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-- Saskia--
 
Pinceau de vie, elle crie des gouttes de lumière sur les ombres au
tableau. 
 
Le nez sur le carrelage, elle respire le blanc, le noir, les lumières
d'étouffoirs. 
Des doigts courent, roues fluides autour d'elle, la saississent, la
déposent ailleurs. 
Les poings du ciel tambourinent sur son ventre. Son propre cri y entre.
La beauté colore le souffle.   
 
Rien qu'un instant, oublier qu'elle existe en elle seule. Être une
vieille femme assise, désigner du bout des doigts les tables et les
mets, se les faire apporter et mourir doucement, en riant au milileu des
siens.
 
Sa nage remonte le prisme.
Colliers de gris épointés, boucles de pêche et de miel, combat de
couleurs coulées. 
Douleur primaire, nuancier décapité, Saskia rit à ses éclats. 
 
Un instant, rien qu'un instant, oublier de brûler, oublier ce tube qui
la presse hors d'elle, l'étale sur tous les canaux d'Amsterdam. Juste le
temps d'une goutte, se promener enfant, dans une clairière qu'elle
aurait dessinée,  sauter de couleur en couleur, et s'endormir dans le
soleil. Sans ces percussions rouges, ces écrasements noirs, ces flammes
qui la travaillent dedans. Juste dormir dans l'air léger et se réveiller
un peu plus claire. 
 
Des loups peignent en elle, tracent des secondes fraîches où ses plaies
pourront boire. 
Tête penchée, Saskia se débat. 
Écume de serpents bruns entrelacés, claquements de roux piquants,
pourpres en cercles hirsutes, dansent les dents de la lumière. 
De son corps d'outrefeu, Saskia fait jaillir les bleus.
 
Pinceau de nid, pâte à mordre dans les fruits, elle regarde à l'envers
le coeur du soleil. 
Les loups bariolés hurlent au silence doré. 
Matière entière, Saskia donne chair à la lumière. 
 
Rien qu'un toujours, être cette lune trempée entre les mains de
Rembrandt. 
Redevenir cet astre liquide enroulé au bout de lui, respirant de toute
la chaleur de l'homme en elle. 
Silhouettes incandescentes sur chevalets cambrés, cuisent les filaments
nus de leurs souffles mêlés. 
 
Et plonge la nuit-mère dans les cris du soleil. 
 
                3-11-99 -
 
 
 

 
 
- La lettre --
 
J'écris depuis l'intérieur de l'enveloppe. 
Les mots ne sont lisibles que les yeux fermés, ou bien il faut faire un
pas jusqu'à un peu plus tard. 
Mais c'est juste mon avis. Peut-être, vous savez lire tout le temps.
Moi, ça dépend.  
 
L'enveloppe m'ouvre. 
 
"Chère vie. 
Demain, j'ai tout mon temps pour nous retrouver. Aujourd'hui, je t'écris
et j'essaye de trouver ton nom pour que cette lettre me parvienne..."
 
J'ai compris.   
Le corps d'une lettre coud des absences,  colle les distances l'une sur
l'autre. 
Cette lettre fut un homme. 
Il habitait dans les traces de pas sur les plafonds. 
 
Je suis ses paumes évanouies, l'orbe de son corps cassé. 
Je suis peut-être son souvenir dans vos têtes, visage imprécis,
ondulations écartées. Je reste à inventer. 
 
Je suis un peu moi. 
 
Je passe à l'intérieur de l'enveloppe. J'ai oublié l'adresse de l'encre. 
Je prends une couleur au hasard dans le temps.
Doucement, je me laisse guider par les mains que je serai. 
 
"... Hier nous a écrit ce matin. Il paraît que tout va bien chez moi. Il
est un peu distrait, il ne se souvient plus de combien tu es..."
 
Je regarde mon reflet dans l'enveloppe. 
Les mots à l'envers se contempleront en arrière. 
 
Il fut un temps où je ne serai pas recouvert par tout ça. 
 
Est ce que vous me souvenez ? 
Dans quel ordre étaient les choses, déjà ? 
Ah oui, autour de ma voix, tournait mon visage.
Est ce qu'ici, on peut être tout soi en même temps ?
Ou ça ne se fait pas ?
 
Poliment, je reste éparpillé en quelques morceaux, très peu, au cas où. 
 
J'écrivais des voix avec mon visage sur la feuille. 
 
 
"... Je prèfère demain. Lui, il est drôle. Souvent il invente des
blagues et je me retrouve à l'endroit d'où je suis parti, mais ce n'est
plus moi..."
 
Un jour, les arbres m'écrivaient à travers mes plis.  
Quelque chose venait voler la mort dans mes poches, la remplaçait par
des petits cris pliés.  
 
Oui, je m'en souviens, ça se passait pas plus tard qu'en ce moment. 
 
Un éclair vient me prendre et me rassembler
Le temps d'un grand instant. 
 
Ces encres dressées comme des pierres. 
La nuit viendra trembler en elles. 
Elle est venue déjà, mais c'était en plein jour et elle est passé
inaperçue.
 
Mais elle m'a laissé mes coordonnées. 
 
"... Chère vie, il faut que je te laisse, maintenant, car je me suis
oublié. Aujourd'hui, je me souviens juste de qui je ne suis pas. C'est
déjà pas mal. Merci de me dire qui je suis dans ma réponse"
 
J'étais cette enveloppe qui cherchera mes mots
 
Aujourd'hui, j'ai reçu une lettre. 
Calmement, je me suis ouvert
 
                10-10-99

 

-- Bois-Marée --

 
Un bois rit dans l'avenir de la mer. 
 
J'enroule les vagues du soleil autour de mes poignets pour que l'heure
puisse me lire. 
Un vent de sable vole à l'envers. Dedans, un homme attend la marée. Je
crois bien que c'est moi. 
 
Coquillages sur les arbres, j'allume les pousses bleues du feu sur ma
tête pour que le temps puisse me traverser. 
 
Sous la mémoire de la forêt s'écrit une plage. En gravant les arbres en
lettres de vagues, je saurai la prononcer. 
 
 
        08-10-99
 
 
Jill se retourna brusquement vers lui.
"Quel est ton nom ? Je veux dire, ton VRAI nom ?"
-- Philip K. Dick
 
 
                                                -- Les verseurs de soleil --
 
        Ils picoraient les mondes, devenaient nos noms, puis s'effrangaient en
larmes de lave. 
        Ils portaient les robes du revers des magmas, enrubannaient les vapeurs
des nouveaux continents. 
        
        Si l'on additionnait tous les petits espaces de soleil entre les
feuilles d'un très grand arbre, on pouvait se faire une idée de qui ils
étaient. 
 
        Ils n'avaient pas de montre autour de leur coeur. Ils étaient les pays
et le voyage aussi. 
        Leurs poings riaient dans le verre. 
        Guettant les hommes avec leurs propres yeux, ils traçaient les cartes
vivantes sur les cartables des arbres.  
        
        Des pétales de leur sang naissait de nouveaux chiffres. Ils savaient
compter en couleur et faire rimer les visages. 
        De quelque côté qu'ils se tournaient, ils regardaient toujours en face. 
 
        Quand leurs aiguilles volaient nos matins, ils s'excusaient en envoyant
une vie entière en guise de lettre. 
 
        Si l'on savait écrire avec l'envie de l'air, l'incliné des nuits à
plusieurs lunes et le mouvement de la mémoire sur la mer, on pouvait
déchiffrer la première lettre de leur Livre. Elle nous ressemblait tant. 
        
        Lorsqu'ils s'endormaient, ils laissaient un mot dans l'air, il fallait
le respirer, puis entrer à l'intérieur. 
        Le temps de se souvenir que nous étions leurs rêves. 
 
        Leurs tableaux noirs duraient longtemps. Faits d'hommes dépliés dans
toutes les dimensions, ils se couvraient de leurs soleils versés. 
 
        Au nez du monde, ils accrochaient des parfums. 
 
                8-10-99
 

 
 
 
" Une harpe d'herbes, une harpe qui récoltait, racontait,
une harpe de voix qui se rappelait une histoire.
Nous écoutions. "
--Truman Capote 
 
                                                -- Le pays des voix --
 
Une main saisit des brins d'herbe dans sa bouche.
Corne à appeler les autres vallées du pays des souffles, le regard d'une
paume tournée vers le soleil. Sur les gestes, se reflètent les rayons
jusqu'au fond. 
 
Cercle orange dans un carré bleu, je tourne autour des voix qui tournent
autour de moi. 
 
Lèvres rouges trempées dans les brins d'eau, écoutez la flûte à donner
des nouvelles des rives des montagnes. 
 
Dans le pays des voix, les échos des rayons volent de soleil en soleil.
 
Tout là haut, au sommet d'une montagne rose et blanche, le soleil se
couche dans la neige. Rochers de peau et de cristal, la montagne fait
silence; 
Douces plumes de ravage, les voix me soulèvent encore plus, arrondissent
encore plus mes paumes pour faire parler la harpe autour du monde. 
 
Lorsque les ombres s'allongent et dessinent "tais toi" avec le doigt,
les voix ne tournent plus, ni moi. 
Je cours vers le haut de la montagne, nage sur la pente et m'en vais
sauter comme une tige qui danserait jusqu'au soleil. 
Je m'arrête juste un peu après le bord de la falaise. Et je continue à
marcher, sans tomber. Les voix savent voler. 
 
Sève d'éventail, regardez tournoyer les brins dans un ciel de vitrail.
Ce sont les voix qui peignent sur la lumière, cercle des brins d'air. 
 
Brins de geste dans un champ de mots en vol, je parle autour du feu qui
parle autour de moi. 
 
Dans la harpe d'herbes, une voix court, court de brin en brin, vive
comme une main. 
 
                6-10-99
 
-- Né la nuit °--
 
Né la nuit, je suis une ombre éblouie
Né au milieu de la vie, je suis la moitié de minuit
Quelques pas dans l'eau
Pépites d'aurore 
Quelques ors mouillés à brûler de haut
Né sans mon corps
Né au paradis, les yeux couverts par un protège-midi
Quelques suies quelques sorts
Éclats de marches   escaliers sans chateau
Je suis un soleil transi
Né la nuit
Né dehors
 
        6-10-99
 
* Titre d'un roman de Jean Pierre Campagne, une plongée en Afrique.
 
 
 
" (...)à errer et à virer loin de
 toute vie
 dans un espace pantin
 sans voix parmi les voix
 enfermées avec moi"
        -- Samuel Beckett
 
                            -- Sabots --
 
        Galops en rond, leur course soulevait un grand soleil de
poussière 
 
        Ils écrivaient leurs noms avec leurs sabots
        Les chevaux creusaient leur tombe 
                et ces ombres étincelaient dans les regards du public 
        Ils tournaient dans  nos yeux, soulevant la terre 
        Nos yeux creusés ruaient dans les gradins 
        Les applaudissements tapant sur la croupe des mains  
        Leurs horizons de sciure et leurs rêves de copeaux  
        Ils talllaient nos regards avec leurs sabots 
        Et nous voyions de plus en plus loin, vivions de plus en plus en
avant 
        Sans selle, juchés sur la proue du monde  
        Manèges sur les ponts des radeaux
        Les chevaux sautaient à la mer
        Grand cirque des vagues
        Leurs phares
        Lumière des naseaux
 
        Galops du fond, leur nage traçait un grand rayon d'eau.
        
                06-10-99
 
 
 
"Mais toute puissance sur terre
Meurt quand l'abus en est trop grand,
Et qui sait souffrir et se taire
S'éloigne de vous en pleurant."
-- Alfred de Musset 
 
                           -- Les caprices d'un fleuve --
 
Pendant les averses de temps, j'ouvrais les fenêtres du fleuve. Tombés
de nos mains, nos arbres poussaient en descendant son cours. 
L'eau d'en haut soufflait sur leurs feuilles. Elles bruissaient des
visages, et les troncs se courbaient pour épouser les bras du fleuve. 
Pour rejoindre les barques, les hommes marchaient sur le vent.  
 
 "L'arbre n'est pas seulement les branches, pas seulement les feuilles,
  pas seulement les racines, ni le tronc, ni les fruits, ni les fleurs.
  L'arbre est tout l'arbre"
 
L'eau chantait ces mots lorsque le fleuve ramait dans les hommes à coups
de soleil. 
Lorsqu'il y avait un accident de chant, on repêchait les hommes tombés
du fleuve en se passant les mots pour éteindre le froid. 
Les saisons remontaient le chant et les rides des hommes ressemblaient à
des cercles dans l'eau. 
 
 "L'arbre n'est pas le printemps, il n'est pas l'été, il n'est pas
  l'automne, ni l'hiver.
  L'arbre est toujours l'arbre."
 
Le fleuve maintenait les hommes au milieu de la vie, ni trop loin, ni
trop près. 
La vie ressemblaient à la courbe d'un soleil qui ne se coucherait
jamais, au saut d'un feu qi ne tomberait jamais. 
Les feuilles voulaient danser, danser, jusqu'à se déchirer sur les
rochers. Dans leuss éclabousssures , les hommes savaient voir le delta
des sources. 
Le devenir des hommes ramait vers leur mémoire.
 
  "L'arbre n'est pas les défunts, ni les vivants,  il n'est pas les
   naissances, il n'est pas les trépas, ni les vies entre eux, il n'est
pas
   le passé, ni le présent, ni le futur
   L'arbre est le mouvement de tout cela ensemble" 
   
Sous les profondeurs du ciel, l'ombre des feuilles serrées de peur
tissait un toit pour endormir la lumière. Arches de silence, elles
étouffaient les bonds des chants. Elles continuaient de faire tomber les
hommes hors du soleil. 
Le rythme sourd des rames n'entendait pas l'eau se noyer.   
 
Lorsque je manquais d'ombre, j'ouvrais les fenêtres du fleuve, j'étais
un cercle d'eau dans le soleil et le vent marchait sur moi pour
rejoindre la mer.  
 
                        6-10-99
 
 
 
"Juste en creux de paume
   Il dépose délicatement
   De l'indigo pour ma peau  
   Mon désert et la vie "
        --Marie Mélisou 
 
À Sigrine l'éveillée 
 
                        -- Six grains plus un --
 
        Une palette dans son bec, elle se pose sur la plage. Teintes du fond du
vent, elle signe à moitié avant de commencer. 
        Trame de toile, son pinceau marche de grain en grain. Légères touches
de couleurs, petits points immenses. Ils sont six, escalier nuancier,
intailles et camées colorées. 
        La pinceau cherche le septième, l'indigo du bout des mots. 
 
        Puis la plage s'incurve et devient femme. 
 
        Le pinceau chante : 
 
        "Six grains sur l'épaule
        Et un grain de beauté
        Sable et peau se frôlent
        Arc-en ciel complet"
        
        Moitiés de couleurs, poudre de dormeurs, les réunir pour qu'ils
respirent d'égale lueur. 
        Le vent couche la femme sur la plage. Couleurs communicantes, vases
vifs,  l'une prolonge l'autre. 
        
        Six grains montent sur l'épaule. Jetée de couleurs, le sable est une
invitation au visage. 
        Le vent construit un château de femme. 
        
        Horizon des six grains plus un, l'indigo sur son épaule. 
        
        Arc-en-ciel complet, elle tourne les plages et signe l'autre moitié, 
        Six grains plus un, un château de syllabes regarde la mer.
 
          28-09-99
 
 
-- Nautilus --
 
        À travers les toits, le Nautilus remonte à la surface des yeux.   
        
        Mains à l'envers des murs, je cherche, m'élève à la profondeur. 
        Conques sans fil, les ondes nagent la ronde longueur. 
        
        Un pas dans l'autre, je descends.  
        Dans la rue, des panneaux clignotent "Vivez toujours plus haut". 
 
        La foule réclame une échelle. Dans le feu, les masques n'ont pas pied. 
        Quelques vagues l'une sur l'autre suffiront. 
        
        Pendant la vie où j'ai tué les angles de la terre, le Nautilus est venu
s'asseoir en haut du centre du monde. 
        Le jour où le ciel a fait tout le tour, les cercles de coquilles se
sont allongés. 
        
        Voyant du présent, à travers les vagues je brûle de connaître ce qui se
passe en ce moment. 
 
        Steph "Captain Nés-mots" Méliade
        27-09-99
 
 
"Ah ! ah ! ah !"
-- Le Bouddha
 
                                                -- Ayers Rock --
 
        Nous sommes les pistes. 
        Anneau d'hommes autour du grand fruit de pierre rouge.
        Ses plis sont les souffrances de la Mère et les traits autour de ses
yeux quand elle rit.   
        
        Pinceaux de scorpion, dans son axe, il n'est pas de venin. Le serpent
peut dessiner ses rêves sur nous.   
 
        Nous buvons la lumière lourde. Ainsi, nous ne nous envolons pas. 
  . Nous mangeons la peau de la chaleur. Notre bol est la courbure de la
terre. 
 
        Au pied de sa bouche fermée, nous entourons la Mère pour former son
visage. 
        Je suis son oreille droite. 
        
        Au dos des étoiles, sur la face interdite aux yeux des hommes, les
ancêtres des couleurs claquent leur langue de plaisir. 
        Dans la peau du magma, au centre des atomes fondateurs, les aïeux des
lumières tapent du pied de bonheur. 
 
        Je n'ai pas peur. Mes jambes tremblent de danse, ou bien les ondes de
chaleur brouillent votre vue. 
 
        Nous avons amené des cristaux de neige. Le fruit de pierre rouge
regarde intrigué. Quels sont ces êtres blancs et froids qui durent le
temps d'un cri d'oiseau ? 
        Quelle joie étrange dans la fraîcheur. Quel vaste horizon dans
l'éphèmère. 
        La Mère-montagne rit comme une enfant de connaître son contraire. 
 
        Certains  d'entre nous montent à son sommet, Chacun tient une boule de
neige dans sa main. Lognue procession montante d'hommes noirs tenant un
flocon blanc. 
        Celui-qui-parle explique : "Ceci est de la neige. Il est des pays où
elle est éternelle"
        Le Grand Sein Rouge couvert de blanc en tire une grande connaissance et
le premier rhume de montagne sacrée de toute l'histoire de la création. 
        
        Maintenant,  les hommes, forges de vagues sombres à la peau dure, sont
venus apporter des coquillages rouges, noirs et blancs, pour parer la
Mère. Elle est prête. Elle sait ce qu'elle veut connaître. 
        
        Sans voile, ni rame, à la seule force de sa pierre fluide, la Mère suit
les pistes de notre peuple, en direction du seul être au monde qui soit
son aîné : l'océan. 
        Bulle géante, souffle concentré, elle se sent jeune et légère. 
 
        Feu solide, le rouge colle à la langue. Seules gouttes de cette terre,
nous érigeons des sources. Nos joues craquelées sont les mosaïques, les
fleuves en miettes que le ciel rassemble en un seul grande embouchure de
rire. 
 
        À sa place, elle laisse un trou gigantesque, aussi sacré que son plein
à elle. Désormais, il faudra que les hommes descendent pour la gravir,
et qu'ils tombent pour la connaître. Un jour, elle reviendra, ornée
d'algues et de mouettes. Elle sera complète, À la fois pleine et creuse,
à la fois au-dessus et en-dessous.
 
        Nous serons partis depuis longtemps, flocons noirs vivant le temps d'un
cri d'oiseau. Mais quelque chose de nous restera sur elle. Peut-être
l'empreinte de nos pieds, peut-être le visage de notre amour rassemblé
autour d'elle. 
 
        À travers les yeux des hommes qui viendront, nous, les ancètres des
couleurs, les aïeux de la lumière, marchons déjà vers elle comme des
enfants. 
 
        24-09-99
 
 
-- Intraveilleuse --
 
 
Une dose de mourir remonte depuis le bas de son corps. Marcher en
terres froides. Capillarité du sommeil, son ventre déjà immobile s'étire
derrière ses antennes, dernières à s'endormir, dernières à bouger.
Quelques pas encore.
Une chaussure immense hésite à l'aplatir tout à fait.
 
Spirale écrasée, cathédrale en miettes, l'escargot fonce vers le
sommeil, double les jaguars et les antilopes de mourir si vite.
 
Ses antennes plates serviront de couverts au repas des survivants.
Elles amplifieront le bruit des mâchoires.
Mastication des coeurs, Des serveuses siamoises  entourées de chitine
tendront des assiettes à déchets, y jetteront leurs langues, puis
repartiront muettes, hurlant des silences à deux places.
 
Phares de voiture. Lumières sales constellées de moustiques. Nettoyage
des soleils.
Essai des chants d'amour. Plein chant. Chant de croisement.
 
Il faut manger même la coquille. Elle protègera de la hâte.
Agrémentera les sous-sols. Décorera les spasmes. Seule  la ligne
spiralée doit rester dans la main, s'incorporer à la paume pour animer
les lignes de vie. Hématomes en crosse. Sa main saigne un labyrinthe de
Chartres.
Les voyantes déboussolées tournent sur elles-mêmes, hélices sans
solution. Pourtant, les gouttes balisent le chemin.
 
Près du cadran solaire, il tend son bras vers la pointe d'ombre. Se
nouent des amitiés minérales, des patiences de plaque tectonique, des
grâces de marbre chaud.
 
L'amour se lève à l'est.
 
Pneus du ciel, vérifier la pression des âmes. Démarrage. Il conduit ,
la main sur la boîte de tristesses. Une partie de la voiture tourne à
gauche, l'autre à droite. Ainsi se séparèrent les sexes de l'être
humain, jadis. L'escargot vit encore au paradis.
L'escargot ne mourra plus.
Que repoussent les coquilles, digérées tout à l'heure par les dieux
assis sur leurs sentences. Que travaillent les lumières à recoller ce
corps. Que tombent des grands rideaux jaune d'or sur cette noirceur
ouverte. Qu'on lui donne des balcons peuplés de rosiers et des chaînes
de montagnes tout autour.
 
À l'aube, un escargot, deux pétales de roses sur les antennes, attend
que le volant se lève.
Dans certains pays, c'est l'heure de l'exécution.
Dans d'autres, celle de la grâce.
 
Le paradis ? Une immense feuille de salade ou un long voyage vers
l'autre moitié. Univers à double sens. Coquilles des feux de
croisements. Ces spirales sont les jeux de mots de la lumière.
 
Reste à attendre que le cadran lui passe l'aiguille des heures.
Que la lumière inonde les ruines de l'escargot, qu'on le rebatisse pour
en faire une église ronde en pélerinage.
 
Nef en forme d'homme couché, l'escargot se tranforme. Qu'il est bon
d'avoir des mains. Cercle parfait du volant. Soleil à direction
assistée.
Il entend prier les petits animaux au creux de son ventre.
Les voyantes frappent sur son bois. Elles ont toutes trouvé la solution
en même temps.
 
Le volant marque neuf heures et quart. Clignotant. Axes des virages.
Puis à nouveau, bras ouverts, comme pour envoyer des baisers aux roues.
Conduisant le cadran solaire, il ouvre la vitre pour laisser entrer le
rayon dans sa peau.
 
Traînée de soleil, cambrure tétue, il signe longtemps d'un fil
brillant,  sous l'ombre au zénith.
 
Qu'entre la vie dans ses bras, en intraveilleuse, à la vitesse d'un
escargot qui écraserait lentement, avec le tendre de son geste, la nuit
lancée vers lui à contresens.
 
Sur la route, un escargot écrit "je vis".
 
 
23-09-99
 
 
-- Entrevol --
         
        Les gelées épousées
        Fractures cristallines
        Posent des caresses dans la cheminée
        
        Ciel à marque-pages     
        Frôlements chamarrés
        Grand lecteur d'ailes de terre
                
        Flammes à arrondir les ombres
        Elles piquent les toits
        
        Escalier à fleurs
        Sur ces songes de balcon
        Les avions se mèlent de la conversation
 
        Le vent souffle sur l'Entrevol
        Pour que les marches décollent
 
                13-9-99
 
 
 
 
-- La seconde sous la mer --
 
        Je nage à la recherche d'une seconde sous la mer, une seule. 
        Il me manque juste cette seconde pour être toute la vie à la fois. 
        
        Phrasé de visage, un éventail de portes agite une main à faire respirer
les étoffes étouffées. 
        Peut-être la seconde se trouve t-elle par là. 
        Je cueille le visage avec mes cils et plie ces tissus en scintillements
coudés, en recouvre les feuilles des poissons-sève, prend des notes sur
la façon de naître en plusieurs fois.  
        J'en profite pour imaginer ce qui se passera avant. 
 
         Rassemblées en touffes, des lunes brisées biaisaient la lumière,
l'éclataient en arêtes de pollens. Peuple en crue,  elles avaient de
nombreuses bouches à mourir, de nombreux reflets à planter dans mes
mains. J'étais ce miroir bulbeux, cette fièvre à facettes, ce coffre à
hantises.  
        
        Pour la suite, il faut remonter plus loin. 
 
        Les lunes s'agrègeront en grappes, poseront des masques de soleil sur
leurs cratères et chanteront des mers verticales, des foisonnements de
paumes, des horizons flambants neufs.  
 
        Tout ça ne me rend pas ma seconde perdue. Si je l'attrappe, je pourrai 
parler à tous les temps sans jamais me tromper. 
        
        Courant chaud, j'arpente le dessous de ces coques, grave les
gouvernails à saccages de mon adresse dans le temps. Quand je
reviendrai, je me retrouverai facilement. Mais si je sais la date de ma
naissance et celle de ma mort, je ne me souviens jamais de celle du
milieu. Il manque juste cette seconde, je ne sais pas où je l'ai rangée.
Comme il manque un bout de moi, je m'échappe de maintenant. 
 
        L'ennui avec les calendriers, c'est qu'ils ne tiennent pas sous l'eau.
Leur feuilles se collent entre elles, et les jours fondent les uns dans
les autres. J'ai peur de naître un peu mélangé. Je demanderai au vent de
me coiffer. 
 
        Ma peau s'arrache en longs rouleaux où des poissons-plume écrivent,
leurs nageoires trempées dans le bois mouillé. J'aime l'écriture du
bois, les mots poussent pendant des siècles. Eux doivent savoir tous
leurs temps par coeur, ne jamais se perdre. Ils n'ont pas besoin
d'attendre. Mais moi, je sais nager partout à la fois, et me donner
rendez vous partout en même temps. Sauf à cette fameuse seconde. 
        Pour ma peau, ce n'est pas grave, en dessous, j'en ai une meilleure, je
l'ai découpée dans du bois clair, elle sait marcher toute seule, je n'ai
même pas besoin de vivre pour qu'elle s'anime. 
 
        Un grand geste rond rassemble mes souffles, les lie en phrases.
Évidemment, il manque un tout petit bout. Une seule seconde vous manque
et tout est incomplet. Alors, je fais défiler des saisons à toute
vitesse, on ne sait jamais.
 
        Est ce qu'elle était belle, au moins, cette seconde ? Et si c'était une
seconde où je m'ennuyais ? Mais je sais, il me la faut absolument  pour
vivre. Et si c'était la seconde la plus importante justement, celle
autour de laquelle toutes mes vies sont enroulées ? Ça expliquerait
toute cette confusion. Et puis, je vais finir par couler, si je me pose
trop de questions. 
        
        Tout passe à toute vitesse, Une ligne de pluie est ma ceinture à
amortir les chants.  Ma vie défile en circuits de ruisseaux. Et en plus,
je mets de l'eau douce dans l'eau de mer. Je vais finir par dérègler le
monde. 
        
        Les nuits, des conversations aigües forent des galeries dans ma tête.
Cela fait le son d'un pinceau qui dessinerait une fleur. Les réponses
précèdent toujours les questions. Les jours, je viens visiter les
galeries, accrocher des lampes et piloter ces couloirs de flammes. 
        
        La ligne des vagues avance, scie la mort, longue barre au chant doux.
        À part une petite seconde, je suis l'éternité la plus rapide du monde. 
 
                
                12-9-99
 
 
 
 
"The difference beetween to know the path and to walk the path"
(Morpheus dans"Matrix")         
 
        -- La 8ieme couleur --
 
        Pour la fête
        De l'inauguration du monde
        La couleur a prononcé un discours
 
        Je m'en souviens
        Je n'existais déjà pas  
        Pourtant
        Quel délicieuse journée
 
        Facettes du soleil
        Toutes à la fois
        Lumière sans parenthèses
        
        Elle fait de belles ombres
        La vie en est une
        
                9-9-99
 
 
 
 
-- Froid follet --
 
        
        Front de fougère
        Agité dans la tête
        Lumière où se cacher
         
        Lancer de radiances 
        Aux visages surchauffés
         
        Vifs marteaux de miettes
        Dansent les cacophonies 
        Montent les derniers degrés du feu
 
        Vie panoramique
        Rires en nervure
        J'abrite un monde
 
                7-09-99
 
 
 
-- Dedans --
        
         
        Quelques trous dans moi
        Quelques coquillages  
        Ils n'ont que des parois
        Pas d'intérieur
        Dis-tu
 
        Un jour
        Quand j'aurais éclaté
        J'aurai une histoire à raconter
        
        J'aime
        Quand la mer souffle sur mes arêtes 
        On pourrait croire alors
        Que je vais parler
        Même moi
        Je m'y laisse prendre
        Et je parle
 
        Pays du plus-que-vivant
        
        Une nuit
        Je brillerai plus loin que les phares
        Je vous entourerai
        Pour que vous écoutiez cette histoire
        Se promener partout sur vous
 
        Vous me poserez
        Bien au soleil
        J'aime tant briller
        Me donnerez deux fois par jour
        Vos mains à boire
        
        Je regarde à travers la mer
        Lentilles à rapprocher la  lumière
        Je mêne une double vue 
 
        Ces cercles de lichens
        Tracés fossiles
        Leur vie toute neuve
        Bondit sans cesse
        Datation des vagues
        Trains de soleil dans l'oeil
        
        J'aime
        Ce faux durcissement
        Longue vie salée des concrétions
        Ces pleurs nous polissent
 
        Lourd secret de plume
        Rien d'autre que l'amour
        Et nos pas sur une plage
        
        Je sais marcher
        Dans ce cri compact
        Une vraie tendresse fait son chemin
 
        Ce cri prend des cours d'harmonie
        
        Un matin 
        Tu te souviens
        Ce chant t'enlèvera du mourir
        
        Les coquillages ont un dedans
        Dis-tu en riant
          
                07-09-99
- Embruns de chat --
        
        Chant de gouttière
        Grands sauts de rideau
        Son nez pousse une frontière invisible
        Contemplations sensibles 
 
        Chateaux de chatières
        Plage montée quatre à quatre
        La chat fait vague de velours 
        Longs plis de sommeil lourd
 
        Coup de pied dans la lumière
        Egrené macrocosme minuscule
        Dispersé arraché rassemblé par le vent 
        Un chat seul encercle l'océan
        
                05-09-99
 
                    -- Roses du ciel --
        
        Fil de flore
        Parfum de flêche
        Lentement leur douceur sèche
        
        Rassembler son essence
        Nous y mêlons la nôtre
        Sans parfum sans faute
        Les roses regardent à voix haute
        
        Quelle main les a posées vivantes ? 
        Nombreux regards seuls
        Souvenirs des bras pleins de couleurs
        Chantent
        Suspendus en bouquet
        À l'horloge des fleurs
        
        Fins fils des heures
        
        Le ciel des roses  
        Intérieure flore   
        Un rond rêve se pose
        Bouquet de mains trempées dans l'or
         
                5-09-99
                 
 
"À chaque effondrement des preuves, le poète répond par une salve
d'avenir"
-- René Char
 
                                        -- L'école des nacelles --
 
        Les enfants des nacelles apprenaient à lire les hommes qui couraient en
bas.   
        Les hommes écrivaient pour les enfants d'en-haut. Certains poussaient
comme des fleurs, arrosés par les chants qui se balançaient et se
cachaient derrière les oiseaux à chaque fois qu'ils levaient la tête.  
 
        Et les enfants des paniers volants soufflaient dans le rond des yeux
étonnés des grands d'en dessous, pour qu'ils s'allument et ramènent un
peu du vent rond des écoliers des ballons. Par en dessus, par en
dessous, ils cousaient ainsi la terre dans un grand souffle. Mais ça ne
suffisaient pas. Les enfants de l'école volante avaient décidé d'envoyer
une longue lettre à la terre, pour la prévenir qu'elle n'était pas une
sphère, mais un visage. 
 
        Pour la forme, les hommes disaient "dors, petit, rêve, petite, veux tu
que je laisse la lumière ?", pour ne pas trop avoir l'air d'apprendre de
ces vies si haut perchées qui leur souriaient. Ils étaient sérieux, ils
avaient des peines, des additions, des lourds blocs de paupières à voir
le bout de son nez. C'étaient des hommes.  Mais certains d'entre eux
voyaient encore les yeux des enfants derrière les oiseaux, et ils
poussaient, poussaient, s'évasaient en couleurs, jusqu'à ce qu'une main
dépassant d'une nacelle les cueille. 
 
        Il fallait faire attention. 
        S'ils gardaient l'air trop heureux en revenant en bas, on les
enfermerait en chambre noire, pour développer ce qu'ils avaient vu, puis
on jetterait leurs peaux vides. 
        Les enfants des nacelles savaient tout cela. "Prends nous dans tes yeux
et fais nous du feu quand tu redescendras. Fais semblant d'être éteint
en bas. Les carboniques sont de patrouille, ce soir. Tu n'auras qu'à
faire un bruit de chaînes quand ils passeront. Ils aiment ce qui rouille
et s'endormiront en pleurant, c'est signe qu'ils sont contents. Puis,
pousse les feux. Cette nuit, nous avons classe,  nous voulons apprendre
à lire la lumière des hommes. Fais nous brûler tout l'alphabet ! On ne
sait lire que la lettre "O", à cause du soleil qui est rond, la lettre
"V" à cause des oiseaux. Ça ne fait pas beaucoup pour écrire une vraie
lettre à la Terre. "Vo vo vo vo", tu comprends, toi ? Apprends nous à
lire toutes les lettres et nous t'enseignerons à savoir changer de
couleur pour faire rêver les orages, à souffler sur les sécateurs à
soleil pour qu'ils deviennent arrosoir".
 
        Les hommes qui étaient d'accord sautaient alors des nacelles, avec un
parachute à pétales, le feu des lettres dans leurs yeux. Ils les
traçaient toutes en grand sur le sol, avec leurs bras, leurs jambes, ils
devenaient les lettres une par une, se rencontraient et formaient des
mots, des phrases, et les enfants lisaient, assemblaient, traçaient de
drôles de signes sur leurs joues. Les plus forts savaient changer une
lettre en une autre sur leurs joues rient qu'en souriant. Ils évitaient
de former des mots trop lourds, comme "jamais", chute libre garantie
pour les ballons avec celui-là. 
        Ils mettaient les plus beaux des mots dans une malle bleue et or, en
flacons de regards, pour les déboucher les jours de vent de pierre.  
 
        Les plus courageux d'entre les hommes, c'est à dire les femmes,
lorsqu'ils étaient arrêtés par les carboniques répondaient quelques mots
à l'interrogatoire, se laissaient couper six centimètres de cheveux sous
la torture d'une chèvre à faire pleurer les piedspour faire parler. "Oh,
je suis juste allé là haut, il y avait un panier d'enfants, c'est la
saison, puis j'ai écrit avec mes gestes pour leur montrer les lettres et
vous allez recevoir une lettre, oui, même vous, et merci pour la coupe,
j'en avais besoin". Puis ils soufflaient sur les carboniques qui se
transformaient en petites bulles stupides que les oiseaux crevaient. Ça
faisait "vo vo vo vo" dans le ciel. 
 
        À la rentrée des paniers, il n'y avait pas de rangs. Les enfants
avaient tous écrit un mot de présence et pleuvaient en longues lettres
rieuses. 
        Aux yeux d'en bas, Ils étaient des cordes à soleil. et les hommes en
les voyant, sortaient leurs tremplins à pétales et sautaient jusqu'aux
nacelles pour commencer la classe. 
 
                        04-09-99
                       
 
"Une fée est cachée en tout ce que tu vois"
-- Victor Hugo
 
                        -- Robe de fenêtre --
        
        Feuille sans bords
        Source de papier        
        Forêt d''encre enchantée
        Grand ciel blanc en couleurs
        Sur un mur à voir loin
 
        Rayon vert sous verre
        Quelques mots de sept lieues
        Perles à lever le soleil
         
        Un jour, 
        Une main  
        Peut-être assise 
        À hauteur de lumière
        A pris des crayons d'aurore
        Pour coudre à même la vie
        Une robe de fenêtre
        
                02-09-99
 
-- Stores Vénusiens --
 
        À travers les jalousies
        Le jour épie la chambre
        
        Ses cheveux saignent aux éclats
        M'aiment à bout portant
         
        Rayures de lumière
        Leurs ombres griffent le vent
         
        A travers les jalousies
        La nuit creuse sa tombe
        
        Jalousies, coeurs criés
        Volets à mains armées
         
        Stores Vénusiens
        À travers les jalousies
        L'amour brûle le temps
 
                13-08-99
 
(...) Il va, porté par ces images qui le ravissent, qui lui laissent
    à peine le temps de souffler sur le feu de ses doigts.
     
                - André Breton, Premier Manifeste du Surréalisme (1924) -
 
                                        -- La marée des rosaces --
 
        Passants de pied ferme, silhouettes de terre pâle, bienvenue. 
        Mes gouttes, mes courants, mes frères,  écoutez la prière de la marée
des rosaces.  
        
        Sur mon souffle éteint passe en brillant le nuancier du rêve.
        Ce sont les couleurs qui me songent. Que le rayon s'éteigne et je
deviendrai statue de corail gommé, livre noyé, souvenir d'horizon. 
        La lumière est assise et file mon regard. 
        Dans le vitrail, continents de couleurs, les ors vifs font le tour du
ciel. 
        Je marche, dépose mes mains dans le vestiaire des cristaux de sang. Ils
m'en donnent d'autres, des mains de mer qui savent respirer dans l'eau. 
        Plus tard, lorsqu'elles me les rendront,  mes mains digérées sauront se
nourrir de la force des marées. 
 
        Paupières en pélerinage, ombres en escalier, aidez les couleurs à se
parler, retrouvez le langage entouré de plomb. Faites tourner les
étoiles de mer comme les manèges des enfants et cornons les vagues à la
bonne page. 
        Ne joignez pas vos palmes et vos crètes, ici, la prière, c'est nous. 
        Que viennent les premières gouttes du chant.
 
        La lumière de mer est entrée dans l'église. 
        Liseron d'ange, elle fait le tour des piliers, s'assied sur les chaises
noyées pour la prière du feu.
        Lierre de soleil, elle remplit nos mains de courants de couleurs. Elle
allume les filaments des algues et les torches des conques. 
        Mes yeux sont bulles de pierre, au coeur de la rose où l'eau prend
lumière. 
        Une nuance au bout de chaque cil, ici c'est le regard qui teinte le
monde. 
        Sur mes yeux, marées de cercles en volets, se révèle la rosace. 
 
        Soudain, je voudrais mourir, devenir plat comme une eau couchée, pâle
comme l'intérieur d'une épave de paume,  
        Couché par les mots des couleurs carnivores, je plonge dans l'empreinte
de mes pas à l'envers. 
        Vent de boucles tirées, rendues droites, j'avance sur le fil du plomb. 
        Là, je suis torrent de charbon, ceinture de flammes nègres, pont de
lecture silencieuse. Rien ne peut me peindre où m'animer. Je suis
rectitude et patience. 
        Au prochain rayon de la rose, je reprendrai feu.  
 
        Nageoires d'aurore, gestes à dire "viens" en couleurs, tracez la rosace
des marées avec les pétales de vos pas. 
        Dansons la fleur des profondeurs, la marelle à faire sauter la mer de
ciel en ciel et vivons jusqu'aux étoiles. 
          
        L'âme dans l'eau, je nous marche. 
 
        Maintenant, la lumière est debout et le vitrail s'anime. 
        Les vagues tatouées font prier leur peau sous la rose du soleil. 
        Sur mes gestes de courant, la marée des rosaces brille en cercles
croissants, toujours plus grands, toujours plus vivants, là où le ciel
nous attend. 
        Par vent debout, ses rayons traversent même le plomb et vont de mes
mains jusqu'aux tiennes. 
 
                13-08-99
 
"Des kilomètres de vie en rose"
-- Bashung
 
                        -- Le coeur sur la mer --
 
        Ils disaient qu'après deux vrilles de rêve, j'allais m'enrayer. 
        Planté dans du tissu, la tête en bas, avec la mer à deux pas. 
        Le coeur sur la mer était une légende, un navire dans ma tête, des
ailes sans oiseau. Au bout du port, il n'y avait qu'un dernier chien,
maigre, noir, muet, sa gueule se refermant sur le soleil. Sa gueule de
sentence. 
        On rêgle l'addition en embrassant sa truffe et, comme tout le monde, on
lève les bras pendant qu'une vague nous fouille au corps. Elle compte
combien je suis, si je n'ai pas trop de moi sur moi. Coupe quelques
feuilles. Me demande mon permis de vivre. 
        "Mais j'ai le bras long, monsieur l'agent, je vous préviens !"
        Et je fais quelques figures dans l'espace, d'astre en astre, leur
enlève deux ou trois yeux, fait tomber leurs galons pour les calmer.  
 
        Sans colère. Au dessus, les ailes sont trop belles pour chasser
l'amour.  
         
        Les mouettes. Jamais je ne m'y habituerai. Elles viennent d'une
fontaine dans l'eau. Elles sont belles comme des enfants trempés dans la
lune.
   C'est leur cri qui jaillit en premier. Elles volent en gerbe quelques
secondes, laissent le cri refroidir un peu, puis l'attrapent. Parfois,
quelques mouettes trop rêveuses ou aux couleurs trop vives cherchent
leur cri plus longtemps. Les bateaux-fantômes les attrapent et revendent
ces cris très chers, dans le port même où le chien garde la mer. 
        Ici, le chant est une denrée rare. 
 
        Le port est en tissu. Une texture d'ascension. Il habille une femme,
mystérieuse, différente pour chacun. 
        Une robe rouge en boule, qui tient dans la main, ou fait toute la
longueur du monde, ça dépend de l'ampleur de nos gestes. Elle clignote
dans les paupières des vitrines, slalome entre les soleils. Puis
s'inscruste dans la paume. 
        Le port déhanché roucoule aux vagues. 
        
        Eux, ils ne sortaient jamais voir la mer. Ils me gardaient.
M'arrosaient, faisaient boire mes branches, mettaient leur mains devant
mes yeux. Me jetaient de grandes flaques d'eau morte. 
        Ils riaient en égrenant leurs poils de barbe, noirs, puis gris, puis
blancs, en marchant, de plus en plus lentement dans la pièce. En se
souvenant d'avoir marché. Peut-être. 
 
        La mer était là, autour d'eux, s'enroulait à leurs jambes. Je crevais
leur bulles, ils parlaient, ils croyaient être encore vivants. 
 
        La mer, la mer est là et mon coeur bat. 
 
        La fenêtre a bougé, descendu la colline, jusqu'à l'eau.  J'avais tout
prévu, je m'étais transformé en lettre sur la vitre. Je veux atteindre
le coeur sur la mer,  je veux peindre les mouettes, je veux être ce
scintillement qui déshabille les quais.  
 
        La vague qui mord. C'est la mer qui aboie. Le sel qui remue la queue et
saigne des nageoires de soleil couchant. 
        
        Jetant des tôles, des clous, des engrenages sur la mer, ils se
balançaient en grinçant, les singes, les ancètres. Même morts, ils
voulaient encore tuer. 
        
        Les deux écumes mélées. Celle du chien, celle de la première vague. Ils
flottent le même mot. Il garde sa noyade. 
        
        Le port délivré. Il a jeté sa robe. Le tissu rouge flotte. Vagues
vétues de coquelicot. 
 
        Loin. Plonger. Ils envoyaient leurs doigts secs, lancés comme des
lignes de pêche à la lune.  Dévider le coeur sur la mer, pour qu'il ne
ressemble plus à rien, juste une longue ligne plate à ferrer. Impossible
à reconnaître. 
        Tu t'aplatissais les mains à vouloir nager dans un dessin. 
 
        J'aime la mer sauvage, celle qui cogne en t'aimant, celle qui te lance
loin comme une main d'enfant lance un bâton. Je veux être cette écriture
de gestes. 
        Je renais. "C'est la vie qui rapporte" dirait le chien. 
 
        Lever l'eau. Sourire, laisser se prolonger les lignes des lèvres,
rondes, tisonnantes, belles comme des verres toujours pleins. 
        J'aimerais que le chien revive. Il ne faisait que son métier. 
         
        Eux, les brins d'herbe métalliques, les charbons aux yeux vernis,
arpentaient mon visage.  
        Ils tournaient autour de moi, tentaient de m'enclore dans le cercle de
leurs doigts pointés qui faisaient "tic-tac, tic-tac". 
        Les gouttes ont plus d'avenir que les doigts secs. 
 
        Le chien remue la queue. Je lui ai mis des nageoires en plus. Il tire
sur la robe rouge qui flotte. Elle a une drôle de forme. Les courbes, la
couleur, le mouvement. 
        On dirait un coeur posé sur l'eau. 
 
                30-07-99
 
"Until I make you my love loop,
My love loop,
I'm gonna call you from Pompeï on my satellite line"
-- Kat Onoma
 
                                        -- Siècles de soleil --
 
        Trempées dans le Mistral, les étincelles chantent. 
        De ma place, j'essuie les visages qui se forment sur le pare-brise, je
tends les mains pour laver le feu au loin. 
 
        Nos mots craquent dans la nuit. Poussé par la voiture, le pont des
phares se cabre et lance mes mains dans le feu, catapulte mes gestes. 
        À pleines poignées, je saisis la lumière. 
 
        Je montre au ciel chacune de mes pensées, piquée au bout d'un doigt.
Lorsqu'il voyage, le ciel aime se repérer sur les mains en flammes. 
 
        Les flammes courent, grimpent aux arbres, 
        Elles se préparent encore, s'habillent, jouent à grandir. 
        Bientôt, elles descendront toutes ensemble jusqu'à la mer,   
 
        Dans le feu, les arbres s'éveillent, savent lire le monde à l'envers.
        Ils sont des feux d'artifice centenaires, des fleurs qui mordent les
yeux.
        Le bois qui danse et se tord est la graine noire du monde.    
        
        Siècles de soleil, la forêt quitte la terre. 
        Plus rien ne brûle que dedans. 
 
        Roulant dans la mer, tu me dis qu'il pleut, que des pompiers
grésillants accourent de partout pour lancer du feu dans les vagues,
pour qu'elles ne débordent pas, pour qu'elles ne puissent pas former une
grande loupe vivante à  voir à travers le temps. Tu observes si mon
regard courra plus vite qu'eux. 
        Si le corps de l'eau se mettait à bouger, il faudrait peut-être mettre
des panneaux stop jusque dans les vagues. 
 
        Nous descendons par les ouïes de la voiture. Je regarde la trace de mes
pas en forme d'étoile de mer. 
 
        Baignées dans la lumière, des vagues crépitent tout autour. 
        De ma place, j'allume l'eau des visages qui se forment sur les flammes,
je tends les mains pour faire briller la mer, ici. 
 
        "Je sais lire l'avenir dans la nuit et allumer les feuilles des phares"
me dit une vague en syllabes de soleil.   
        "Je sais boire dans le feu et nager dans les courants des branches",
lui répond-je en langage des signes d'eau. 
        Nous nageons ainsi en parlant, nous reposant sur le dos de la voiture
lorsqu'elle remonte pour respirer à la surface des bougies. 
 
        Les flammes deviennent vertes, alors, de nouveau, le temps peut
traverser. 
        
        Et, au fond de la forêt, dernière goutte en haut des flammes,  pendant
que les siècles repoussent dans la terre, je tends mes mains pour que
coule le soleil. 
 
                        26-07-1999
 
-- Magie verte --
 
        Heure où l'oiseau souffle
        Pour allumer les feuilles
        
        Passage des cerfs sauvages
        Une carte entre leurs bois
        Pour guider les coeurs
        
        Longue phrase à aimer vivre 
        Un soleil frais pousse sur les pierres
        
        Signaux de sève
        La rosée brille
         
        Magie verte
        La lumière glisse le long des cils
 
        15-07-99
 
-- Auberge de l'orage --
        
        Les arbres prennent le chemin du retour 
        Il reste un verre posé sur la nappe
        La pluie aura soif, sûrement
 
        À travers
        Je vois les bruits des éclairs
        Je reste
        
        Ils sont bien aimables
        Une bouée pour deux
        Sans supplément de sang
        Fenêtres en bois de chant
        À l'épreuve du tonnerre 
        Des gens charmants
 
        La chambre
        Juste à bonne température
        Des branchies neuves accrochées au cintre
        Pas un pli
        
        Un bon livre
        Longue nage
        Courant de chapitres
        Cornés continents
 
        Humour des vagues
        Larmes en fou-rire
        Répliques électriques des nuages acrobates
        Un endroit à recommander
        Dès que je retrouve comment respirer
        
        Par la fenêtre, l'orage allume les nids
        Pour guider les éclairs
        Atterissage de la lumière
        
        À la nage 
        Je rejoins le matin
 
                15-07-99
 
-- Navires à bondir --
 
 
Navires à bondir
Beauté de leurs gestes
Gouttes de corde en corde
Chorégraphie de mouettes
 
Éblouissant ravissement
Ils ressemblent à des livres en mouvement
 
Histoires à nageoires
Palmes scintillantes
Constellation des nacelles 
Signes d'or du fond du ciel
 
Étonnants bâtiments
Courent les ailes des navires vivants
 
        15-07-99
 
-- Puits aux souhaits --
         
        Au dessus de l'eau
        Les menuisiers du jardin
                Patient travail  
        S'avancent
        Se penchent à la parole du puits
 
        Ruades plongeantes
        Éclaboussures des copeaux
        Frémissements de porte
                        Orées respirées
                Rondes ouvertures
        
        Sueurs en hauteur
        Les heures sculptent l'eau
                L'amour est un grand vitrail
 
        Je laisse tomber ma main  
        Nos regards grandissent avec les cercles d'ondes
        Qui débordent
        Du puits 
                du jardin 
                                du monde
 
         15-07-99
 
-- Pensées en quartiers de soleil --
 
        
        Phases du soleil
        Autour de la table
        La lumière distribue les doigts
        
        Assiettes à rêves
        Traversées de roues
        Cercles convoqués
        Peau-parachute aux rayons des avions
         
        Vents de paume
        Je ris dans l'oeil de ton sourire
 
        15-07-99
 
 
--  Pensées en brins de vague --
 
La mer lêche le jardin
La nuit croustille au bout des doigts
Feu sans artifice
Terrasse à grandir debout
Tu cours sur le paralune
 
Même quand tu dors, tu marches
Voile à tiroirs 
Souffles étagères
Dehors autour du dedans
Tes yeux s'ouvrent je suis vivant
 
Escalade de la mer
Mouvement de vent sur la peau des ombres
Cercles de ta voix en vol
Ouverts du côté où la vie tombe
 
À travers le paralune
Pensées en brins de vagues
Vraiment un temps à bouger la vie
 
15-07-99
 
 
 
- "L'évasion dans son semblable, avec d'immenses perspectives de poésie,
                      sera peut-être un jour possible."
 
        -- René Char 
 
                                        -- Coeur de nacre -- 
 
 
Les filles-vagues enciellent leur vie de jeune fille. 
Jeunes marées, elles vont au bal du grand large. 
Esprits des mers nageant le battement des lumières. peuple de gifles et
de caresses, elles pleuvent les gestes qui rient. 
Les filles-vagues cherchent le Coeur de Nacre, le Coquillage à Images.
phare en cercle irisé, chambre première, soleil salé à retrouver et à
porter. 
Sur les crètes, leurs visages-vigie tendent les longues vue à mystère.
Faites en verre caressé, elles voient tous les mouvements du vivant,
même avant.
 
Dans le ciel, les mouettes cherchent à bouger comme les vagues,
s'enflent en rouleaux grondants et déferlent en éclaboussures de cris. 
La marée des oiseaux suit le vol des filles-vagues. Comme une tour d'eau
lumineuse, l'océan en terrasses devient une clé vivante en vol, un
escalier palmé, tournant sans cesse pour ouvrir le Coeur de Nacre. 
Le peuple des filles-vagues avance, nage avec son sourire et fait
tourner à leur tour les ailes des mouettes. Vrille de mouvement et de
chant, les plumes et les gouttes appellent ensemble le Coquillage à
Images. 
 
Visages de nombreuses vies, elles regardent. 
Les plus sereines se courbent, silhouettes d'eau assise, seules leurs
ombres  enfantines sautent de crète en crète. 
Les plus emportées se lancent les bougies à éclaircir le temps. Leurs
ombres à elles sont en couleur. 
Les bougies éclairent les journées suivantes, si jamais le Coeur de
Nacre était un peu après elles. 
 
Du milieu du mouvement, de la crète du chant,  à force de patience et de
jeux,  un arbre surgit. Ses longues feuilles bleues ressemblent à des
petites barques suspendues. Les feuilles-barques ondulent et leur
souffle crée des marées de vent, des raz-de-sève.
L'arbre les attendait là. Il prend les bougies des filles-vagues sur ses
feuilles pour qu'elles éclairent encore plus d'avenir à la fois. 
Leur nage est si belle que tous, vagues, mouettes et arbres ne forment
plus qu'une grande courbe, un geste parfait qui prend le ciel dans ses
bras. 
 
Les plus étincelantes des plumes, les plus lumineuses des gouttes, les
plus ensoleillées des feuilles comprennent les premières.
La rumeur-mélodie court des pieds à la tête de l'océan. 
"Le Coeur de Nacre, c'est nous !" Nul ne sait si c'est une parole de
sève, un cri de vague ou un chant de plume, mais maintenant, des
murmures irisés circulent dans toute la mer. Depuis le fond, même les
lèvres d'abysses, les franges de crevasses, les gargouillements de nuit,
contemplent les images du Coquillage. 
Nées du tourbillon des clés les images irisées expliquent le voyage, le
Chemin de la Nacre et comment tourner la clé palmée.  
 
Mouettes à marée haute, vagues en piqué, arbres naviguants, ne dites pas
à ceux qui viendront après vous qu'ils sont le Coeur de Nacre. Laissez
les oiseaux apprendre à pleuvoir, laissez les arbres s'embarquer vers la
haute mer, laissez les filles-vagues s'habiller d'étincelles et piquer
un coquillage dans leurs cheveux-sillage. 
Nacre de grand large, une vie vole au bout des feuilles.  
 
12 juillet 1999
- Visages déchiffrés --
 
La nuit montait l'escalier.
 
Des voiles nous giflaient, ne savaient pas nous lire, aplatissaient nos
visages, emportaient nos expressions. 
Des doigts de tissu nous enlevaient de nos têtes. 
 
Puis ils se pliaient en carrés pour les recouvrir. Visages-terrains
vagues, ils ressemblaient à des lettres sans timbre, sans adresse. Des
signes en chemin vers nulle part. 
 
Nos visages s'alignaient, s'empilaient, se brouillaient de blessures.
Le vent s'étouffait sur leurs angles et la pluie sautait de carré en
carré voilé, ses gouttes durcissaient et laquaient les lignes lisses du
tissu sans toucher. 
 
Sur nos visages codés s'écorchaient les arc-en-ciel.
 
Lumière-lectrice, une lune en voyage vint se poser,  chanta sur les
voiles, se courba pour arrondir les coins des visages laqués et casser
les carrés sêchés.
 
Alors, s'enflamment les arêtes des brumes, se colorent les pâleurs des
givres.
Dans un rayon dansent les poussières d'expression, sous la peau viennent
se lever les marées d'attention. 
Visages habités, nous revenons dans nos têtes, nous savons de nouveau
écrire nos émotions avec le sourire de nos maisons. 
 
Phrases de visages, des lettres font briller leurs cheveux dans les
rayons et rient en rond.  
 
Lumière dévoilée, nos lettres sont nos gestes et nos mains font cercle
autour de l'escalier à épeler. Une page éblouie frissonne en clignement
de feuilles, large anneau d'aurore en crépitement d'oeil.
 
Une lune qui sait lire fait le tour des lettres ovales.
Ici, le soleil sait danser sur les visages déchiffrés.
 
                        7-07-99
 
"Tenir l'âme en état de marche"
        -- Jean Pierre Rosnay
 
                                        -- Chants de passage --
 
Il est tard sur la Sirénissime. 
Des corbeaux-gardiens passent, ils tiennent leur bouche au bout d'une
pique pour éteindre nos chansons sans les toucher. 
Ne t'inquiète pas, j'ai rangé les plus belles sous l'escalier. Quand
elle montera,  ses pieds les feront sonner.  Demain, lorsqu'elles se
sont relevées pour être chantées, il y avait déjà nos empreintes sur les
refrains. 
Quand elle rentrera dormir, elles la suivront, épouseront les carreaux
de sa robe et dessineront sur elle la carte des voeux. 
 
Crème de murs, je lèche la pierre taiseuse  et suis les canaux noirs.
À l'inverse de Venezia, cette ville s'envole peu à peu, s'enfonce dans
le ciel. Ils ont beau mettre des cales aux toits, la cité s'élève.
Parfois, à la fenêtre, on aperçoit les ailes des gondoles.   
Dans la cité Sirénissime, chaque pierre sait que j'attends l'heure la
plus rouge de la nuit pour pouvoir m'éloigner sans qu'on me voie
brûler.  
 
J'attends le plus plein de la lune pour fabriquer des anti-masques dans
sa nacre. En les mettant sur son visage, on est poussé à dire la vérité.
 
Alors, en marchant, un peu ivre de la nacre sur mon visage, je parle. Je
dis au ciel que la cité va le rejoindre, je dis à la femme qui monte les
escaliers... non, tout cela, je lui dis avec le tracé de mes mains dans
l'air. Et le ciel sourit tout autour, on dirait que la lune parle et que
je prends des notes. 
Et je cours en chantant sous le sourire du ciel : 
"Maria, Maria, ombre di bacci !" *en tenant une mandoline imaginaire en
forme de pont pour que les mots traversent. Et je ris d'un rire sourd,
un rire de jeu pour vivre, un rire de marelle importante. Et tu
m'envoies un clin de goutte dans les yeux. 
 
Dans sa chambre, il y a du sable accroché au mur, une plage verticale
pour que ses rêves puissent prendre des vacances. Il y a les parenthèses
couchées de sa bouche, les gondoles de pulpe, les quartiers de lumière 
qui disent "bonne nuit" en croissant de mot.
 
"Maria, Maria ! ucelli di sappia !"**
 
Sur sa peau, des canaux de lumières guident les graines de gondoles que
j'ai soufflées ici même en bas, hier, demain, toujours, 
Au bout des lianes, des pousses de vitrail colorent son respir. Dans son
souffle, une harpe vient bercer les grains de sable du mur.
Dans son coeur, il y a un oiseau qui brille. Là où le chant bat des
ailes, là où le ciel se fait rivière, tout au fond du soleil, l'oiseau
accorde les lianes de la forêt marine. 
 
"Maria, Maria ! Sole azzuro !"***
 
Il est tard, il fauderait faire silence. Un mot de trop et la cité
s'envolerait d'un coup. Il ne faut pas. D'abord, les enfants doivent
s'éveiller pour la tenir à bout de bras, et que le reflet de leurs yeux
fasse  briller chacune de ses pierres. Il faut qu'il courent dans toutes
les directions pour former un mot mouvant visible du ciel ou depuis les
ailes des gondoles. Il faut que le mot remonte des doigts des enfants,
puis soit prononcé de haut. 
Alors, que vole la Sirènissime ! que les grains accrochés au mur forment
des visages ! que dansent les arches des mandolines ! 
 
"Maria, Maria,  venti di seta !"****
 
Arbre à cinq branches, je prends toutes les rues à la fois, elle croit
que je suis silencieux , déjà, elle s'endort en montant l'excalier, moi
je m'élargis, fais entrer mes branches dans les fenêtres, dépose mes
feuilles très doucement sur les cheveux des enfants, puis resdescends
les marches, Je laisse juste un atome d'arbre derrière moi. 
Rien qu'en étant près d'elle, il deviendra forêt vénitienne , jungle de
canaux-lianes, tressera des nids où les gondoles pourront glisser leur
becs sous leurs ailes. 
 
"Maria, Maria ! Colore de movimenti !"*****
 
Moi, je suis très loin déjà. 
Et si je pleure des fois, ce n'est que parce que les fleurs de la
Sirènissime ont poussé dans les vagues et elles ont soif de se rappeler
la mer. Et invariablement, cela fait une flaque en forme de coeur qui
fait fondre la nuit. 
En marchant sous le ventre des gondoles, j'aime terminer les phrases des
étoiles et lancer notre poudre rose sur les corbeaux.  
 
Au dessus de la Sirénissime, les anges disent qu'ici les moments sont si
beaux que le ciel s'enfonce peu à peu dans l'eau pour nous rejoindre.
 
                3-07-99
 
*"Marie, Marie ! Les ombres des baisers !"
** "Marie, Marie ! Les oiseaux de sable !"
*** "Marie, Marie ! Le soleil bleu !"
****"Marie, Marie ! Le vent de soie !"
***** "Marie, Marie ! Les couleurs des mouvements !"
 
  " 
 
 

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