femme aux épaules qui savent lire. Tu l'as vue marcher ? Regarde son parcours dans la ville. elle projette des gouttes de parfum sur la carte des rues. Quand je vais la rencontrer, je me demande dans quel ordre je vais bien nous compter. Des mains sauvages roulent dans la mousse, délient les noeuds du bois, donnent la parole aux maisons. Présence d'une femme qui bâtit les bulles d'un champagne de lilbellules. Les gammes, les gammes naissent du bruit des index sur les portes Crèvent les tambours à tuer les rêves, Claque la vie dans les plis des voiles. Échancrées molécules, elle s'assemble en longues rayures sur les murs, paraphe le sens de l'ouverture des volets des chateaux. Elle n'est pas ailleurs, mais partout. Ici, s'inventent les fourmis des papilles. Ici les oiseaux couvent le ciel. Si je l'aime, c'est parce que la terre prend feu dans ses yeux Corolles jointes, Alice passe par là en changeant dix fois de taille. Tourne un chat autour d'un sourire. Angles de vie, la mémoire ronronne autour des troncs. Corps plafonds, sérigraphies hanches à hanches, le soleil brille là où des lèvres ont penché les eaux plates. Monte encore la voix du feu sur l'escalier du chant. Vanesse orante, lune à démaquiller les cavernes, tu prononces la combinaison des coffres, démarre les moteurs à étoiles. Et Dieu agite son drapeau, veut arrêter la course, et tes ailes nous colorient plus vite que lui. Il nous passe le relais du monde. Cousus aux caniveau, quelques robinets à nuit aboient encore du gris, mais déjà, la vie les ignore, fait ses courses chez l'empailleur, fourmille de rubans, s'offre à elle-même. C'est Noël qui décore nos arbres sous sa peau rouge. 4-12-99"Donne moi tes mains, que mon âme y dorme" - Louis Aragon
-- Vitraux de neige --
Il marche dans l'église, il marche sous sa tête, s'imprime dans la pierre. Il regarde le soleil s'aplatir contre les vitraux, comme un visage d'enfant qui regarde des mystères derrière le verre. Ce visage tout contre le vitrail. Sa couleur est une expression. Rien ne le protège de la lumière. Jadis, ici, il y a eu une bataille de boules de couleur et Dieu est remonté tout essouflé de bonheur, a demandé pour Noël quelques hommes à mettre dans sa cheminée. Ils font de belles flammes et crient avec art. Dieu a très peur des hommes silencieux et des visages qui regardent en écarquillant les couleurs. Il neige, les flocons tombent en croix, se coupent sur le verre, brisent la terre en la touchant. Il pose sa main sur la rampe du ciel. Le plomb règle le chant du verre, trace les plans de la lumière. Il prie en éclats sur la pierre. Des poches fouillent ses mains, les percent de leurs pas. Il lève les bras, devient arbre blanc, coeur penché, couleur assise. Peu à peu, il ferme ses yeux et neige vers le ciel. Il monte patiemment en cristaux de chant. Ses lèvres s'allument bleues, mais cela ne veut pas dire qu'il meurt, juste qu'il fait beau dans ses mots. Dans quelques minutes, il reviendra, coloré de ciel d'été. En montant, sa tête a cogné contre la cloche. Les gens ont accouru, croyant à un mariage. Il laissera leurs yeux ouverts. Dans quelques instants, les siens neigeront en rayons dans les rues, prendront forme de buée en couleurs, riront de brûler vifs dans les paumes des gens qui prient. Alors, le soleil entrera dans l'église et viendra mordre les âmes pour qu'elles s'éveillent. 24-11-99- Velvet --
Velvet, Je t'écris d'en bas de l'escalier. Quand je lacherai les mots, ils rouleront jusqu'en haut. C'est ici que tu venais dans pas si longtemps. Sur ces marches. L'escalier montait et redescendait tout seul, toutes les six heures. Sur ces vagues de bois, tu viendras hier. Ici, en novembre, pas mal de masques sont déjà tombés des arbres. Quelques mains sont déjà rentrées sous terre. Tu sais comme elles sont. À l'approche de l'hiver, elles s'enroulent les unes dans les autres et attendent la saison des gestes. Aujourd'hui, j'ai joué à deviner où tu seras. C'était trop facile, il faudra que tu apprennes à repeindre les brins d'herbes en vert. Tu en as laissé une touffe de toutes les couleurs. Et les champs de robes n'existent pas ici, Velvet, même si c'est très joli quand elles ondulent toutes ensemble. On va finir par se faire remarquer. Ensuite, pour passer plus loin, j'ai peint l'entrée d'une maison qui avait déjà fait sa fourrure. J'ai touché le bois de la table et il a parlé un peu. Il m'a raconté qu'un arbre t'avait vue essayer de ne pas pleuvoir et qu'il t'avait proposé de t'abriter un moment dans ses cercles. Tu t'es vrillée dans son bois, faite goutte tournante, et tu as bu toute sa clarté. Sur le tronc de l'arbre devenu si sombre, s'y trompant elles-mêmes, des étoiles commençaient à se former. Velvet, Velvet, ça me revient, je me souviens ce jour là, Une grande bouche noire avait bien failli tous nous aspirer. Je sais, je sais, "prudent n'est pas vivant !", me diras tu depuis dix endroits en même temps. Un moment est passé, sans évènement spécial. La maison respirait doucement. Seuls quelques fauteuils fantômes agitaient leurs draps blancs et venaient s'asseoir sur nous. Puis il y a eu un orage de plaies et le plancher s'est recousu lui même. Pris en lui, j'ai attendu tranquillement qu'il guérisse. Je n'ai pas perdu mon temps. J'ai appris à fabriquer des souffles doux avec des stores pour que la lumière caresse les yeux, et à tendre des peaux de mots pour que la vie reste bien rouge. Je te vois, Velvet, tes cheveux s'enroulent d'impatience. Tu sais tout ça, Tu veux le début de l'histoire. Je vais me chercher et je continue. La table s'était arrêtée de parler et je me suis endormi un moment dans un tableau au mur. Le tableau mentait mal, et c'était difficile de rêver dans ses couleurs obliques. À chaque fois, je glissais sur leur pentes. Alors,j'ai sauté du cadre, mais pas du même côté. Je me suis retrouvé dans un endroit que je ne connaissais pas encore : chez moi. Velvet, Velvet, regarde quand tu viendras avant. J'ai laissé un mot de toi, lis le attentivement pour arriver au bon moment. Les feuilles sont redevenues vertes et nombreuses. Je crois qu'ici n'est plus novembre, je crois que je suis rentré à la maison. Ma peau m'attendait à la fenêtre, je l'ai enfilée et elle m'allait très bien. Une vague chauffe doucement dans la cheminée, pour les visiteurs de passage. Je l'ai ravivée en lui racontant une histoire à réveiller. Je me suis souvenu d'avant. D'ailleurs. Du temps où à chaque fois que je respirais, je croyais que c'était la dernière fois. Je suis assis dane une grande main. J'ai dû la trouver dans bien longtemps, elle a l'air d'une main d'enfant. Velvet, regarde la nuit dehors. Tu as remarqué ? Je crois que cette nuit aura la la couleur de tes cheveux. 16-11-99-- Bunker beat --C'était l'hiver à Bunker Beat. Sauf autour d'elle. Les maisons se serraient l'une contre l'autre. Sauf la sienne qui s'évasait, se dilatait de sa présence en son centre. Sur la vapeur gelée des mots, elle avait suspendu ce panneau. "Laisse tes mains dehors. Suspends les aux arêtes du mur avant d'entrer. Ou rentre les dans tes manches. Je ne veux pas les voir". Pourtant, nulle autre femme au monde n'avait autant de mains, autant de lèvres et de sourires accrochés aux portes de sa maison. À Bunker Beat, des rideaux étaient tendus, des drapés de soleil, des filets à pensées qu'elle relèverait longtemps après. Elle superposait les ombres aux ombres, pour que je ne voie d'elle qu'une grande tache noire, imprécise, un visage de cire sombre sur un corps fait de baguettes liées ensemble. Quand cela ne suffisait pas, elle tendait un grand paravent devant sa peau et elle soufflait, pour que je rebondisse sur cette écume de toile bombée, mouvante, folle. Autour d'elle, la vie ne dormait jamais. Porté à l'incandescence, le béton de Bunker Beat palpitait en bulles oranges, dômes de ventres rêveurs. Mes mains séchaient au mur. Caressant le béton, leurs paumes frémissaient en s'épluchant. Mains jetées loin du corps, étirées jusqu'à la mer. Se souvenant des siennes à elle, mes mains trouvaient les portes secrètes des vagues. Elle. Mes mains gardaient un peu de son or chaud, la trace de son soleil fluide mêlé au mien. Chaleurs chantantes, accrochées au vestiaire submersible, deux mains pleuraient en longs rires, et je ne savais même plus si elles étaient les miennes ou les siennes. Elle disait "pour me dire bonjour, embrasse ma joue, mais à l'endroit où elle était il y a dix mouvements ou à celui où elle sera dans dix pas". Alors, j'embrassais l'air froid où elle n'était plus, où elle n'était pas encore. La chaleur de son corps y demeurait toujours-ou déjà- par hachures, et mes lèvres étaient un damier bleu et rouge. En désignant le toit, elle disait "entre", avec un geste large. Alors, je m'envolais comme une fusée et la vapeur de mon cri traçait "je t'aime" en lettres enroulées autour des arêtes grises. J'étais une grande fleur rouge dans le ciel blanc. Mes pétales retombaient sur les toits de Bunker Beat et ses murs devenaient couleurs bâties, portes de peau tiède, chants entrebaillés.
-- Course tout contre le temps -- Corolles d'entrevies Ses lèvres ouvrent la terre Graminées balancées d'âme en âme Le paradis halète Filet d'air à l'aube trapèze Elle vient boire au mouvement Tissu soulevé cerceaux de souffle Un lion saute Et traverse l'anneau à son doigt15-11-99
"Living is easy with eyes closed" (Beatles, "Strawberry fields forever")-- Herbe à rêves --Boucles de tige ouverte Au bord de la rivière en verre La vie saute par dessus les arbres Poudre offerte Neige à la main verte L'herbe à rêves dépasse du ciel Dénoue les ancres de la terre Rubans de frontières filles Poussent tirent s'élargissent se recroquevillent J'irai feuilleter ce livre ondulé Quand je serai entier 15-11-99
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