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"Tu écris et sur le buvard tout s'est inversé" --Daniel Balavoine -- Décalage aurore -- Je t'écris depuis le dernier centimètre de la nuit. Je suis posé là, à l'extrémité, comme sur les tremplins des films de pirate, les vieux avec les couleurs dessinées à la main. La nuit est une longue planche, une vieiile branche qui me connaît bien. Et maintenant, elle se termine, mais moi, je continue. Déjà, les couleurs se pressent, juste aux bords de mon champ de vision. J'ai beau tourner mon regard de tous les côtés, elles restent toujours au bord et je les entends crier dans ma tête, comme des enfants à la récréation. Les couleurs sont encore dans la classe, et tu leur apprends à chanter. Je te vois battre des bras, et t'accrocher au sol en essayant d'avoir l'air lourde et sévère, pour ne pas qu'elles s'aperçoivent que tu sais voler. Je t'écris et le vent tient la feuille droite, parallèle à la mer, une feuille couleur aile de mouette. À cause du souffle, je dois écrire sous la feuille au dessus de ma tête. Lorsque je sauterai, je devrais atteindre la mer en me courbant, comme une porte. Si je ne reste pas grand ouvert, elle me tuera. Je la toucherai en demi-cercle, et une lame de fond fera l'autre moitié du cercle, en dessous. Nous ressemblerons étrangement à un soleil. Très loin, en bas, les rochers dépassent de l'eau comme des longs nez de noyés, mais je sais que je rebondirai dessus, qu'ils feront un escalier à mon corps. Pas question de mourir à l'aurore. Quand je fermerai mes yeux, tu ouvriras les tiens, tu sais bien que c'est chacun son tour. Il viendra un temps où nos yeux seront ouverts ensemble. Alors il n'y aura plus de nuit sur la mer, il faudra peindre de grands panneaux sombres et les tenir au bout de nos bras devant les yeux des hommes, pour qu'ils ne voient pas la différence et n'aient pas peur de nous. Je sais que tu caches dans un corps ou l'autre, peut-être dans le ventre d'une mouette, peut être dans un de mes doigts. Ou bien tu t'es étalée sur toute la surface des mers du monde et tu t'amuses à parler vague dans toutes les langues. Je sais que tu vibreras autour de moi en longs sifflets doux, pendant toute ma chute. Tu vois les hommes qui marchent sur le port ? C'est tout droit, tout plat, et pourtant, on dirait qu'il gravissent la jetée, comme si la mer était un sommet à gagner. Et moi, c'est le contraire. Que je lève la tête vers la mer ou que je la baisse vers le ciel, j'ai l'impression de regarder droit devant moi. Lorsque je vais sauter, il commencera à faire clair. Le soleil neuf aura juste le temps de voir mon corps sourire dans sa naissance. Prépare toi à te lever. Au moment où j'exploserai dans la mecr, j'aimerais faire plein de rayons d'eau, puis nager dans toutes leurs directions à la fois. Si tu viens avec moi dans l'eau, on fera des concours de soleil, des courses de rayons, on lancera nos ombres comme des billes et on pliera nos lumières pour en faire des cartes à jour. Nos bulles crieront "tricheur" et éclateront de rire. En décalage aurore, en deux sauts croisés, malgré son âge, la première seconde du jour sait déjà signer sur la mer. 28-06-99"Je dis au sort "ton sommeil laissa surgir le soleil" --Hâfiz de Shiraz, 1368 -- Terre ensoleillée -- Un enfant court vers le bord de la falaise, vers le vide, une motte de terre entre les mains, pour y construire un pays suspendu, une échelle couchée. Je crois que notre pays flambe, ou bien ce sont seulement les battements d'ailes de l'enfant dans l'air trop sec. En sautant, il a lâché la motte de terre pour dire qu'il ne sera jamais de ce monde. La tête en bas, l'enfant respire et la mer s'incurve, se fait coupe d'eau pour recevoir l'enfant volant. Courbe brisée dans l'air, petite plume qui saigne puis sourit lorsque le monde doux et fluide se referme sur elle. Terre ensoleillée, le feu fouira nos courants, cambrera la mort montante jusqu'à la casser, fera couler nos gestes que l'on vendait dans les vitrines des caniveaux, là où le port se noie, là où les chiens nous ont recrachés. Soleil enterré au fond d'un regard, toujours tu cherches la mer où te brûler. Dans notre pays de visages à venir, la terre monte au ciel. 22-06-98"Sors le pas devant, la pensée à jouer, l'idée humaine bien cousue, pour ne plus te manquer, même une seule journée." --Marie Mélisou -- Respirer entier-- L'oeil du cyclone demeurait calme. Son souffle en cercle était l'anneau à voir dedans. L'autre oeil, celui de tempête, déroulé en long fil fou lançait des regards tournants, vivait de spasmes brefs, de traversées bondissantes. Parfois, j'étais toute la furie glacée autour. Je tournais en ruées sanglantes, en hurlements étouffés. J'était fouet sombre, crevasse d'étau. Parfois, j'étais ce lac savant, cette perspective fluide et la tempête était chant d'arômes autour de moi, fleurs grimpantes autour du tracé des vies. J'étais caresse de science, franges de souffle et de couleur. Mes voiles étaient d'argile ou de tessons, elles claquaient en orbes crépitantes ou s'évasaient en paumes de toile. Un jour de marée noueuse, je me pris à rêver de lever d'arbres, d'immenses courbes à rejoindre les deux yeux. À grandes feuilles éoliennes, à larges troncs odorants, tous fruits ouverts, les yeux du vent se mirent à respirer entier. 08/09-06-99"Il a rêvé des sirènes il a rêvé tout petit de cavernes que personne ne connaît plus d'oiseaux que n'explique pas Darwin ni personne ni lui surtout qui volait avec eux" -- Stéphane Compagnon -- Graines de sésame -- Mains liées sur les clés pointillées Bulle de serrure Gestes de césures Je fais un geste un pas une aube une déchirure Une main tient serrés la moitié des mots L'autre les lance vers l'eau Des grenouilles de toutes les couleurs dans l'air Petits sauts de lumière Mélangent les lettres Brillent de prendre le vent Coulent les soleils sous les ponts La moitié des mots dans l'avion Graines à paroles Flots de l'arbre d'Éole Branches des navires Mouvements germés des sourires Au bout des rames Chantent dans l'eau les graines de sésame 08-06-99"Elle est retrouvée Quoi ? L'éternité C'est la mer Allée avec le soleil" -- A.Rimbaud --Lumière d'abysses-- Tu trouveras goutte à goutte les graines de bougie, cachées dans des buissons de morsures. Chevelures vivantes, les mèches des graines ondulent et craquent dans l'eau. Parcours ce champ d'éclats et entre dans leurs noyaux. À grandes pelletées de flammes, des cendres fracturées creuseront le soleil. Il faudra nager vite et flamber clair. Défi de chaleur, je fais la course avec la glace qui pleut dans les fonds. À grands gestes d'arbre, vêtu de flots et de lueurs, je dispose les graines autour des béances, accorde les mêches de la Lyre des abysses. Crevasses aux bras ouverts, des coups arrachent le sang griffé des éponges. Crépiteur d'ombre, j'irai noyer nos larmes dans des cavernes limpides. Peintre d'horizon, Il faudra frotter tes mains l'une contre l'autre, jusqu'à la première bulle d'étincelles. Puis, de goutte en goutte, l'eau s'allumera. Je respirerai l'eau brillante, deviendrai nervures d'aurore, delta de couleurs. Je lancerai les cordes des courants jusqu'a la surface pour relier les ailes des oiseaux. Quand ils descendront boire ensemble, le vent dans les cordes soufflera sur les mêches et les vagues brûleront nos doutes. Éventail de lumière, la Lyre bondira. En haut d'une lame de fond, nos nages ouvrantes attisent les pousses des flammes. Le ciel mettra d'autres fils à ses oiseaux pour qu'ils tirent les vagues en remontant. L'océan s'envolera et les abysses verront enfin la lumière du jour. Maintenant, braise océane, fais chanter les volets des paumes, souffle l'encre palmée sur les vagues allumées. Ici chante la Lyre des abysses. Vitraux à lever les vents, nos courants sont les roses passeuses, les arches des sonars, la vie bouclée des antennes. Marée ébouie, les notes à double fond riront dans de grandes poches d'air, jusqu'à ce qu'on entende s'ouvrir le bruit du soleil. 5-06-99"Un soleil torturé demande un arrosoir" -- Isabelle Godard--Quai du soleil --À la pointe du port, à l'extrème avancée de la jetée dans la mer, là où le sol est tout juste imaginé, juste en matière de lumière concentrée pour rassurer nos corps, je reste immobile. Tout au bout, là où cette envie secrète de sauter dans l'eau me fait toujours sourire, je ne sais plus bouger. Alors, je me fais figure de proue, mon profil d'homme en lutte lance des marches d'escaliers aux mouettes horizontales. Il y a comme une porte invisible, sa lumière froncée fait glisser les reliefs, je voudrais la franchir. Oeuf salé dans un poing d'eau, je suis une paroi hachurée, ma lueur ovale termine une longue promenade sous des arbres qui se déplacent. Disque rayé du soleil, un piège à pas refermé sur ma jambe, je ne sais plus bouger. Le soleil dans mes yeux dit qu'il va mourir, que le ciel va se fermer comme un livre, se dissoudre dans le regard lisse de mon dos tourné. Je lui dis que non, que c'est juste la ruade d'un passage, la piqûre d'un seuil, et que bientôt, ce champ de charbon crépitera d'or et rira sous ses pieds. Sa course touchera à peine terre, et ses pieds grimperont les pétales quatre à quatre, seront les vagues des vagues, quand l'eau viendra jouer dans ses mains. Pour le soigner, je lance son ombre dans un puits, pour qu'elle aille grimper les racines, marcher la vie en bas jusqu'au fond de la terre. J'envoie des bateaux de plomb semer des cimetières dans la mer. Des étouffements s'agglutinent, mais des halètements valsent, des frôlements s'élargissent en coupe à contenir les pluies les plus noires et les laver de leurs craquements, recoudre leurs corps brisés. Manège à s'ouvrir, la vie centrifuge rayonne, de plus en plus vite, des gestes qui brillent, entourent de l'intérieur les visages clos. Et, le soleil le sait aussi bien que moi, c'est la nuit qui se couchera, carbonisée par nos mains jointes. Souffle vertical, l'ombre chancelle déjà, aux prises avec les paliers d'air. Ventre à rosée, la couleur dévore la nuit à grandes ondulations chantantes. Les escaliers fleurissent et les arbres se penchent pour regarder sous les robes d'été des maisons. Des charmilles de flammêches entourent à nouveau le visage du soleil. Un jardin de vagues éternue de s'éveiller, se lève et s'habille pour aller danser. La jetée marche longtemps jusqu'au bout de nous, avec cette envie secrète de sauter dans le ciel qui fait rire les vagues. Les pièges à pas sont maintenant des fleurs, et lorsqu'elles se referment sur nos jambes, nous marchons deux fois plus vite. À parts égales, nous partageons le soleil dans nos assiettes en dépliant la mer. 03-06-99"Et si légère pour nous est la matière-oiseau, qu'elle semble, à contre-feu du jour, portée jusqu'à l'incandescence." -- St John Perse-- Pêcheurs d'abeilles --Les pêcheurs volaient vers la Cité des abeilles. Les ailes de leurs bateaux vrombissaient sous le soleil. Ils s'embarquaient, les uns après les autres, sans bagages, par familles entières. Les enfants expliquaient qu'il n'y avait pas de voyage, ni de bateau, mais qu'il fallait quand même monter dessus. Chaque jour les pêcheurs lisaient sur le pont des livres transparents, pour surveiller en même temps le bourdonnement du ciel. Fait de regards d'enfants, leur vaisseau à facettes regardait dans toutes les directions du temps. Parfois, pendant que l'un d'entre eux tenait la barre des antennes, ils disputaient des matchs de livres. Ils jouaient entre eux à courir l'histoire, pour arriver au mot fin juste à la tombée de la nuit. Peu à peu, le livre s'assombrissait, il aurait presque ressemblé à un livre d'en bas, mais à travers les pages noires, on voyait encore la nuit. Personne ne savait qui l'avait fabriqué. Maintenant, le livre voulait jouer aussi. Ils devaient suivre l'histoire avec les doigts. Il y avait des lignes froides et des iignes chaudes, comme les courants. Plus ils riaient et plus les bateaux volaient haut. Pendant que les pêcheurs dormaient, leurs enfants conduisaient les antennes la nuit en cachette. C'est eux qui avaient inventé les livres transparents, quelques années auparavant. Comme ils ne savaient pas encore lire et écrire, ils avaient juste mis de quoi regarder à travers. Comme tous les autres, les pêcheurs avaient vu arriver un jour les abeilles, de plus en plus nombreuses, senti leur lumière vibrante, là haut. Elles bourdonnaient dans la tête et disaient "Souviens toi ! Reviens dans la Cité !" Comme tous les autres, ils avaient cherché une place sur les bateaux ailés et faisaient route vers le feu du ciel. Ils demandaient aux enfants si la Cité était encore loin, et quand le bateau l'atteindrait enfin. Les enfants répondaient simplement "Ici. Tout le temps". Puis ils faisaient voler leurs mains en gestes compliqués pour essayer de savoir parler abeille au moment où ils se souviendraient qu'ils y étaient déjà. Les pêcheurs étaient le peuple du ciel de retour d'un long voyage. Dans leur soute, ils avaient embarqué des millions de fleurs. 03-06-99"Dans bien longtemps je suis passé par le château des feuilles" --Robert Desnos-- Ultramour --Les fourmis lumineuses avaient des palmes et nageaient dans mon corps. Elles venaient, tenues dans des becs d'oiseaux. La morsure était douce et leur apprenait à voler. Quand elles entraient, elles étaient si nombreuses qu'elles me soulevaient. Quelques papillons arrivaient même à passer. Eux, personne ne les tenait. Ils venaient se loger dans mes yeux et faisaient gouvernail. m'indiquaient les couleurs, les vitesses et les virages. Je volais au desus du papier.Tout ce blanc me faisait peur, alors je plongeais et mourais en couleur en laissant une longue tache. Les papillons dans mes yeux me disaient quelle nuance appliquer. C'est là que l'histoire commencera. Il se passera du temps. Des collectionneurs de couleurs viendront , prendront des mesures, donneront des prix. Je verrai leurs grands tampons essayer de marquer mon corps, mais ils disparaîtront dans un cri et il y aura un long moment tranquille. Des gens plein d'air, seringues au bout des doigts, viendront ensuite lire des choses dans mes taches. Ils poseront des chaises et une estrade, m'accrocheront au mur et discuteront bruyamment. Puis, ils hurleront tous en même temps, en sortant des gommes et des lances flammes, mais je ne m'effacerai pas, ne fondrai pas et ils repartiront en courant sans fermer la porte. Alors, le vent viendra se mettre entre moi et la feuille et je reprendrai forme. C'est maintenant, je m'en souviens. Je suis toute une vie étendue sur une feuille vide. Pas pour longtemps. D'abord, je suis une lettre, toute ronde. C'est bon de faire cercle, d'entourer tous les possibles en moi. Puis, je tends un bras en bas, vers la droite, pour équilibrer le poids de mon coeur. Un petit saut et je me courbe en pont sur les granulés clairs. Je suis deux flacons renversés pour contenir les deux bouts de la vie sans les mélanger. Et sur mon dos de chameau voyagent les étoiles et la poussière mêlées. J'ai fait deux lettres et je me sens déjà vivre. La feuille devient ciel, un soleil et des étoiles apparaissent dessus, ensemble. Je me dis "On voit le jour et la nuit, maintenant, il a dû se passer quelque chose quand je suis tombé". Il faut que j'écrive, il faut que je me fasse pousser de la peau avec mes souvenirs à venir, il faut que j'habite cette feuille, puis que j'en déborde. Mais bien avant, j'aurai de la visite. D'autres gens entreront, viendront manger près de moi, au dessus de moi, des carapaces de gambas me feront un toit couleur chair translucide. Je toucherai le bout des lèvres d'une femme embrassant un aquarium et des marées se presseront sur la vitre. Les lèvres prononceront des mots de verre, et des petits vitraux de couleurs viendront embellir mes lettres. Je crois qu'elle est une rose qui avait faim, déguisée en femme penchée sur la table. Je crois que j'aimerai cette femme depuis bien longtemps. À présent, il y a un ciel de peau fine tout autour de moi et j'ai envie de devenir encore d'autres lettres. Je me fais tout rond, cercle parfait, si plein, si entourant, qu'il me faut ensuite me faire coupe pour m'ouvrir et recevoir. Je me courbe alors, et me creuse, et m'élance, comme une main dont les doigts seraient tous aimantés en direction du ciel. Enfin, je me fais cañyon, escalier de rocher. Ma face externe est plus tendre et sa pente plus douce, pour que les enfants puissent glisser dessus, comme sur un toboggan. J'aime les enfants, je voudrais devenir l'un d'eux plus tard. Les lèvres se penchent au dessus de moi. Je croyais qu'elles venaient m'embrasser, mais elles tentent d'abord de me déchiffrer. Elles arrivent enfin à me prononcer. Lentement, elle détachent mes lettres "a-m-o-u-r", puis me disent d'un seul trait pour me lier. Alors, le soleil se met à bouger sur le papier, la feuille retrouve ses saisons et j'ai de nouveau un corps pour marcher. Alors, le paysage change et le monde avance d'un pas. Les gens se regardent, changés et le lendemain, le soleil a une heureuse surprise en arrivant au dessus de nous. Cela se passait bientôt. Tout le monde parlera depuis longtemps de la 8eme couleur de l'arc-en-ciel, l'Ultramour, née de mes taches sur la feuille. 25-05-99" When the night shows The signals grow on radios All the strange things, they come and go As early warnings" -- Peter Gabriel, "Here comes the flood"-- Monter l'heure quatre à quatre -- Détachés du grand arbre Balançoire aux lianes-langues Ils s'appellent entre eux "Pourquoi vivons nous ? " Et la note du chant descend Comme une sirène de pompiers qui passe Puis remontent se croisent se reconnaissent à leurs mains Et aux lumières qui se sourient dans leurs mots Comme eux Je suis un avion qui ferme les yeux longtemps longtemps Escalier jaune rouge bleu vert Espace au couleurs claires Saut en forme de baiser Essences polychromes vertiges fleuves fruités Je me souviens Des souffles très doux sur la vitre Et aussi De l'arrière goût du sabre Tant d'étages à un arbre Déjà, je remonte Vie à l'envers du cri Naissance à reculons Tant d'air à boire J'attrape mon premier souffle Et m'élance Pour naître le plus haut possible-- L'orchestre à fruits -- Sur la porte en échiquier Cercles bougés Découpés entiers Jouer monter tomber voler S'ouvre l'entrée dans la sortie Intérieur visage aux gestes de plumage Aurores nombreuses couchées pliées Soleils en foule Au creux saillants des feuilles S'ancre en relief l'intaille des camées Musique des paroles de la nuit Ce soir chante le beau du bruit L'orchestre à fruits 20-05-99-- Lever de murs --Au bout d'un brin d'herbe Quelques jeux sans lumière Marche douce Soif de feuilles et de mousses Souffle en marée claire À faire tomber les crinières en verre À pas de fleur Pierre de coeur Vers le dessous des murs Vers la source des sourires en fissures Je touche avec mon visage Une petite pierre sauvage Tiges en fresque entourante Crépi d'aubes ascendantes La vie le saut l'amour l'écorchure Plateaux de balance en rêve Tessons de sève Et le mur s'élève Au bout des mains Les yeux regardent en l'air Le vol léger des pierres Les murs au bout des doigts Comme des ballons Fil à construire des maisons À l'heure où les murs se lèvent Dans mes yeux Je porte le poids du soleil 20-05-99-- Lune ouverte --Passe de saison en saison La mêche des mouettes allumée Rit le drapeau perlé Lever d'ombre à réveiller l'horizon Mains contre main sous la nuit en verrière Poudre d'étoile de mer Chants de passage Ancrées dans l'orage Les notes font la course aux nuages Lune ouverte où la vie en rond vient s'effiler 19-05-99" -- Femme colorée -- Une feuille à la fenêtre Écrit des images Au dos du soleil Sève transparence Elle boit la mouvance Des vagues du naître Un soleil penché Dessine des visages Au dos d'une femme Lumière en présence Habillée de vert Terre de beauté claire Un visage allumé À l'envers d'une vitre Caresse un chapitre Livre en peau d'élytres Graine de lumière Sur femme colorée 15-05-99Tu es encore là? Sorti d'un instant encore entrouvert? Le filet n'avait qu'une maille et toi tu es passé au travers? Je ne puis assez m'étonner, me taire. Ecoute comme ton coeur me bat vite." -- Wiszlawa Szymborska-- Libellune --Libellune aimait apparaître au dessus de la mer, dans le soleil couchant et ouvrir grand ses bras pour me faire penser au dessin de Léonard. Puis elle frottait ses longues ailes l'une contre l'autre avec un bruit de cymbales très douces et sautait du soleil juste avant qu'il ne soit entièrement mouillé. Elle mettait un point d'honneur à toujours sauter vers le haut. "Ça donne du brillant à mes ailes de plonger vers le ciel" expliquait-t-elle toujours. Puis Libellune retombait dans la mer, s'incurvait en riant dans une vague, se courbait avec elle puis jaillissait et s'amusait à voler de crète en crète, jusqu'à ce que je la perde de vue. Puis, elle retombait juste devant moi, exprès pour me faire sursauter et je coulais un instant, mes bulles disaient "j'arrive, le temps de redevenir sérieux". Et l'entraînement commençait. "Lève ta main plus haut. C'est pourtant facile. Tu caresses le soleil d'encre, l'écoutes déplier son cercle dans ta main. Entends ce froissement de robe. Ce soir tes gestes vont au bal. Et la lumière t'invite." Libellune vrombissait et ses ailes dessinaient des lustres et des orchestres dans les vagues. Leur souffle faisait tourner l'eau en valse éclaboussante. L'océan riait et lançait des gouttes vers Libellune pour qu'elle vole de travers et chante faux, mais les ailes et l'eau savaient trop bien faire choeur pour fâcher leurs musiques. Il y avait un arbre dans la mer, il avait poussé de mes longues nages, à l'époque où je ne savais pas s'il fallait respirer au dessus ou en dessous et Libellune s'amusait à en réunir les lianes pour qu'elles ressemblent à des couples de princes et princesses virevoltants. Puis elle agitait les feuilles et les branches en un ryhtme dansant. Mais mes gestes étaient si lents dans l'air épais que j'imaginais un bal d'escargots, se tenant par les antennes. Je mettais un temps interminable à ouvrir une paupière et à rassembler un bouquet de pas. Je clignotais et LIbellune faisait semblant de regarder ailleurs : " Hum hum...on dira que c'est un bal couché. Ne ralentis pas plus, sinon ton soleil d'encre va se sauver. Si tu l'animes bien, tu sentiras l'air rosir et ton souffle écrire et tu ne sauras plus compter tes doigts. Parfois, ils seront nombreux, tressés ensemble et tourneront dans la nuit comme des phares souples et végétaux. Lorsqu'un oiseau frôlera la lumière fluide de leurs faisceaux de sève, il deviendra deux oiseaux. Et quand tu feras signe, des marées enfleront le ciel et peut être, deux horizons se toucheront, deux vagues feront un visage. D'autres fois, tes doigts seront rares et des générations d'explorateurs mourront sans les trouver. Il y aura des radeaux débordant de corps secs, des buissons d'hommes qui n'auront plus qu'un profil, les troncs flottants mourront de soif et se videront de leurs cercles d'années." Et j'agitais mes doigts, mais je ne voyais que des petits insectes même pas brillants tendre des fils pâles dans ma main ouverte. "Une maison pour les araignées.... oui, pourquoi pas ?" se moquait Libellune. "Au moins, demain matin, quand tu auras soif, tu pourras boire la rosée". Sur ses ailes, il y avait une carte du ciel. Si on savait la lire en une seule fois, je veux dire pas des coups d'oeil, mais en un seul geste de regard, on se retrouvait vraiment là-haut. Seulement, les ailes de Libellune vibraient si vite qu'il fallait être très joyeux pour être transporté. Libellune était partout à la fois, construisait une grande tente transparente dans le ciel, pour que j'aie moins froid, ou pour que les oiseaux fassent du tobbogan, ou pour que le vent n'aie pas honte en me voyant, je ne sais pas. Je ne m'en souviens pas encore. Libellune ployait sous le vent et prolongeait une longue feuille de l'arbre d'eau, juste pour la beauté du geste. "Ne le serre pas trop fort, ton soleil d'encre. Je ne peux pas en fabriquer d'autres, ça ne se fabrique pas d'abord, ça se souvient en s'espérant, puis ça se ramène du tout près" Et le jour arrivait déjà. Il fallait terminer la leçon. Alors Libellune partait se poser sur l'horizon, lumière noire en sourire de silhouette, et attendait que le soleil fasse cercle autour d'elle, pour dessiner le signe de Léonard. "Du progrès, du progrès, à ce soir ! ", chantait-elle en montant avec le soleil. Elle soufflait dans la lumière et, à chaque aurore, de la regarder monter, je grandissais un peu plus. Alors, je m'endormais dans l'arbre, jusqu'au retour du soleil sur l'eau et Libellune glissait sur les rayons jusqu'aux vagues pour la leçon suivante. En attendant, les yeux ouverts, mon soleil d'encre rêvait dans un nid. 12/05/1999"J'effeuille ton visage à la trame du jour
Et c'est ta voix qui vient quand je perds la mémoire" -- Nath -- Un instant suspendu -- Ça y est la balançoire s'arrête. Le monde est de travers et je suis tout droit. Les maisons, les arbres et les jambes vont tomber, s'emmêler et moi, je resterai là. Toujours. Je verrai les choses vieillir en glissant. Je découvre des endroits qu'on ne connaît pas lorsqu'on bouge. Je vois la nuit prochaine rêpéter au loin, puis venir tout près de moi, partout autour. La balançoire brille. Aussi loin que touchent mes bras tendus, la nuit s'arrête autour de moi. J'espère qu'elle ne viendra pas m'entourer d'un coup quand je regarderai ailleurs. Je vois des mains voler vers les fleurs pour les essayer, voir si elles s'ouvriront demain matin. Je vois sortir la langue noire de la terre et s'animer le vrai visage des hommes, lorsqu'ils croient que personne ne les regarde. Si j'avais fait cercle en arrière, je serais revenu au début de moi, puis plus loin encore. Les mains volantes m'ont repéré, elles discutent entre elles, se rassemblent, échangent quelques gifles en riant, caressent un oiseau qui sera dévoré par un chat dans une minute, quand elles auront redressé le monde, me fixent à nouveau. J'entends qu'elles voudraient me pousser. Elles disent que si je reste là-dessus, tout l'univers va se mélanger. Elles cherchent un trou dans la nuit où passer pour venir jusqu'à moi. Elles chuchotent tout bas qu'il faut que j'oublie tout avant de revenir et je commence à penser à sauter. Pourtant, je suis bien sur cette balançoire, au milieu des notes d'oiseaux qui ne finissent pas. Là dessus, je suis sûr que c'est le silence qui fait des petits trous à l'aube, à l'intérieur de leur chant qui dure toujours. Et puis, j'aurais aimé savoir certaines autres choses, par exemple si je pourrais prendre des orties dans mes mains sans avoir mal, Ou regarder le soleil en face et savoir enfin s'il y a des jardins de feu là bas et des averses d'incendies et des hivers incandescents. Mais les mains arrivent plus près. Elles m'avertissent que je suis imprudent, que je devrais fermer les yeux et me repêter des mots stupides pour m'empêcher de penser à ce que je vois. Vite, j'essaie de tout écrire sur un petit bout de papier pour me souvenir, mais les lettres glissent aussi, et je comprends un peu mieux les rêgles du jeu. Il faut que je saute vers une autre balançoire, loin, aux antipodes, peut être près d'une pagode. Si je vise bien, j'arriverai juste au bon instant, je rangerai le temps et les mains applaudiront. Elles me promettent qu'elles me ramèneront ici par la mer, que je verrai des choses encore plus fantastiques, rattraperai les vagues à la course, saurai avant elles où elles vont. J'accepte à condition de ne rien oublier. Les mains disent "d'accord" et forment une grande arche tiède au dessus de moi pour que personne ne me voit me souvenir. Le mouvement, le mouvement reprend à nouveau. Les mains me poussent en chantant, il fait grand jour et je glisse, glisse sur l'horizon. Et je pousse les vagues, qui rient de tourner autour de nous. 02-05-99"Les nuages nagent comme des enveloppes géantes, comme des lettres que s'enverraient les saisons." -Ismail Kadaré -- Chemin de croisées -- Terre gelée Sacs vidés de souffle Fine touche d'amour au bout des cils L'hiver lancé en l'air Tombe à l'arrière de la lumière Couche de soleil jusqu'aux chevilles En chemin de croisées Ne reste qu'à marcher Jusqu'à nos jambes 04-05-99"Il faut être l'homme de la pluie et l'enfant du beau temps." -René Char -- Lumière orale -- Des rêves relient les bruits Braises noires où marchent les fruits Sur leurs pieds enduits de vie Grammaire solaire Des sèves traduisent la nuit Tout brûle dans la langue de la pluie Une plume plante un cristal Une paume ouverte au vent de sel Crie le chant du visage Dessine la lumière orale 03-05-99-- Rayon vert --
Glissée dans le noir Au fond d'un tiroir Pliée sous une porte Roulée dans les vrilles mortes Derrière tes yeux Où tu veux Lumière qui nage Palmes d'orage Du feu sur la plage Vient vers nous Lèche nos pieds Gonfle nos yeux sêchés La sève fourmille et rêve S' élève Franchit les jambes les visages D'abord les enfants Puis les plus grands La lumière habille Les regards crient "Ça brille, la vie" Baisers de corail Sourires de vitrail Vent de portail Les mains bougent avec elle Ensemble Fleurs roses sous vent solaire Pousses d'éclair Les mains sautent attrapent Rient quand elle séchappe Reviennent ramènent des signes fières flambées de vigne Elle monte encore Etire son corps Prolonge les falaises Sauter du rayon Tomber en rond Soleil à flanc d'amour Le rayon vert Lumière à hauteur d'homme Le rayon vert L'arbre dans le soleil 02-05-99- Air hissons --Vitres hérissées Parfaitement allongées Aux lèvres des portes Les tissus de fleurs cousues Sang noir écru Mordent les cordes aux baisers des mains Claires levées lumineuses rares Ce qui naît dans la nuit Traverse les murs Dégoupille les fruits Vues entières Longs drapés de paupières Des caresses de barrières Oxymores vivants Soubresauts d'éclats Secouées pâleurs vibrantes Vitres qui chantent Se pressent Denses mouvantes éreintées folles Ce qui naît dans le bruit Court sur les toitures Fait danser les cris Vitriers des lumières Réparent les carreaux de l'air 01-05-99"Vingt-cinq fleurs tombées dans un coin du jardin Qui font pencher en nous tout le jardin Font chavirer en nous tout le jardin Se rouler tout le jardin." -- Hector de St Denys Garneau-- Hanches hantées --Elles dansent Parfument leurs mains brillantes Barques vivantes elles chantent Vagues de vanille Les fleurs au bout des filles Elles portent la cruche de l'aurore Pour la verser sur la mort Les fleurs allongent le pas Se lancent des bouquets de bras Retentissent s'arrondissent glissent Cachent en sursaut Les plis des éclairs les écorchés des draps Il faut danser Pour faire rire les yeux rayés Autour des feux tournent leurs hanches Cambrées bercées aux heures aveugles et blanches Hanches hantées de tournoyer Monte le rire des fleurs dépliées 28-04-99![]()
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