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-- Saskia--Pinceau de vie, elle crie des gouttes de lumière sur les ombres au tableau. Le nez sur le carrelage, elle respire le blanc, le noir, les lumières d'étouffoirs. Des doigts courent, roues fluides autour d'elle, la saississent, la déposent ailleurs. Les poings du ciel tambourinent sur son ventre. Son propre cri y entre. La beauté colore le souffle. Rien qu'un instant, oublier qu'elle existe en elle seule. Être une vieille femme assise, désigner du bout des doigts les tables et les mets, se les faire apporter et mourir doucement, en riant au milileu des siens. Sa nage remonte le prisme. Colliers de gris épointés, boucles de pêche et de miel, combat de couleurs coulées. Douleur primaire, nuancier décapité, Saskia rit à ses éclats. Un instant, rien qu'un instant, oublier de brûler, oublier ce tube qui la presse hors d'elle, l'étale sur tous les canaux d'Amsterdam. Juste le temps d'une goutte, se promener enfant, dans une clairière qu'elle aurait dessinée, sauter de couleur en couleur, et s'endormir dans le soleil. Sans ces percussions rouges, ces écrasements noirs, ces flammes qui la travaillent dedans. Juste dormir dans l'air léger et se réveiller un peu plus claire. Des loups peignent en elle, tracent des secondes fraîches où ses plaies pourront boire. Tête penchée, Saskia se débat. Écume de serpents bruns entrelacés, claquements de roux piquants, pourpres en cercles hirsutes, dansent les dents de la lumière. De son corps d'outrefeu, Saskia fait jaillir les bleus. Pinceau de nid, pâte à mordre dans les fruits, elle regarde à l'envers le coeur du soleil. Les loups bariolés hurlent au silence doré. Matière entière, Saskia donne chair à la lumière. Rien qu'un toujours, être cette lune trempée entre les mains de Rembrandt. Redevenir cet astre liquide enroulé au bout de lui, respirant de toute la chaleur de l'homme en elle. Silhouettes incandescentes sur chevalets cambrés, cuisent les filaments nus de leurs souffles mêlés. Et plonge la nuit-mère dans les cris du soleil. 3-11-99 -- La lettre --
J'écris depuis l'intérieur de l'enveloppe. Les mots ne sont lisibles que les yeux fermés, ou bien il faut faire un pas jusqu'à un peu plus tard. Mais c'est juste mon avis. Peut-être, vous savez lire tout le temps. Moi, ça dépend. L'enveloppe m'ouvre. "Chère vie. Demain, j'ai tout mon temps pour nous retrouver. Aujourd'hui, je t'écris et j'essaye de trouver ton nom pour que cette lettre me parvienne..." J'ai compris. Le corps d'une lettre coud des absences, colle les distances l'une sur l'autre. Cette lettre fut un homme. Il habitait dans les traces de pas sur les plafonds. Je suis ses paumes évanouies, l'orbe de son corps cassé. Je suis peut-être son souvenir dans vos têtes, visage imprécis, ondulations écartées. Je reste à inventer. Je suis un peu moi. Je passe à l'intérieur de l'enveloppe. J'ai oublié l'adresse de l'encre. Je prends une couleur au hasard dans le temps. Doucement, je me laisse guider par les mains que je serai. "... Hier nous a écrit ce matin. Il paraît que tout va bien chez moi. Il est un peu distrait, il ne se souvient plus de combien tu es..." Je regarde mon reflet dans l'enveloppe. Les mots à l'envers se contempleront en arrière. Il fut un temps où je ne serai pas recouvert par tout ça. Est ce que vous me souvenez ? Dans quel ordre étaient les choses, déjà ? Ah oui, autour de ma voix, tournait mon visage. Est ce qu'ici, on peut être tout soi en même temps ? Ou ça ne se fait pas ? Poliment, je reste éparpillé en quelques morceaux, très peu, au cas où. J'écrivais des voix avec mon visage sur la feuille. "... Je prèfère demain. Lui, il est drôle. Souvent il invente des blagues et je me retrouve à l'endroit d'où je suis parti, mais ce n'est plus moi..." Un jour, les arbres m'écrivaient à travers mes plis. Quelque chose venait voler la mort dans mes poches, la remplaçait par des petits cris pliés. Oui, je m'en souviens, ça se passait pas plus tard qu'en ce moment. Un éclair vient me prendre et me rassembler Le temps d'un grand instant. Ces encres dressées comme des pierres. La nuit viendra trembler en elles. Elle est venue déjà, mais c'était en plein jour et elle est passé inaperçue. Mais elle m'a laissé mes coordonnées. "... Chère vie, il faut que je te laisse, maintenant, car je me suis oublié. Aujourd'hui, je me souviens juste de qui je ne suis pas. C'est déjà pas mal. Merci de me dire qui je suis dans ma réponse" J'étais cette enveloppe qui cherchera mes mots Aujourd'hui, j'ai reçu une lettre. Calmement, je me suis ouvert 10-10-99
-- Bois-Marée --
Un bois rit dans l'avenir de la mer. J'enroule les vagues du soleil autour de mes poignets pour que l'heure puisse me lire. Un vent de sable vole à l'envers. Dedans, un homme attend la marée. Je crois bien que c'est moi. Coquillages sur les arbres, j'allume les pousses bleues du feu sur ma tête pour que le temps puisse me traverser. Sous la mémoire de la forêt s'écrit une plage. En gravant les arbres en lettres de vagues, je saurai la prononcer.08-10-99 Jill se retourna brusquement vers lui. "Quel est ton nom ? Je veux dire, ton VRAI nom ?" -- Philip K. Dick-- Les verseurs de soleil --Ils picoraient les mondes, devenaient nos noms, puis s'effrangaient en larmes de lave. Ils portaient les robes du revers des magmas, enrubannaient les vapeurs des nouveaux continents. Si l'on additionnait tous les petits espaces de soleil entre les feuilles d'un très grand arbre, on pouvait se faire une idée de qui ils étaient. Ils n'avaient pas de montre autour de leur coeur. Ils étaient les pays et le voyage aussi. Leurs poings riaient dans le verre. Guettant les hommes avec leurs propres yeux, ils traçaient les cartes vivantes sur les cartables des arbres. Des pétales de leur sang naissait de nouveaux chiffres. Ils savaient compter en couleur et faire rimer les visages. De quelque côté qu'ils se tournaient, ils regardaient toujours en face. Quand leurs aiguilles volaient nos matins, ils s'excusaient en envoyant une vie entière en guise de lettre. Si l'on savait écrire avec l'envie de l'air, l'incliné des nuits à plusieurs lunes et le mouvement de la mémoire sur la mer, on pouvait déchiffrer la première lettre de leur Livre. Elle nous ressemblait tant. Lorsqu'ils s'endormaient, ils laissaient un mot dans l'air, il fallait le respirer, puis entrer à l'intérieur. Le temps de se souvenir que nous étions leurs rêves. Leurs tableaux noirs duraient longtemps. Faits d'hommes dépliés dans toutes les dimensions, ils se couvraient de leurs soleils versés. Au nez du monde, ils accrochaient des parfums.8-10-99
" Une harpe d'herbes, une harpe qui récoltait, racontait, une harpe de voix qui se rappelait une histoire. Nous écoutions. " --Truman Capote-- Le pays des voix --Une main saisit des brins d'herbe dans sa bouche. Corne à appeler les autres vallées du pays des souffles, le regard d'une paume tournée vers le soleil. Sur les gestes, se reflètent les rayons jusqu'au fond. Cercle orange dans un carré bleu, je tourne autour des voix qui tournent autour de moi. Lèvres rouges trempées dans les brins d'eau, écoutez la flûte à donner des nouvelles des rives des montagnes. Dans le pays des voix, les échos des rayons volent de soleil en soleil. Tout là haut, au sommet d'une montagne rose et blanche, le soleil se couche dans la neige. Rochers de peau et de cristal, la montagne fait silence; Douces plumes de ravage, les voix me soulèvent encore plus, arrondissent encore plus mes paumes pour faire parler la harpe autour du monde. Lorsque les ombres s'allongent et dessinent "tais toi" avec le doigt, les voix ne tournent plus, ni moi. Je cours vers le haut de la montagne, nage sur la pente et m'en vais sauter comme une tige qui danserait jusqu'au soleil. Je m'arrête juste un peu après le bord de la falaise. Et je continue à marcher, sans tomber. Les voix savent voler. Sève d'éventail, regardez tournoyer les brins dans un ciel de vitrail. Ce sont les voix qui peignent sur la lumière, cercle des brins d'air. Brins de geste dans un champ de mots en vol, je parle autour du feu qui parle autour de moi. Dans la harpe d'herbes, une voix court, court de brin en brin, vive comme une main. 6-10-99-- Né la nuit °--Né la nuit, je suis une ombre éblouie Né au milieu de la vie, je suis la moitié de minuit Quelques pas dans l'eau Pépites d'aurore Quelques ors mouillés à brûler de haut Né sans mon corps Né au paradis, les yeux couverts par un protège-midi Quelques suies quelques sorts Éclats de marches escaliers sans chateau Je suis un soleil transi Né la nuit Né dehors 6-10-99 * Titre d'un roman de Jean Pierre Campagne, une plongée en Afrique." (...)à errer et à virer loin de toute vie dans un espace pantin sans voix parmi les voix enfermées avec moi" -- Samuel Beckett -- Sabots -- Galops en rond, leur course soulevait un grand soleil de poussière Ils écrivaient leurs noms avec leurs sabots Les chevaux creusaient leur tombe et ces ombres étincelaient dans les regards du public Ils tournaient dans nos yeux, soulevant la terre Nos yeux creusés ruaient dans les gradins Les applaudissements tapant sur la croupe des mains Leurs horizons de sciure et leurs rêves de copeaux Ils talllaient nos regards avec leurs sabots Et nous voyions de plus en plus loin, vivions de plus en plus en avant Sans selle, juchés sur la proue du monde Manèges sur les ponts des radeaux Les chevaux sautaient à la mer Grand cirque des vagues Leurs phares Lumière des naseaux Galops du fond, leur nage traçait un grand rayon d'eau. 06-10-99"Mais toute puissance sur terre Meurt quand l'abus en est trop grand, Et qui sait souffrir et se taire S'éloigne de vous en pleurant." -- Alfred de Musset -- Les caprices d'un fleuve -- Pendant les averses de temps, j'ouvrais les fenêtres du fleuve. Tombés de nos mains, nos arbres poussaient en descendant son cours. L'eau d'en haut soufflait sur leurs feuilles. Elles bruissaient des visages, et les troncs se courbaient pour épouser les bras du fleuve. Pour rejoindre les barques, les hommes marchaient sur le vent. "L'arbre n'est pas seulement les branches, pas seulement les feuilles, pas seulement les racines, ni le tronc, ni les fruits, ni les fleurs. L'arbre est tout l'arbre" L'eau chantait ces mots lorsque le fleuve ramait dans les hommes à coups de soleil. Lorsqu'il y avait un accident de chant, on repêchait les hommes tombés du fleuve en se passant les mots pour éteindre le froid. Les saisons remontaient le chant et les rides des hommes ressemblaient à des cercles dans l'eau. "L'arbre n'est pas le printemps, il n'est pas l'été, il n'est pas l'automne, ni l'hiver. L'arbre est toujours l'arbre." Le fleuve maintenait les hommes au milieu de la vie, ni trop loin, ni trop près. La vie ressemblaient à la courbe d'un soleil qui ne se coucherait jamais, au saut d'un feu qi ne tomberait jamais. Les feuilles voulaient danser, danser, jusqu'à se déchirer sur les rochers. Dans leuss éclabousssures , les hommes savaient voir le delta des sources. Le devenir des hommes ramait vers leur mémoire. "L'arbre n'est pas les défunts, ni les vivants, il n'est pas les naissances, il n'est pas les trépas, ni les vies entre eux, il n'est pas le passé, ni le présent, ni le futur L'arbre est le mouvement de tout cela ensemble" Sous les profondeurs du ciel, l'ombre des feuilles serrées de peur tissait un toit pour endormir la lumière. Arches de silence, elles étouffaient les bonds des chants. Elles continuaient de faire tomber les hommes hors du soleil. Le rythme sourd des rames n'entendait pas l'eau se noyer. Lorsque je manquais d'ombre, j'ouvrais les fenêtres du fleuve, j'étais un cercle d'eau dans le soleil et le vent marchait sur moi pour rejoindre la mer. 6-10-99"Juste en creux de paume Il dépose délicatement De l'indigo pour ma peau Mon désert et la vie " --Marie Mélisou À Sigrine l'éveillée -- Six grains plus un -- Une palette dans son bec, elle se pose sur la plage. Teintes du fond du vent, elle signe à moitié avant de commencer. Trame de toile, son pinceau marche de grain en grain. Légères touches de couleurs, petits points immenses. Ils sont six, escalier nuancier, intailles et camées colorées. La pinceau cherche le septième, l'indigo du bout des mots. Puis la plage s'incurve et devient femme. Le pinceau chante : "Six grains sur l'épaule Et un grain de beauté Sable et peau se frôlent Arc-en ciel complet" Moitiés de couleurs, poudre de dormeurs, les réunir pour qu'ils respirent d'égale lueur. Le vent couche la femme sur la plage. Couleurs communicantes, vases vifs, l'une prolonge l'autre. Six grains montent sur l'épaule. Jetée de couleurs, le sable est une invitation au visage. Le vent construit un château de femme. Horizon des six grains plus un, l'indigo sur son épaule. Arc-en-ciel complet, elle tourne les plages et signe l'autre moitié, Six grains plus un, un château de syllabes regarde la mer. 28-09-99-- Nautilus --À travers les toits, le Nautilus remonte à la surface des yeux. Mains à l'envers des murs, je cherche, m'élève à la profondeur. Conques sans fil, les ondes nagent la ronde longueur. Un pas dans l'autre, je descends. Dans la rue, des panneaux clignotent "Vivez toujours plus haut". La foule réclame une échelle. Dans le feu, les masques n'ont pas pied. Quelques vagues l'une sur l'autre suffiront. Pendant la vie où j'ai tué les angles de la terre, le Nautilus est venu s'asseoir en haut du centre du monde. Le jour où le ciel a fait tout le tour, les cercles de coquilles se sont allongés. Voyant du présent, à travers les vagues je brûle de connaître ce qui se passe en ce moment. Steph "Captain Nés-mots" Méliade 27-09-99"Ah ! ah ! ah !" -- Le Bouddha -- Ayers Rock -- Nous sommes les pistes. Anneau d'hommes autour du grand fruit de pierre rouge. Ses plis sont les souffrances de la Mère et les traits autour de ses yeux quand elle rit. Pinceaux de scorpion, dans son axe, il n'est pas de venin. Le serpent peut dessiner ses rêves sur nous. Nous buvons la lumière lourde. Ainsi, nous ne nous envolons pas. . Nous mangeons la peau de la chaleur. Notre bol est la courbure de la terre. Au pied de sa bouche fermée, nous entourons la Mère pour former son visage. Je suis son oreille droite. Au dos des étoiles, sur la face interdite aux yeux des hommes, les ancêtres des couleurs claquent leur langue de plaisir. Dans la peau du magma, au centre des atomes fondateurs, les aïeux des lumières tapent du pied de bonheur. Je n'ai pas peur. Mes jambes tremblent de danse, ou bien les ondes de chaleur brouillent votre vue. Nous avons amené des cristaux de neige. Le fruit de pierre rouge regarde intrigué. Quels sont ces êtres blancs et froids qui durent le temps d'un cri d'oiseau ? Quelle joie étrange dans la fraîcheur. Quel vaste horizon dans l'éphèmère. La Mère-montagne rit comme une enfant de connaître son contraire. Certains d'entre nous montent à son sommet, Chacun tient une boule de neige dans sa main. Lognue procession montante d'hommes noirs tenant un flocon blanc. Celui-qui-parle explique : "Ceci est de la neige. Il est des pays où elle est éternelle" Le Grand Sein Rouge couvert de blanc en tire une grande connaissance et le premier rhume de montagne sacrée de toute l'histoire de la création. Maintenant, les hommes, forges de vagues sombres à la peau dure, sont venus apporter des coquillages rouges, noirs et blancs, pour parer la Mère. Elle est prête. Elle sait ce qu'elle veut connaître. Sans voile, ni rame, à la seule force de sa pierre fluide, la Mère suit les pistes de notre peuple, en direction du seul être au monde qui soit son aîné : l'océan. Bulle géante, souffle concentré, elle se sent jeune et légère. Feu solide, le rouge colle à la langue. Seules gouttes de cette terre, nous érigeons des sources. Nos joues craquelées sont les mosaïques, les fleuves en miettes que le ciel rassemble en un seul grande embouchure de rire. À sa place, elle laisse un trou gigantesque, aussi sacré que son plein à elle. Désormais, il faudra que les hommes descendent pour la gravir, et qu'ils tombent pour la connaître. Un jour, elle reviendra, ornée d'algues et de mouettes. Elle sera complète, À la fois pleine et creuse, à la fois au-dessus et en-dessous. Nous serons partis depuis longtemps, flocons noirs vivant le temps d'un cri d'oiseau. Mais quelque chose de nous restera sur elle. Peut-être l'empreinte de nos pieds, peut-être le visage de notre amour rassemblé autour d'elle. À travers les yeux des hommes qui viendront, nous, les ancètres des couleurs, les aïeux de la lumière, marchons déjà vers elle comme des enfants.24-09-99-- Intraveilleuse --Une dose de mourir remonte depuis le bas de son corps. Marcher en terres froides. Capillarité du sommeil, son ventre déjà immobile s'étire derrière ses antennes, dernières à s'endormir, dernières à bouger. Quelques pas encore. Une chaussure immense hésite à l'aplatir tout à fait. Spirale écrasée, cathédrale en miettes, l'escargot fonce vers le sommeil, double les jaguars et les antilopes de mourir si vite. Ses antennes plates serviront de couverts au repas des survivants. Elles amplifieront le bruit des mâchoires. Mastication des coeurs, Des serveuses siamoises entourées de chitine tendront des assiettes à déchets, y jetteront leurs langues, puis repartiront muettes, hurlant des silences à deux places. Phares de voiture. Lumières sales constellées de moustiques. Nettoyage des soleils. Essai des chants d'amour. Plein chant. Chant de croisement. Il faut manger même la coquille. Elle protègera de la hâte. Agrémentera les sous-sols. Décorera les spasmes. Seule la ligne spiralée doit rester dans la main, s'incorporer à la paume pour animer les lignes de vie. Hématomes en crosse. Sa main saigne un labyrinthe de Chartres. Les voyantes déboussolées tournent sur elles-mêmes, hélices sans solution. Pourtant, les gouttes balisent le chemin. Près du cadran solaire, il tend son bras vers la pointe d'ombre. Se nouent des amitiés minérales, des patiences de plaque tectonique, des grâces de marbre chaud. L'amour se lève à l'est. Pneus du ciel, vérifier la pression des âmes. Démarrage. Il conduit , la main sur la boîte de tristesses. Une partie de la voiture tourne à gauche, l'autre à droite. Ainsi se séparèrent les sexes de l'être humain, jadis. L'escargot vit encore au paradis. L'escargot ne mourra plus. Que repoussent les coquilles, digérées tout à l'heure par les dieux assis sur leurs sentences. Que travaillent les lumières à recoller ce corps. Que tombent des grands rideaux jaune d'or sur cette noirceur ouverte. Qu'on lui donne des balcons peuplés de rosiers et des chaînes de montagnes tout autour. À l'aube, un escargot, deux pétales de roses sur les antennes, attend que le volant se lève. Dans certains pays, c'est l'heure de l'exécution. Dans d'autres, celle de la grâce. Le paradis ? Une immense feuille de salade ou un long voyage vers l'autre moitié. Univers à double sens. Coquilles des feux de croisements. Ces spirales sont les jeux de mots de la lumière. Reste à attendre que le cadran lui passe l'aiguille des heures. Que la lumière inonde les ruines de l'escargot, qu'on le rebatisse pour en faire une église ronde en pélerinage. Nef en forme d'homme couché, l'escargot se tranforme. Qu'il est bon d'avoir des mains. Cercle parfait du volant. Soleil à direction assistée. Il entend prier les petits animaux au creux de son ventre. Les voyantes frappent sur son bois. Elles ont toutes trouvé la solution en même temps. Le volant marque neuf heures et quart. Clignotant. Axes des virages. Puis à nouveau, bras ouverts, comme pour envoyer des baisers aux roues. Conduisant le cadran solaire, il ouvre la vitre pour laisser entrer le rayon dans sa peau. Traînée de soleil, cambrure tétue, il signe longtemps d'un fil brillant, sous l'ombre au zénith. Qu'entre la vie dans ses bras, en intraveilleuse, à la vitesse d'un escargot qui écraserait lentement, avec le tendre de son geste, la nuit lancée vers lui à contresens. Sur la route, un escargot écrit "je vis".23-09-99-- Entrevol --Les gelées épousées Fractures cristallines Posent des caresses dans la cheminée Ciel à marque-pages Frôlements chamarrés Grand lecteur d'ailes de terre Flammes à arrondir les ombres Elles piquent les toits Escalier à fleurs Sur ces songes de balcon Les avions se mèlent de la conversation Le vent souffle sur l'Entrevol Pour que les marches décollent 13-9-99-- La seconde sous la mer --Je nage à la recherche d'une seconde sous la mer, une seule. Il me manque juste cette seconde pour être toute la vie à la fois. Phrasé de visage, un éventail de portes agite une main à faire respirer les étoffes étouffées. Peut-être la seconde se trouve t-elle par là. Je cueille le visage avec mes cils et plie ces tissus en scintillements coudés, en recouvre les feuilles des poissons-sève, prend des notes sur la façon de naître en plusieurs fois. J'en profite pour imaginer ce qui se passera avant. Rassemblées en touffes, des lunes brisées biaisaient la lumière, l'éclataient en arêtes de pollens. Peuple en crue, elles avaient de nombreuses bouches à mourir, de nombreux reflets à planter dans mes mains. J'étais ce miroir bulbeux, cette fièvre à facettes, ce coffre à hantises. Pour la suite, il faut remonter plus loin. Les lunes s'agrègeront en grappes, poseront des masques de soleil sur leurs cratères et chanteront des mers verticales, des foisonnements de paumes, des horizons flambants neufs. Tout ça ne me rend pas ma seconde perdue. Si je l'attrappe, je pourrai parler à tous les temps sans jamais me tromper. Courant chaud, j'arpente le dessous de ces coques, grave les gouvernails à saccages de mon adresse dans le temps. Quand je reviendrai, je me retrouverai facilement. Mais si je sais la date de ma naissance et celle de ma mort, je ne me souviens jamais de celle du milieu. Il manque juste cette seconde, je ne sais pas où je l'ai rangée. Comme il manque un bout de moi, je m'échappe de maintenant. L'ennui avec les calendriers, c'est qu'ils ne tiennent pas sous l'eau. Leur feuilles se collent entre elles, et les jours fondent les uns dans les autres. J'ai peur de naître un peu mélangé. Je demanderai au vent de me coiffer. Ma peau s'arrache en longs rouleaux où des poissons-plume écrivent, leurs nageoires trempées dans le bois mouillé. J'aime l'écriture du bois, les mots poussent pendant des siècles. Eux doivent savoir tous leurs temps par coeur, ne jamais se perdre. Ils n'ont pas besoin d'attendre. Mais moi, je sais nager partout à la fois, et me donner rendez vous partout en même temps. Sauf à cette fameuse seconde. Pour ma peau, ce n'est pas grave, en dessous, j'en ai une meilleure, je l'ai découpée dans du bois clair, elle sait marcher toute seule, je n'ai même pas besoin de vivre pour qu'elle s'anime. Un grand geste rond rassemble mes souffles, les lie en phrases. Évidemment, il manque un tout petit bout. Une seule seconde vous manque et tout est incomplet. Alors, je fais défiler des saisons à toute vitesse, on ne sait jamais. Est ce qu'elle était belle, au moins, cette seconde ? Et si c'était une seconde où je m'ennuyais ? Mais je sais, il me la faut absolument pour vivre. Et si c'était la seconde la plus importante justement, celle autour de laquelle toutes mes vies sont enroulées ? Ça expliquerait toute cette confusion. Et puis, je vais finir par couler, si je me pose trop de questions. Tout passe à toute vitesse, Une ligne de pluie est ma ceinture à amortir les chants. Ma vie défile en circuits de ruisseaux. Et en plus, je mets de l'eau douce dans l'eau de mer. Je vais finir par dérègler le monde. Les nuits, des conversations aigües forent des galeries dans ma tête. Cela fait le son d'un pinceau qui dessinerait une fleur. Les réponses précèdent toujours les questions. Les jours, je viens visiter les galeries, accrocher des lampes et piloter ces couloirs de flammes. La ligne des vagues avance, scie la mort, longue barre au chant doux. À part une petite seconde, je suis l'éternité la plus rapide du monde. 12-9-99"The difference beetween to know the path and to walk the path" (Morpheus dans"Matrix") -- La 8ieme couleur -- Pour la fête De l'inauguration du monde La couleur a prononcé un discours Je m'en souviens Je n'existais déjà pas Pourtant Quel délicieuse journée Facettes du soleil Toutes à la fois Lumière sans parenthèses Elle fait de belles ombres La vie en est une 9-9-99-- Froid follet --Front de fougère Agité dans la tête Lumière où se cacher Lancer de radiances Aux visages surchauffés Vifs marteaux de miettes Dansent les cacophonies Montent les derniers degrés du feu Vie panoramique Rires en nervure J'abrite un monde 7-09-99-- Dedans -- Quelques trous dans moi Quelques coquillages Ils n'ont que des parois Pas d'intérieur Dis-tu Un jour Quand j'aurais éclaté J'aurai une histoire à raconter J'aime Quand la mer souffle sur mes arêtes On pourrait croire alors Que je vais parler Même moi Je m'y laisse prendre Et je parle Pays du plus-que-vivant Une nuit Je brillerai plus loin que les phares Je vous entourerai Pour que vous écoutiez cette histoire Se promener partout sur vous Vous me poserez Bien au soleil J'aime tant briller Me donnerez deux fois par jour Vos mains à boire Je regarde à travers la mer Lentilles à rapprocher la lumière Je mêne une double vue Ces cercles de lichens Tracés fossiles Leur vie toute neuve Bondit sans cesse Datation des vagues Trains de soleil dans l'oeil J'aime Ce faux durcissement Longue vie salée des concrétions Ces pleurs nous polissent Lourd secret de plume Rien d'autre que l'amour Et nos pas sur une plage Je sais marcher Dans ce cri compact Une vraie tendresse fait son chemin Ce cri prend des cours d'harmonie Un matin Tu te souviens Ce chant t'enlèvera du mourir Les coquillages ont un dedans Dis-tu en riant 07-09-99- Embruns de chat --Chant de gouttière Grands sauts de rideau Son nez pousse une frontière invisible Contemplations sensibles Chateaux de chatières Plage montée quatre à quatre La chat fait vague de velours Longs plis de sommeil lourd Coup de pied dans la lumière Egrené macrocosme minuscule Dispersé arraché rassemblé par le vent Un chat seul encercle l'océan 05-09-99-- Roses du ciel -- Fil de flore Parfum de flêche Lentement leur douceur sèche Rassembler son essence Nous y mêlons la nôtre Sans parfum sans faute Les roses regardent à voix haute Quelle main les a posées vivantes ? Nombreux regards seuls Souvenirs des bras pleins de couleurs Chantent Suspendus en bouquet À l'horloge des fleurs Fins fils des heures Le ciel des roses Intérieure flore Un rond rêve se pose Bouquet de mains trempées dans l'or 5-09-99"À chaque effondrement des preuves, le poète répond par une salve d'avenir" -- René Char -- L'école des nacelles -- Les enfants des nacelles apprenaient à lire les hommes qui couraient en bas. Les hommes écrivaient pour les enfants d'en-haut. Certains poussaient comme des fleurs, arrosés par les chants qui se balançaient et se cachaient derrière les oiseaux à chaque fois qu'ils levaient la tête. Et les enfants des paniers volants soufflaient dans le rond des yeux étonnés des grands d'en dessous, pour qu'ils s'allument et ramènent un peu du vent rond des écoliers des ballons. Par en dessus, par en dessous, ils cousaient ainsi la terre dans un grand souffle. Mais ça ne suffisaient pas. Les enfants de l'école volante avaient décidé d'envoyer une longue lettre à la terre, pour la prévenir qu'elle n'était pas une sphère, mais un visage. Pour la forme, les hommes disaient "dors, petit, rêve, petite, veux tu que je laisse la lumière ?", pour ne pas trop avoir l'air d'apprendre de ces vies si haut perchées qui leur souriaient. Ils étaient sérieux, ils avaient des peines, des additions, des lourds blocs de paupières à voir le bout de son nez. C'étaient des hommes. Mais certains d'entre eux voyaient encore les yeux des enfants derrière les oiseaux, et ils poussaient, poussaient, s'évasaient en couleurs, jusqu'à ce qu'une main dépassant d'une nacelle les cueille. Il fallait faire attention. S'ils gardaient l'air trop heureux en revenant en bas, on les enfermerait en chambre noire, pour développer ce qu'ils avaient vu, puis on jetterait leurs peaux vides. Les enfants des nacelles savaient tout cela. "Prends nous dans tes yeux et fais nous du feu quand tu redescendras. Fais semblant d'être éteint en bas. Les carboniques sont de patrouille, ce soir. Tu n'auras qu'à faire un bruit de chaînes quand ils passeront. Ils aiment ce qui rouille et s'endormiront en pleurant, c'est signe qu'ils sont contents. Puis, pousse les feux. Cette nuit, nous avons classe, nous voulons apprendre à lire la lumière des hommes. Fais nous brûler tout l'alphabet ! On ne sait lire que la lettre "O", à cause du soleil qui est rond, la lettre "V" à cause des oiseaux. Ça ne fait pas beaucoup pour écrire une vraie lettre à la Terre. "Vo vo vo vo", tu comprends, toi ? Apprends nous à lire toutes les lettres et nous t'enseignerons à savoir changer de couleur pour faire rêver les orages, à souffler sur les sécateurs à soleil pour qu'ils deviennent arrosoir". Les hommes qui étaient d'accord sautaient alors des nacelles, avec un parachute à pétales, le feu des lettres dans leurs yeux. Ils les traçaient toutes en grand sur le sol, avec leurs bras, leurs jambes, ils devenaient les lettres une par une, se rencontraient et formaient des mots, des phrases, et les enfants lisaient, assemblaient, traçaient de drôles de signes sur leurs joues. Les plus forts savaient changer une lettre en une autre sur leurs joues rient qu'en souriant. Ils évitaient de former des mots trop lourds, comme "jamais", chute libre garantie pour les ballons avec celui-là. Ils mettaient les plus beaux des mots dans une malle bleue et or, en flacons de regards, pour les déboucher les jours de vent de pierre. Les plus courageux d'entre les hommes, c'est à dire les femmes, lorsqu'ils étaient arrêtés par les carboniques répondaient quelques mots à l'interrogatoire, se laissaient couper six centimètres de cheveux sous la torture d'une chèvre à faire pleurer les piedspour faire parler. "Oh, je suis juste allé là haut, il y avait un panier d'enfants, c'est la saison, puis j'ai écrit avec mes gestes pour leur montrer les lettres et vous allez recevoir une lettre, oui, même vous, et merci pour la coupe, j'en avais besoin". Puis ils soufflaient sur les carboniques qui se transformaient en petites bulles stupides que les oiseaux crevaient. Ça faisait "vo vo vo vo" dans le ciel. À la rentrée des paniers, il n'y avait pas de rangs. Les enfants avaient tous écrit un mot de présence et pleuvaient en longues lettres rieuses. Aux yeux d'en bas, Ils étaient des cordes à soleil. et les hommes en les voyant, sortaient leurs tremplins à pétales et sautaient jusqu'aux nacelles pour commencer la classe. 04-09-99"Une fée est cachée en tout ce que tu vois" -- Victor Hugo -- Robe de fenêtre -- Feuille sans bords Source de papier Forêt d''encre enchantée Grand ciel blanc en couleurs Sur un mur à voir loin Rayon vert sous verre Quelques mots de sept lieues Perles à lever le soleil Un jour, Une main Peut-être assise À hauteur de lumière A pris des crayons d'aurore Pour coudre à même la vie Une robe de fenêtre 02-09-99-- Stores Vénusiens -- À travers les jalousies Le jour épie la chambre Ses cheveux saignent aux éclats M'aiment à bout portant Rayures de lumière Leurs ombres griffent le vent A travers les jalousies La nuit creuse sa tombe Jalousies, coeurs criés Volets à mains armées Stores Vénusiens À travers les jalousies L'amour brûle le temps 13-08-99(...) Il va, porté par ces images qui le ravissent, qui lui laissent à peine le temps de souffler sur le feu de ses doigts. - André Breton, Premier Manifeste du Surréalisme (1924) - -- La marée des rosaces -- Passants de pied ferme, silhouettes de terre pâle, bienvenue. Mes gouttes, mes courants, mes frères, écoutez la prière de la marée des rosaces. Sur mon souffle éteint passe en brillant le nuancier du rêve. Ce sont les couleurs qui me songent. Que le rayon s'éteigne et je deviendrai statue de corail gommé, livre noyé, souvenir d'horizon. La lumière est assise et file mon regard. Dans le vitrail, continents de couleurs, les ors vifs font le tour du ciel. Je marche, dépose mes mains dans le vestiaire des cristaux de sang. Ils m'en donnent d'autres, des mains de mer qui savent respirer dans l'eau. Plus tard, lorsqu'elles me les rendront, mes mains digérées sauront se nourrir de la force des marées. Paupières en pélerinage, ombres en escalier, aidez les couleurs à se parler, retrouvez le langage entouré de plomb. Faites tourner les étoiles de mer comme les manèges des enfants et cornons les vagues à la bonne page. Ne joignez pas vos palmes et vos crètes, ici, la prière, c'est nous. Que viennent les premières gouttes du chant. La lumière de mer est entrée dans l'église. Liseron d'ange, elle fait le tour des piliers, s'assied sur les chaises noyées pour la prière du feu. Lierre de soleil, elle remplit nos mains de courants de couleurs. Elle allume les filaments des algues et les torches des conques. Mes yeux sont bulles de pierre, au coeur de la rose où l'eau prend lumière. Une nuance au bout de chaque cil, ici c'est le regard qui teinte le monde. Sur mes yeux, marées de cercles en volets, se révèle la rosace. Soudain, je voudrais mourir, devenir plat comme une eau couchée, pâle comme l'intérieur d'une épave de paume, Couché par les mots des couleurs carnivores, je plonge dans l'empreinte de mes pas à l'envers. Vent de boucles tirées, rendues droites, j'avance sur le fil du plomb. Là, je suis torrent de charbon, ceinture de flammes nègres, pont de lecture silencieuse. Rien ne peut me peindre où m'animer. Je suis rectitude et patience. Au prochain rayon de la rose, je reprendrai feu. Nageoires d'aurore, gestes à dire "viens" en couleurs, tracez la rosace des marées avec les pétales de vos pas. Dansons la fleur des profondeurs, la marelle à faire sauter la mer de ciel en ciel et vivons jusqu'aux étoiles. L'âme dans l'eau, je nous marche. Maintenant, la lumière est debout et le vitrail s'anime. Les vagues tatouées font prier leur peau sous la rose du soleil. Sur mes gestes de courant, la marée des rosaces brille en cercles croissants, toujours plus grands, toujours plus vivants, là où le ciel nous attend. Par vent debout, ses rayons traversent même le plomb et vont de mes mains jusqu'aux tiennes. 13-08-99"Des kilomètres de vie en rose" -- Bashung -- Le coeur sur la mer -- Ils disaient qu'après deux vrilles de rêve, j'allais m'enrayer. Planté dans du tissu, la tête en bas, avec la mer à deux pas. Le coeur sur la mer était une légende, un navire dans ma tête, des ailes sans oiseau. Au bout du port, il n'y avait qu'un dernier chien, maigre, noir, muet, sa gueule se refermant sur le soleil. Sa gueule de sentence. On rêgle l'addition en embrassant sa truffe et, comme tout le monde, on lève les bras pendant qu'une vague nous fouille au corps. Elle compte combien je suis, si je n'ai pas trop de moi sur moi. Coupe quelques feuilles. Me demande mon permis de vivre. "Mais j'ai le bras long, monsieur l'agent, je vous préviens !" Et je fais quelques figures dans l'espace, d'astre en astre, leur enlève deux ou trois yeux, fait tomber leurs galons pour les calmer. Sans colère. Au dessus, les ailes sont trop belles pour chasser l'amour. Les mouettes. Jamais je ne m'y habituerai. Elles viennent d'une fontaine dans l'eau. Elles sont belles comme des enfants trempés dans la lune. C'est leur cri qui jaillit en premier. Elles volent en gerbe quelques secondes, laissent le cri refroidir un peu, puis l'attrapent. Parfois, quelques mouettes trop rêveuses ou aux couleurs trop vives cherchent leur cri plus longtemps. Les bateaux-fantômes les attrapent et revendent ces cris très chers, dans le port même où le chien garde la mer. Ici, le chant est une denrée rare. Le port est en tissu. Une texture d'ascension. Il habille une femme, mystérieuse, différente pour chacun. Une robe rouge en boule, qui tient dans la main, ou fait toute la longueur du monde, ça dépend de l'ampleur de nos gestes. Elle clignote dans les paupières des vitrines, slalome entre les soleils. Puis s'inscruste dans la paume. Le port déhanché roucoule aux vagues. Eux, ils ne sortaient jamais voir la mer. Ils me gardaient. M'arrosaient, faisaient boire mes branches, mettaient leur mains devant mes yeux. Me jetaient de grandes flaques d'eau morte. Ils riaient en égrenant leurs poils de barbe, noirs, puis gris, puis blancs, en marchant, de plus en plus lentement dans la pièce. En se souvenant d'avoir marché. Peut-être. La mer était là, autour d'eux, s'enroulait à leurs jambes. Je crevais leur bulles, ils parlaient, ils croyaient être encore vivants. La mer, la mer est là et mon coeur bat. La fenêtre a bougé, descendu la colline, jusqu'à l'eau. J'avais tout prévu, je m'étais transformé en lettre sur la vitre. Je veux atteindre le coeur sur la mer, je veux peindre les mouettes, je veux être ce scintillement qui déshabille les quais. La vague qui mord. C'est la mer qui aboie. Le sel qui remue la queue et saigne des nageoires de soleil couchant. Jetant des tôles, des clous, des engrenages sur la mer, ils se balançaient en grinçant, les singes, les ancètres. Même morts, ils voulaient encore tuer. Les deux écumes mélées. Celle du chien, celle de la première vague. Ils flottent le même mot. Il garde sa noyade. Le port délivré. Il a jeté sa robe. Le tissu rouge flotte. Vagues vétues de coquelicot. Loin. Plonger. Ils envoyaient leurs doigts secs, lancés comme des lignes de pêche à la lune. Dévider le coeur sur la mer, pour qu'il ne ressemble plus à rien, juste une longue ligne plate à ferrer. Impossible à reconnaître. Tu t'aplatissais les mains à vouloir nager dans un dessin. J'aime la mer sauvage, celle qui cogne en t'aimant, celle qui te lance loin comme une main d'enfant lance un bâton. Je veux être cette écriture de gestes. Je renais. "C'est la vie qui rapporte" dirait le chien. Lever l'eau. Sourire, laisser se prolonger les lignes des lèvres, rondes, tisonnantes, belles comme des verres toujours pleins. J'aimerais que le chien revive. Il ne faisait que son métier. Eux, les brins d'herbe métalliques, les charbons aux yeux vernis, arpentaient mon visage. Ils tournaient autour de moi, tentaient de m'enclore dans le cercle de leurs doigts pointés qui faisaient "tic-tac, tic-tac". Les gouttes ont plus d'avenir que les doigts secs. Le chien remue la queue. Je lui ai mis des nageoires en plus. Il tire sur la robe rouge qui flotte. Elle a une drôle de forme. Les courbes, la couleur, le mouvement. On dirait un coeur posé sur l'eau. 30-07-99"Until I make you my love loop, My love loop, I'm gonna call you from Pompeï on my satellite line" -- Kat Onoma -- Siècles de soleil -- Trempées dans le Mistral, les étincelles chantent. De ma place, j'essuie les visages qui se forment sur le pare-brise, je tends les mains pour laver le feu au loin. Nos mots craquent dans la nuit. Poussé par la voiture, le pont des phares se cabre et lance mes mains dans le feu, catapulte mes gestes. À pleines poignées, je saisis la lumière. Je montre au ciel chacune de mes pensées, piquée au bout d'un doigt. Lorsqu'il voyage, le ciel aime se repérer sur les mains en flammes. Les flammes courent, grimpent aux arbres, Elles se préparent encore, s'habillent, jouent à grandir. Bientôt, elles descendront toutes ensemble jusqu'à la mer, Dans le feu, les arbres s'éveillent, savent lire le monde à l'envers. Ils sont des feux d'artifice centenaires, des fleurs qui mordent les yeux. Le bois qui danse et se tord est la graine noire du monde. Siècles de soleil, la forêt quitte la terre. Plus rien ne brûle que dedans. Roulant dans la mer, tu me dis qu'il pleut, que des pompiers grésillants accourent de partout pour lancer du feu dans les vagues, pour qu'elles ne débordent pas, pour qu'elles ne puissent pas former une grande loupe vivante à voir à travers le temps. Tu observes si mon regard courra plus vite qu'eux. Si le corps de l'eau se mettait à bouger, il faudrait peut-être mettre des panneaux stop jusque dans les vagues. Nous descendons par les ouïes de la voiture. Je regarde la trace de mes pas en forme d'étoile de mer. Baignées dans la lumière, des vagues crépitent tout autour. De ma place, j'allume l'eau des visages qui se forment sur les flammes, je tends les mains pour faire briller la mer, ici. "Je sais lire l'avenir dans la nuit et allumer les feuilles des phares" me dit une vague en syllabes de soleil. "Je sais boire dans le feu et nager dans les courants des branches", lui répond-je en langage des signes d'eau. Nous nageons ainsi en parlant, nous reposant sur le dos de la voiture lorsqu'elle remonte pour respirer à la surface des bougies. Les flammes deviennent vertes, alors, de nouveau, le temps peut traverser. Et, au fond de la forêt, dernière goutte en haut des flammes, pendant que les siècles repoussent dans la terre, je tends mes mains pour que coule le soleil. 26-07-1999-- Magie verte -- Heure où l'oiseau souffle Pour allumer les feuilles Passage des cerfs sauvages Une carte entre leurs bois Pour guider les coeurs Longue phrase à aimer vivre Un soleil frais pousse sur les pierres Signaux de sève La rosée brille Magie verte La lumière glisse le long des cils 15-07-99-- Auberge de l'orage -- Les arbres prennent le chemin du retour Il reste un verre posé sur la nappe La pluie aura soif, sûrement À travers Je vois les bruits des éclairs Je reste Ils sont bien aimables Une bouée pour deux Sans supplément de sang Fenêtres en bois de chant À l'épreuve du tonnerre Des gens charmants La chambre Juste à bonne température Des branchies neuves accrochées au cintre Pas un pli Un bon livre Longue nage Courant de chapitres Cornés continents Humour des vagues Larmes en fou-rire Répliques électriques des nuages acrobates Un endroit à recommander Dès que je retrouve comment respirer Par la fenêtre, l'orage allume les nids Pour guider les éclairs Atterissage de la lumière À la nage Je rejoins le matin 15-07-99-- Navires à bondir -- Navires à bondir Beauté de leurs gestes Gouttes de corde en corde Chorégraphie de mouettes Éblouissant ravissement Ils ressemblent à des livres en mouvement Histoires à nageoires Palmes scintillantes Constellation des nacelles Signes d'or du fond du ciel Étonnants bâtiments Courent les ailes des navires vivants 15-07-99-- Puits aux souhaits -- Au dessus de l'eau Les menuisiers du jardin Patient travail S'avancent Se penchent à la parole du puits Ruades plongeantes Éclaboussures des copeaux Frémissements de porte Orées respirées Rondes ouvertures Sueurs en hauteur Les heures sculptent l'eau L'amour est un grand vitrail Je laisse tomber ma main Nos regards grandissent avec les cercles d'ondes Qui débordent Du puits du jardin du monde 15-07-99-- Pensées en quartiers de soleil -- Phases du soleil Autour de la table La lumière distribue les doigts Assiettes à rêves Traversées de roues Cercles convoqués Peau-parachute aux rayons des avions Vents de paume Je ris dans l'oeil de ton sourire 15-07-99-- Pensées en brins de vague -- La mer lêche le jardin La nuit croustille au bout des doigts Feu sans artifice Terrasse à grandir debout Tu cours sur le paralune Même quand tu dors, tu marches Voile à tiroirs Souffles étagères Dehors autour du dedans Tes yeux s'ouvrent je suis vivant Escalade de la mer Mouvement de vent sur la peau des ombres Cercles de ta voix en vol Ouverts du côté où la vie tombe À travers le paralune Pensées en brins de vagues Vraiment un temps à bouger la vie 15-07-99- "L'évasion dans son semblable, avec d'immenses perspectives de poésie, sera peut-être un jour possible." -- René Char -- Coeur de nacre -- Les filles-vagues enciellent leur vie de jeune fille. Jeunes marées, elles vont au bal du grand large. Esprits des mers nageant le battement des lumières. peuple de gifles et de caresses, elles pleuvent les gestes qui rient. Les filles-vagues cherchent le Coeur de Nacre, le Coquillage à Images. phare en cercle irisé, chambre première, soleil salé à retrouver et à porter. Sur les crètes, leurs visages-vigie tendent les longues vue à mystère. Faites en verre caressé, elles voient tous les mouvements du vivant, même avant. Dans le ciel, les mouettes cherchent à bouger comme les vagues, s'enflent en rouleaux grondants et déferlent en éclaboussures de cris. La marée des oiseaux suit le vol des filles-vagues. Comme une tour d'eau lumineuse, l'océan en terrasses devient une clé vivante en vol, un escalier palmé, tournant sans cesse pour ouvrir le Coeur de Nacre. Le peuple des filles-vagues avance, nage avec son sourire et fait tourner à leur tour les ailes des mouettes. Vrille de mouvement et de chant, les plumes et les gouttes appellent ensemble le Coquillage à Images. Visages de nombreuses vies, elles regardent. Les plus sereines se courbent, silhouettes d'eau assise, seules leurs ombres enfantines sautent de crète en crète. Les plus emportées se lancent les bougies à éclaircir le temps. Leurs ombres à elles sont en couleur. Les bougies éclairent les journées suivantes, si jamais le Coeur de Nacre était un peu après elles. Du milieu du mouvement, de la crète du chant, à force de patience et de jeux, un arbre surgit. Ses longues feuilles bleues ressemblent à des petites barques suspendues. Les feuilles-barques ondulent et leur souffle crée des marées de vent, des raz-de-sève. L'arbre les attendait là. Il prend les bougies des filles-vagues sur ses feuilles pour qu'elles éclairent encore plus d'avenir à la fois. Leur nage est si belle que tous, vagues, mouettes et arbres ne forment plus qu'une grande courbe, un geste parfait qui prend le ciel dans ses bras. Les plus étincelantes des plumes, les plus lumineuses des gouttes, les plus ensoleillées des feuilles comprennent les premières. La rumeur-mélodie court des pieds à la tête de l'océan. "Le Coeur de Nacre, c'est nous !" Nul ne sait si c'est une parole de sève, un cri de vague ou un chant de plume, mais maintenant, des murmures irisés circulent dans toute la mer. Depuis le fond, même les lèvres d'abysses, les franges de crevasses, les gargouillements de nuit, contemplent les images du Coquillage. Nées du tourbillon des clés les images irisées expliquent le voyage, le Chemin de la Nacre et comment tourner la clé palmée. Mouettes à marée haute, vagues en piqué, arbres naviguants, ne dites pas à ceux qui viendront après vous qu'ils sont le Coeur de Nacre. Laissez les oiseaux apprendre à pleuvoir, laissez les arbres s'embarquer vers la haute mer, laissez les filles-vagues s'habiller d'étincelles et piquer un coquillage dans leurs cheveux-sillage. Nacre de grand large, une vie vole au bout des feuilles. 12 juillet 1999- Visages déchiffrés -- La nuit montait l'escalier. Des voiles nous giflaient, ne savaient pas nous lire, aplatissaient nos visages, emportaient nos expressions. Des doigts de tissu nous enlevaient de nos têtes. Puis ils se pliaient en carrés pour les recouvrir. Visages-terrains vagues, ils ressemblaient à des lettres sans timbre, sans adresse. Des signes en chemin vers nulle part. Nos visages s'alignaient, s'empilaient, se brouillaient de blessures. Le vent s'étouffait sur leurs angles et la pluie sautait de carré en carré voilé, ses gouttes durcissaient et laquaient les lignes lisses du tissu sans toucher. Sur nos visages codés s'écorchaient les arc-en-ciel. Lumière-lectrice, une lune en voyage vint se poser, chanta sur les voiles, se courba pour arrondir les coins des visages laqués et casser les carrés sêchés. Alors, s'enflamment les arêtes des brumes, se colorent les pâleurs des givres. Dans un rayon dansent les poussières d'expression, sous la peau viennent se lever les marées d'attention. Visages habités, nous revenons dans nos têtes, nous savons de nouveau écrire nos émotions avec le sourire de nos maisons. Phrases de visages, des lettres font briller leurs cheveux dans les rayons et rient en rond. Lumière dévoilée, nos lettres sont nos gestes et nos mains font cercle autour de l'escalier à épeler. Une page éblouie frissonne en clignement de feuilles, large anneau d'aurore en crépitement d'oeil. Une lune qui sait lire fait le tour des lettres ovales. Ici, le soleil sait danser sur les visages déchiffrés. 7-07-99"Tenir l'âme en état de marche" -- Jean Pierre Rosnay -- Chants de passage -- Il est tard sur la Sirénissime. Des corbeaux-gardiens passent, ils tiennent leur bouche au bout d'une pique pour éteindre nos chansons sans les toucher. Ne t'inquiète pas, j'ai rangé les plus belles sous l'escalier. Quand elle montera, ses pieds les feront sonner. Demain, lorsqu'elles se sont relevées pour être chantées, il y avait déjà nos empreintes sur les refrains. Quand elle rentrera dormir, elles la suivront, épouseront les carreaux de sa robe et dessineront sur elle la carte des voeux. Crème de murs, je lèche la pierre taiseuse et suis les canaux noirs. À l'inverse de Venezia, cette ville s'envole peu à peu, s'enfonce dans le ciel. Ils ont beau mettre des cales aux toits, la cité s'élève. Parfois, à la fenêtre, on aperçoit les ailes des gondoles. Dans la cité Sirénissime, chaque pierre sait que j'attends l'heure la plus rouge de la nuit pour pouvoir m'éloigner sans qu'on me voie brûler. J'attends le plus plein de la lune pour fabriquer des anti-masques dans sa nacre. En les mettant sur son visage, on est poussé à dire la vérité. Alors, en marchant, un peu ivre de la nacre sur mon visage, je parle. Je dis au ciel que la cité va le rejoindre, je dis à la femme qui monte les escaliers... non, tout cela, je lui dis avec le tracé de mes mains dans l'air. Et le ciel sourit tout autour, on dirait que la lune parle et que je prends des notes. Et je cours en chantant sous le sourire du ciel : "Maria, Maria, ombre di bacci !" *en tenant une mandoline imaginaire en forme de pont pour que les mots traversent. Et je ris d'un rire sourd, un rire de jeu pour vivre, un rire de marelle importante. Et tu m'envoies un clin de goutte dans les yeux. Dans sa chambre, il y a du sable accroché au mur, une plage verticale pour que ses rêves puissent prendre des vacances. Il y a les parenthèses couchées de sa bouche, les gondoles de pulpe, les quartiers de lumière qui disent "bonne nuit" en croissant de mot. "Maria, Maria ! ucelli di sappia !"** Sur sa peau, des canaux de lumières guident les graines de gondoles que j'ai soufflées ici même en bas, hier, demain, toujours, Au bout des lianes, des pousses de vitrail colorent son respir. Dans son souffle, une harpe vient bercer les grains de sable du mur. Dans son coeur, il y a un oiseau qui brille. Là où le chant bat des ailes, là où le ciel se fait rivière, tout au fond du soleil, l'oiseau accorde les lianes de la forêt marine. "Maria, Maria ! Sole azzuro !"*** Il est tard, il fauderait faire silence. Un mot de trop et la cité s'envolerait d'un coup. Il ne faut pas. D'abord, les enfants doivent s'éveiller pour la tenir à bout de bras, et que le reflet de leurs yeux fasse briller chacune de ses pierres. Il faut qu'il courent dans toutes les directions pour former un mot mouvant visible du ciel ou depuis les ailes des gondoles. Il faut que le mot remonte des doigts des enfants, puis soit prononcé de haut. Alors, que vole la Sirènissime ! que les grains accrochés au mur forment des visages ! que dansent les arches des mandolines ! "Maria, Maria, venti di seta !"**** Arbre à cinq branches, je prends toutes les rues à la fois, elle croit que je suis silencieux , déjà, elle s'endort en montant l'excalier, moi je m'élargis, fais entrer mes branches dans les fenêtres, dépose mes feuilles très doucement sur les cheveux des enfants, puis resdescends les marches, Je laisse juste un atome d'arbre derrière moi. Rien qu'en étant près d'elle, il deviendra forêt vénitienne , jungle de canaux-lianes, tressera des nids où les gondoles pourront glisser leur becs sous leurs ailes. "Maria, Maria ! Colore de movimenti !"***** Moi, je suis très loin déjà. Et si je pleure des fois, ce n'est que parce que les fleurs de la Sirènissime ont poussé dans les vagues et elles ont soif de se rappeler la mer. Et invariablement, cela fait une flaque en forme de coeur qui fait fondre la nuit. En marchant sous le ventre des gondoles, j'aime terminer les phrases des étoiles et lancer notre poudre rose sur les corbeaux. Au dessus de la Sirénissime, les anges disent qu'ici les moments sont si beaux que le ciel s'enfonce peu à peu dans l'eau pour nous rejoindre. 3-07-99 *"Marie, Marie ! Les ombres des baisers !" ** "Marie, Marie ! Les oiseaux de sable !" *** "Marie, Marie ! Le soleil bleu !" ****"Marie, Marie ! Le vent de soie !" ***** "Marie, Marie ! Les couleurs des mouvements !" "
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