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"Tu écris 
et sur le buvard
tout s'est inversé"
 --Daniel Balavoine 
                                                -- Décalage aurore --
 
        Je t'écris depuis le dernier centimètre de la nuit.
    Je suis posé là, à l'extrémité, comme sur les tremplins des films de
pirate, les vieux avec les couleurs dessinées à la main.  La nuit est
une longue planche, une vieiile branche qui me connaît bien. Et
maintenant, elle se termine, mais moi, je continue.
        Déjà, les couleurs se pressent, juste aux bords de mon champ de vision.
J'ai beau tourner mon regard de tous les côtés, elles restent toujours
au bord et je les entends crier dans ma tête, comme des enfants à la
récréation.   
        Les couleurs sont encore dans la classe, et tu leur apprends à chanter.
Je te vois battre des bras, et t'accrocher au sol en essayant d'avoir
l'air lourde et sévère, pour ne pas qu'elles s'aperçoivent que tu sais
voler.  
 
        Je t'écris et le vent tient la feuille droite, parallèle à la mer, une
feuille couleur aile de mouette. À cause du souffle, je dois écrire sous
la feuille au dessus de ma tête. 
 
        Lorsque je sauterai, je devrais atteindre la mer en me courbant, comme
une porte. Si je ne reste pas grand ouvert, elle me tuera. Je la
toucherai en demi-cercle, et une lame de fond fera l'autre moitié du
cercle, en dessous. Nous ressemblerons étrangement à un soleil. 
        
        Très loin, en bas, les rochers dépassent de l'eau comme des longs nez
de noyés, mais je sais que je rebondirai dessus, qu'ils feront un
escalier à mon corps. Pas question de mourir à l'aurore.
        Quand je fermerai mes yeux, tu ouvriras les tiens, tu sais bien que
c'est chacun son tour. Il viendra un temps où nos yeux seront ouverts
ensemble. Alors il n'y aura plus de nuit sur la mer, il faudra peindre
de grands panneaux sombres et les tenir au bout de nos bras devant les
yeux des hommes, pour qu'ils ne voient pas la différence et n'aient pas
peur de nous. 
        
        Je sais que tu caches dans un corps ou l'autre, peut-être dans le
ventre d'une mouette, peut être dans un de mes doigts. Ou bien tu t'es
étalée sur toute la surface des mers du monde et tu t'amuses à parler
vague dans toutes les langues. Je sais que tu vibreras autour de moi en
longs sifflets doux, pendant toute ma chute.
         
        Tu vois les hommes qui marchent sur le port ? C'est tout droit, tout
plat, et pourtant, on dirait qu'il gravissent la jetée, comme si la mer
était un sommet à gagner.       
        Et moi, c'est le contraire. Que je lève la tête vers la mer ou que je
la baisse vers le ciel, j'ai l'impression de regarder droit devant moi.
 
        Lorsque je vais sauter, il commencera à faire clair. 
        Le soleil neuf aura juste le temps de voir mon corps sourire dans sa
naissance.
        Prépare toi à te lever. 
 
        Au moment où j'exploserai dans la mecr, j'aimerais faire plein de
rayons d'eau, puis nager dans toutes leurs directions à la fois. Si tu
viens avec moi dans l'eau, on fera des concours de soleil, des courses
de rayons, on lancera nos ombres comme des billes et on pliera nos
lumières pour en faire des cartes à jour. Nos bulles crieront "tricheur"
et éclateront de rire.
 
        En décalage aurore, en deux sauts croisés, malgré son âge, la première
seconde du jour sait déjà signer sur la mer. 
 
        28-06-99
 
 
 
"Je dis au sort "ton sommeil
laissa surgir le soleil"
--Hâfiz de Shiraz, 1368
 
                        -- Terre ensoleillée --
 
        
        Un enfant court vers le bord de la falaise, vers le vide, une motte de
terre entre les mains, pour y construire un pays suspendu, une échelle
couchée. 
        Je crois que notre pays flambe, ou bien ce sont seulement les
battements d'ailes de l'enfant dans l'air trop sec. 
        
        En sautant, il a lâché la motte de terre pour dire qu'il ne sera jamais
de ce monde. 
        La tête en bas, l'enfant respire et la mer s'incurve, se fait coupe
d'eau pour recevoir l'enfant volant. Courbe brisée dans l'air, petite
plume qui saigne puis sourit lorsque le monde doux et fluide se referme
sur elle.  
 
        Terre ensoleillée, le feu fouira nos courants, cambrera la mort
montante jusqu'à la casser, fera couler nos gestes que l'on vendait dans
les vitrines des caniveaux, là où le port se noie, là où les chiens nous
ont recrachés. 
         
        Soleil enterré au fond d'un regard, toujours tu cherches la mer où te
brûler. 
        Dans notre pays de visages à venir, la terre monte au ciel. 
 
        22-06-98	 
	 
 
 
"Sors le pas devant, la pensée à jouer, l'idée humaine bien cousue,
pour ne plus te manquer, même une seule journée."
--Marie Mélisou
 
                                -- Respirer entier--
 
L'oeil du cyclone demeurait calme. Son souffle en cercle était l'anneau
à voir dedans. 
L'autre oeil, celui de tempête, déroulé en long fil fou lançait des
regards tournants, vivait de spasmes brefs, de traversées bondissantes. 
 
Parfois, j'étais toute la furie glacée autour. Je tournais en ruées
sanglantes, en hurlements étouffés. J'était fouet sombre, crevasse
d'étau.  
Parfois, j'étais ce lac savant, cette perspective fluide et la tempête
était chant d'arômes autour de moi, fleurs grimpantes autour du tracé
des vies. J'étais caresse de science, franges de souffle et de couleur. 
 
Mes voiles étaient d'argile ou de tessons, elles claquaient en orbes
crépitantes ou s'évasaient en paumes de toile. 
        
Un jour de marée noueuse, je me pris à rêver de lever d'arbres,
d'immenses courbes à rejoindre les deux yeux. 
        
À grandes feuilles éoliennes, à larges troncs odorants, tous fruits
ouverts, les yeux du vent se mirent à respirer entier. 
        
         08/09-06-99
 
 
 
"Il a rêvé des sirènes
il a rêvé tout petit de cavernes
que personne ne connaît plus 
d'oiseaux que n'explique pas Darwin
ni personne ni lui surtout qui volait avec eux" 
-- Stéphane Compagnon
 
        
                -- Graines de sésame --
  
        Mains liées sur les clés pointillées
        Bulle de serrure 
        Gestes de césures
        Je fais un geste un pas une aube une déchirure
        Une main tient serrés la moitié des mots
        L'autre les lance vers l'eau
        
        Des grenouilles de toutes les couleurs dans l'air
        Petits sauts de lumière
        Mélangent les lettres
        Brillent de prendre le vent
 
        Coulent les soleils sous les ponts
        La moitié des mots dans l'avion
        Graines à paroles
        Flots de l'arbre d'Éole
        
        Branches des navires
        Mouvements germés des sourires
        Au bout des rames 
        Chantent dans l'eau les graines de sésame
 
                08-06-99
 
 
"Elle est retrouvée
Quoi ? L'éternité
C'est la mer
Allée avec le soleil"
-- A.Rimbaud
 
                                --Lumière d'abysses--
 
Tu trouveras goutte à goutte les graines de bougie, cachées dans des
buissons de morsures.   
 
Chevelures vivantes, les mèches des graines ondulent et craquent dans
l'eau. Parcours ce champ d'éclats et entre dans leurs noyaux. 
À grandes pelletées de flammes, des cendres fracturées creuseront le
soleil. 
Il faudra nager vite et flamber clair. 
 
Défi de chaleur, je fais la course avec la glace qui pleut dans les
fonds. 
À grands gestes d'arbre, vêtu de flots et de lueurs, je dispose les
graines autour des béances, accorde les mêches de la Lyre des abysses. 
 
Crevasses aux bras ouverts, des coups arrachent le sang griffé des
éponges. 
Crépiteur d'ombre, j'irai noyer nos larmes dans des cavernes limpides.  
 
Peintre d'horizon, Il faudra frotter tes mains l'une contre l'autre,
jusqu'à la première bulle d'étincelles. 
Puis, de goutte en goutte, l'eau s'allumera.
 
Je respirerai l'eau brillante, deviendrai nervures d'aurore, delta de
couleurs. 
Je lancerai les cordes des courants jusqu'a la surface pour relier les
ailes des oiseaux.
Quand ils descendront boire ensemble, le vent dans les cordes soufflera
sur les mêches et les vagues brûleront nos doutes. 
Éventail de lumière, la Lyre bondira. 
 
En haut d'une lame de fond, nos nages ouvrantes attisent les pousses des
flammes.  
 
Le ciel mettra d'autres fils à ses oiseaux pour qu'ils tirent les vagues
en remontant. L'océan s'envolera et les abysses verront enfin la lumière
du jour. 
Maintenant, braise océane, fais chanter les volets des paumes, souffle
l'encre palmée sur les vagues allumées. 
 
Ici chante la Lyre des abysses. 
Vitraux à lever les vents, nos courants sont les roses passeuses, les
arches des sonars, la vie bouclée des antennes.
Marée ébouie, les notes à double fond riront dans de grandes poches
d'air, jusqu'à ce qu'on entende s'ouvrir le bruit du soleil.
 
5-06-99
 
 
"Un soleil torturé demande un arrosoir"
-- Isabelle Godard
 
                --Quai du soleil --
 
À la pointe du port, à l'extrème avancée de la jetée dans la mer, là où
le sol est tout juste imaginé, juste en matière de lumière concentrée
pour rassurer nos corps, je reste immobile.
Tout au bout, là où cette envie secrète de sauter dans l'eau me fait
toujours sourire, je ne sais plus bouger.
 
Alors, je me fais figure de proue, mon profil d'homme en lutte lance des
marches d'escaliers aux mouettes horizontales. 
Il y a comme une porte invisible, sa lumière froncée fait glisser les
reliefs, je voudrais la franchir. 
 
Oeuf salé dans un poing d'eau, je suis une paroi hachurée, ma lueur
ovale termine une  longue promenade sous des arbres qui se déplacent. 
Disque rayé du soleil, un piège à pas refermé sur ma jambe, je ne sais
plus bouger.  
 
Le soleil dans mes yeux dit qu'il va mourir, que le ciel va se fermer
comme un livre, se dissoudre dans le regard lisse de mon dos tourné. 
 
Je lui dis que non, que c'est juste la ruade d'un passage, la piqûre
d'un seuil, et que bientôt, ce champ de charbon crépitera d'or et rira
sous ses pieds. Sa course touchera à peine terre, et ses pieds
grimperont les pétales quatre à quatre, seront les vagues des vagues,
quand l'eau viendra jouer dans ses mains.  
 
Pour le soigner, je lance son ombre dans un puits, pour qu'elle aille
grimper les racines, marcher la vie en bas jusqu'au fond de la terre.
J'envoie des bateaux de plomb semer des cimetières dans la mer. 
Des étouffements s'agglutinent, mais des halètements valsent, des
frôlements s'élargissent en coupe à contenir les pluies les plus noires
et les laver de leurs craquements, recoudre leurs corps brisés. 
 
Manège à s'ouvrir, la vie centrifuge rayonne, de plus en plus vite, des
gestes qui brillent, entourent de l'intérieur les visages clos. 
 
Et, le soleil le sait aussi bien que moi,  c'est la nuit qui se
couchera, carbonisée par nos mains jointes. 
 
Souffle vertical, l'ombre chancelle déjà, aux prises avec les paliers
d'air. 
Ventre à rosée, la couleur dévore la nuit à grandes ondulations
chantantes. 
Les escaliers fleurissent et les arbres se penchent pour regarder sous
les robes d'été des maisons. 
 
Des charmilles de flammêches entourent à nouveau le visage du soleil.
Un jardin de vagues éternue de s'éveiller, se lève et s'habille pour
aller danser. 
 
La jetée marche longtemps jusqu'au bout de nous, avec cette envie
secrète de sauter dans le ciel qui fait rire les vagues. 
Les pièges à pas sont maintenant des fleurs, et lorsqu'elles se
referment sur nos jambes, nous marchons deux fois plus vite. 
À parts égales, nous partageons le soleil dans nos assiettes en dépliant
la mer.
 
        03-06-99
 
 "Et si légère pour nous est la matière-oiseau, qu'elle semble, à
contre-feu du jour, portée jusqu'à l'incandescence."
 -- St John Perse 
 
                                        -- Pêcheurs d'abeilles --
 
Les pêcheurs volaient vers la Cité des abeilles. 
Les ailes de leurs bateaux vrombissaient sous le soleil.  
 
Ils s'embarquaient, les uns après les autres, sans bagages, par familles
entières.
Les enfants expliquaient qu'il n'y avait pas de voyage, ni de bateau,
mais qu'il fallait quand même monter dessus.  
 
Chaque jour les pêcheurs lisaient sur le pont des livres transparents,
pour surveiller en même temps le bourdonnement du ciel.
Fait de regards d'enfants, leur vaisseau à facettes regardait dans
toutes les directions du temps.  
 
Parfois, pendant que l'un d'entre eux tenait la barre des antennes,  ils
disputaient des matchs de livres. 
 
Ils jouaient entre eux à courir l'histoire, pour arriver au mot fin
juste à la tombée de la nuit. 
Peu à peu, le livre s'assombrissait, il aurait presque ressemblé à un
livre d'en bas, mais à travers les pages noires, on voyait encore la
nuit. Personne ne savait qui l'avait fabriqué.
 
Maintenant, le livre voulait jouer aussi.  
Ils devaient suivre l'histoire avec les doigts. Il y avait des lignes
froides et des iignes chaudes, comme les courants. 
Plus ils riaient et plus les bateaux volaient haut. 
 
Pendant que les pêcheurs dormaient, leurs enfants conduisaient les
antennes la nuit en cachette. C'est eux qui avaient inventé les livres
transparents, quelques années auparavant. Comme ils ne savaient pas
encore lire et écrire, ils avaient juste mis de quoi regarder à travers. 
 
Comme tous les autres, les pêcheurs avaient vu arriver un jour les
abeilles, de plus en plus nombreuses, senti leur lumière vibrante, là
haut. Elles bourdonnaient dans la tête et disaient "Souviens toi !
Reviens dans la Cité !"
Comme tous les autres, ils avaient cherché une place sur les bateaux
ailés et faisaient route vers le feu du ciel. 
 
Ils demandaient aux enfants si la Cité était encore loin, et quand le
bateau l'atteindrait enfin. Les enfants répondaient simplement "Ici.
Tout le temps". 
Puis ils faisaient voler leurs mains en gestes compliqués pour essayer
de savoir parler abeille au moment où ils se souviendraient qu'ils y
étaient déjà. 
 
Les pêcheurs étaient le peuple du ciel de retour d'un long voyage.  
Dans leur soute, ils avaient embarqué des millions de fleurs. 
 
        03-06-99
 
 
  
 
 
"Dans bien longtemps je suis passé par le château
des feuilles"
--Robert Desnos
 
                                                        -- Ultramour --
        
        Les fourmis lumineuses avaient des palmes et nageaient dans mon corps.
Elles venaient, tenues dans des becs d'oiseaux. La morsure était douce
et leur apprenait à voler. 
        Quand elles entraient, elles étaient si nombreuses qu'elles me
soulevaient. 
 
        Quelques papillons arrivaient même à passer. Eux, personne ne les
tenait. Ils venaient se loger dans mes yeux et faisaient gouvernail.
m'indiquaient les couleurs, les vitesses et les virages. 
 
        Je volais au desus du papier.Tout ce blanc me faisait peur, alors je
plongeais  et mourais en couleur en laissant une longue tache. Les
papillons dans mes yeux me disaient quelle nuance appliquer. 
 
        C'est là que l'histoire commencera. 
 
        Il se passera du temps. Des collectionneurs de couleurs viendront ,
prendront des mesures, donneront des prix. Je verrai leurs grands
tampons essayer de marquer mon corps, mais ils disparaîtront dans un cri
et il y aura un long moment tranquille. 
 
        Des gens plein d'air, seringues au bout des doigts,  viendront ensuite
lire des choses dans mes taches. Ils poseront des chaises et une
estrade, m'accrocheront au mur et discuteront bruyamment. 
        Puis, ils hurleront tous en même temps, en sortant des gommes et des
lances flammes, mais je ne m'effacerai pas, ne fondrai pas et ils
repartiront en courant sans fermer la porte. 
        Alors, le vent viendra se mettre entre moi et la feuille et je
reprendrai forme.
 
        C'est maintenant, je m'en souviens. Je suis toute une vie étendue sur
une feuille vide. Pas pour longtemps. 
 
        D'abord, je suis une lettre, toute ronde. C'est bon de faire cercle,
d'entourer tous les possibles en moi. 
        Puis, je tends un bras en bas, vers la droite,  pour équilibrer le
poids de mon coeur. Un petit saut et je me courbe en pont sur les
granulés clairs. Je suis deux flacons renversés pour contenir les deux
bouts de la vie sans les mélanger. Et sur mon dos  de chameau voyagent
les étoiles et la poussière mêlées. 
 
        J'ai fait deux lettres et je me sens déjà vivre. La feuille devient
ciel, un soleil et des étoiles apparaissent dessus, ensemble. Je me dis
"On voit le jour et la nuit, maintenant,  il a dû se passer quelque
chose quand je suis tombé". 
 
        Il faut que j'écrive, il faut que je me fasse pousser de la peau avec
mes souvenirs à venir, il faut que j'habite cette feuille, puis que j'en
déborde. 
 
        Mais bien avant, j'aurai de la visite. 
 
        D'autres gens entreront, viendront manger près de moi, au dessus de
moi, des carapaces de gambas me feront un toit couleur chair
translucide. 
        Je toucherai le bout des lèvres d'une femme embrassant un aquarium et
des marées se presseront sur la vitre. Les lèvres prononceront des mots
de verre, et des petits vitraux de couleurs viendront embellir mes
lettres. Je crois qu'elle est une rose qui avait faim, déguisée en femme
penchée sur la table. Je crois que j'aimerai cette femme depuis bien
longtemps. 
 
        À présent, il y a  un ciel de peau fine tout autour de moi et j'ai
envie de devenir encore d'autres lettres. 
        Je me fais tout rond, cercle parfait, si plein, si entourant,  qu'il me
faut ensuite me faire coupe pour m'ouvrir et  recevoir. Je me courbe
alors, et me creuse, et m'élance, comme une main dont les doigts
seraient tous aimantés en direction du ciel. 
 
        Enfin, je me fais cañyon, escalier de rocher. Ma face externe est plus
tendre et sa pente plus douce, pour que les enfants puissent glisser
dessus, comme sur un toboggan. J'aime les enfants, je voudrais devenir
l'un d'eux plus tard.
 
        Les lèvres  se penchent au dessus de moi. Je croyais qu'elles venaient
m'embrasser, mais elles tentent d'abord de me déchiffrer. 
        
         Elles arrivent enfin à me prononcer. Lentement, elle détachent mes
lettres "a-m-o-u-r", puis me disent d'un seul trait pour me lier.  
 
        Alors, le soleil se met à bouger sur le papier, la feuille retrouve ses
saisons et j'ai de nouveau un corps pour marcher.
        Alors, le paysage change et le monde avance d'un pas. Les gens se
regardent, changés et le lendemain, le soleil a une heureuse surprise en
arrivant au dessus de nous.
 
        Cela se passait bientôt. Tout le monde parlera depuis longtemps de la
8eme couleur de l'arc-en-ciel, l'Ultramour, née de mes taches sur la
feuille.
 
        25-05-99
 
 
 
 
 
 
 
" When the night shows
The signals grow on radios
All the strange things, they come and go
As early warnings"
        -- Peter Gabriel, "Here comes the flood"                
 
                -- Monter l'heure quatre à quatre --
 
 
        Détachés du grand arbre
        Balançoire aux lianes-langues
        Ils s'appellent entre eux
        "Pourquoi vivons nous ? "
        Et la note du chant descend
        Comme une sirène de pompiers qui passe
        
        Puis remontent se croisent se reconnaissent à leurs mains
        Et aux lumières qui se sourient dans leurs mots
         
        Comme eux
        Je suis un avion qui ferme les yeux longtemps longtemps
        
        Escalier jaune rouge bleu vert
        Espace au couleurs claires
        Saut en forme de baiser
        Essences polychromes   vertiges fleuves fruités
        
        Je me souviens 
        Des souffles très doux sur la vitre
        Et aussi
        De l'arrière goût du sabre
        Tant d'étages à un arbre
         
        Déjà, je remonte
        Vie à l'envers du cri
        Naissance à reculons
        Tant d'air à boire
         
        J'attrape mon premier souffle
        Et m'élance
         Pour naître le plus haut possible
 
-- L'orchestre à fruits --
        
        
        Sur la porte en échiquier
        Cercles bougés
        Découpés entiers
        Jouer monter tomber voler
        S'ouvre l'entrée dans la sortie
        
        Intérieur visage aux gestes de plumage
        Aurores nombreuses couchées pliées
        Soleils en foule
        Au creux saillants des feuilles
        S'ancre en relief l'intaille des camées
        
        Musique des paroles de la nuit
        Ce soir chante le beau du bruit
        L'orchestre à fruits
 
                20-05-99
 
 
-- Lever de murs --
 
 
        Au bout d'un brin d'herbe
        Quelques jeux sans lumière
        Marche douce
        Soif de feuilles et de mousses
        Souffle en marée claire
        À faire tomber les crinières en verre
        
        À pas de fleur
        Pierre de coeur
        Vers le dessous des murs                
        Vers la source des sourires en fissures
        
        Je touche avec mon visage
        Une petite pierre sauvage
 
        Tiges en fresque entourante
        Crépi d'aubes ascendantes
        La vie le saut l'amour l'écorchure
        Plateaux de balance en rêve
        Tessons de sève
        
        Et le mur s'élève
 
        Au bout des mains  
        Les yeux regardent en l'air
        Le vol léger des pierres
 
        Les murs au bout des doigts
        Comme des ballons
        Fil à construire des maisons
        
        À l'heure où les murs se lèvent
        Dans mes yeux 
        Je porte le poids du soleil
        
                20-05-99
 
 
 
-- Lune ouverte --
 
 
        Passe de saison en saison
        La mêche des mouettes allumée
        Rit le drapeau perlé
        Lever d'ombre à réveiller l'horizon
        
        Mains contre main sous la nuit en verrière
        Poudre d'étoile de mer  
        Chants de passage
        Ancrées dans l'orage
        Les notes font la course aux nuages
        
        Lune ouverte où la vie en rond vient s'effiler
 
                19-05-99
 
 
" -- Femme colorée --
 
 
        Une feuille à la fenêtre
        Écrit des images
        Au dos du soleil
        Sève transparence
        Elle boit la mouvance
        Des vagues du naître
        
        Un soleil penché
        Dessine des visages
        Au dos d'une femme
        Lumière en présence
        Habillée de vert
        Terre de beauté claire
 
        Un visage allumé
        À l'envers d'une vitre
        Caresse un chapitre
        Livre en peau d'élytres
        Graine de lumière
        Sur femme colorée 
        
                15-05-99
 
 
 
Tu es encore là? Sorti d'un instant
 encore entrouvert?
 Le filet n'avait qu'une maille et toi tu es
 passé au travers?
 Je ne puis assez m'étonner, me taire.
 Ecoute 
 comme ton coeur me bat vite."
        -- Wiszlawa Szymborska 
 
                                                        -- Libellune --
 
 
        Libellune aimait apparaître au dessus de la mer, dans le soleil
couchant et ouvrir grand ses bras pour me faire penser au dessin de
Léonard. 
        Puis elle frottait ses longues ailes l'une contre l'autre avec un bruit
de  cymbales très douces et sautait du soleil juste avant qu'il ne soit
entièrement mouillé. 
        Elle mettait un point d'honneur à toujours sauter vers le haut. 
 
        "Ça donne du brillant à mes ailes de plonger vers le ciel"
expliquait-t-elle toujours. 
        
        Puis Libellune retombait dans la mer, s'incurvait en riant dans une
vague, se courbait avec elle puis jaillissait et s'amusait à voler de
crète en crète, jusqu'à ce que je la perde de vue. 
        Puis, elle retombait juste devant moi, exprès pour me faire sursauter
et je coulais un instant, mes bulles disaient "j'arrive, le temps de
redevenir sérieux". 
        Et l'entraînement commençait. 
        
        "Lève ta main plus haut.
        C'est pourtant facile. 
        Tu caresses le soleil d'encre, l'écoutes déplier son cercle dans ta
main. Entends ce froissement de robe. Ce soir tes gestes vont au bal. Et
la lumière t'invite."
 
        Libellune vrombissait et ses ailes dessinaient des lustres et des
orchestres dans les vagues. Leur souffle faisait tourner l'eau en valse
éclaboussante. L'océan riait et lançait des gouttes vers Libellune pour
qu'elle vole de travers et chante faux, mais les ailes et l'eau savaient
trop bien faire choeur pour fâcher leurs musiques.  
 
        Il y avait un arbre dans la mer, il avait poussé de mes longues nages,
à l'époque où je ne savais pas s'il fallait respirer au dessus ou en
dessous et Libellune s'amusait à en réunir les lianes pour qu'elles
ressemblent à des couples de princes et princesses virevoltants. 
        Puis elle agitait les feuilles et les branches en un ryhtme dansant. 
         
        Mais mes gestes étaient si lents dans l'air épais que j'imaginais un
bal d'escargots, se tenant par les antennes. Je mettais un temps
interminable à ouvrir une paupière et à rassembler un bouquet de pas. 
        Je clignotais et LIbellune faisait semblant de regarder ailleurs : 
 
        " Hum hum...on dira que c'est un bal couché. Ne ralentis pas plus,
sinon ton soleil d'encre va se sauver.  
        Si tu l'animes bien, tu sentiras l'air rosir et ton souffle écrire et
tu ne sauras plus compter tes doigts. 
        Parfois, ils seront nombreux, tressés ensemble et tourneront dans la
nuit comme des phares souples et végétaux. Lorsqu'un oiseau frôlera la
lumière fluide de leurs faisceaux de sève, il deviendra deux oiseaux. 
        Et quand tu feras signe, des marées enfleront le ciel et peut être,
deux horizons se toucheront, deux vagues feront un visage.   
        D'autres fois, tes doigts seront rares et des générations
d'explorateurs mourront sans les trouver. Il y aura des radeaux
débordant de corps secs, des buissons d'hommes qui n'auront plus qu'un
profil, les troncs flottants mourront de soif et se videront de leurs
cercles d'années."
 
        Et j'agitais mes doigts, mais je ne voyais que des petits insectes même
pas brillants tendre des fils pâles dans ma main ouverte. 
 
        "Une maison pour les araignées.... oui, pourquoi pas ?" se moquait
Libellune. "Au moins, demain matin, quand tu auras soif, tu pourras
boire la rosée".
 
        Sur ses ailes, il y avait une carte du ciel. Si on savait la lire en
une seule fois, je veux dire pas des coups d'oeil, mais en un seul geste
de regard, on se retrouvait vraiment là-haut. Seulement,  les ailes de
Libellune vibraient si vite qu'il fallait être très joyeux pour être
transporté. 
        
        Libellune était partout à la fois, construisait une grande tente
transparente dans le ciel, pour que j'aie moins froid, ou pour que les
oiseaux fassent du tobbogan, ou pour que le vent n'aie pas honte en me
voyant, je ne sais pas. Je ne m'en souviens pas encore.
 
        Libellune ployait sous le vent et prolongeait une longue feuille de
l'arbre d'eau, juste pour la beauté du geste. 
 
        "Ne le serre pas trop fort, ton soleil d'encre. Je ne peux pas en
fabriquer d'autres, ça ne se fabrique pas d'abord, ça se souvient en
s'espérant, puis ça se ramène du tout près"
 
        Et le jour arrivait déjà. Il fallait terminer la leçon. Alors Libellune
partait se poser sur l'horizon, lumière noire en sourire de silhouette,
et attendait que le soleil fasse cercle autour d'elle, pour dessiner le
signe de Léonard. 
 
        "Du progrès, du progrès, à ce soir ! ", chantait-elle en montant avec
le soleil. Elle soufflait dans la lumière et, à chaque aurore, de la
regarder monter, je grandissais un peu plus.  
 
        Alors, je m'endormais dans l'arbre, jusqu'au retour du soleil sur l'eau
et Libellune glissait sur les rayons jusqu'aux vagues pour la leçon
suivante. 
        En attendant, les yeux ouverts, mon soleil d'encre rêvait dans un nid.
 
                12/05/1999      

  "J'effeuille ton visage à la trame du jour

Et c'est ta voix qui vient quand je perds la mémoire"
        -- Nath
 
                -- Un instant suspendu --
 
   Ça y est la balançoire s'arrête. 
   Le monde est de travers et je suis tout droit. 
   Les maisons, les arbres et les jambes vont tomber, s'emmêler et moi, je
resterai là. Toujours. 
   Je verrai les choses vieillir en glissant. 
         
   Je découvre des endroits qu'on ne connaît pas lorsqu'on bouge. Je vois
la nuit prochaine rêpéter au loin, puis venir tout près de moi, partout
autour. 
    La balançoire brille. Aussi loin que touchent mes bras tendus, la nuit
s'arrête autour de moi. J'espère qu'elle ne viendra pas m'entourer d'un
coup quand je regarderai ailleurs. 
 
    Je vois des mains voler vers les fleurs pour les essayer, voir si elles
s'ouvriront demain matin. 
    Je vois sortir la langue noire de la terre et s'animer le vrai visage
des hommes, lorsqu'ils croient que personne ne les regarde. 
 
    Si j'avais fait cercle en arrière, je serais revenu au début de moi,
puis plus loin encore. 
        
     Les mains volantes m'ont repéré, elles discutent entre elles, se
rassemblent, échangent quelques gifles en riant, caressent un oiseau qui
sera dévoré par un chat dans une minute, quand elles auront redressé le
monde, me fixent à nouveau. 
     J'entends qu'elles voudraient me pousser. Elles disent que si je reste
là-dessus, tout l'univers va se mélanger. 
     Elles cherchent un trou dans la nuit où passer pour venir jusqu'à moi.
Elles chuchotent tout bas qu'il faut que j'oublie tout avant de revenir
et je commence à penser à sauter. 
 
     Pourtant, je suis bien sur cette balançoire, au milieu des notes
d'oiseaux qui ne finissent pas. Là dessus, je suis sûr que c'est le
silence qui fait des petits trous à l'aube, à l'intérieur de leur chant
qui dure toujours. 
     Et puis, j'aurais aimé savoir certaines autres choses, par exemple si
je pourrais prendre des orties dans mes mains sans avoir mal, Ou
regarder le soleil en face et savoir enfin s'il y a des jardins de feu
là bas et des averses d'incendies et des hivers incandescents. 
 
     Mais les mains arrivent plus près. Elles m'avertissent que je suis
imprudent, que je devrais fermer les yeux et me repêter des mots
stupides pour m'empêcher de penser à ce que je vois.  
 
     Vite, j'essaie de tout écrire sur un petit bout de papier pour me
souvenir, mais les lettres glissent aussi, et je comprends un peu mieux
les rêgles du jeu. 
 
     Il faut que je saute vers une autre balançoire, loin, aux antipodes,
peut être près d'une pagode. Si je vise bien, j'arriverai juste au bon
instant, je rangerai le temps et les mains applaudiront. Elles me
promettent qu'elles me ramèneront ici par la mer, que je verrai des
choses encore plus fantastiques, rattraperai les vagues à la course,
saurai avant elles où elles vont. 
     J'accepte à condition de ne rien oublier. Les mains disent "d'accord"
et forment une grande arche tiède au dessus de moi pour que personne ne
me voit me souvenir. 
 
     Le mouvement, le mouvement reprend à nouveau. 
     Les mains me poussent en chantant, il fait grand jour et je glisse,
glisse sur l'horizon. Et je pousse les vagues, qui rient de tourner
autour de nous. 
 
                02-05-99
 
 
 
 "Les nuages nagent comme des enveloppes géantes, comme des lettres que
s'enverraient les saisons."
                -Ismail Kadaré
 
                -- Chemin de croisées --
        
        Terre gelée 
        Sacs vidés de souffle
        Fine touche d'amour au bout des cils
        
        L'hiver lancé en l'air
        Tombe à l'arrière de la lumière
        Couche de soleil jusqu'aux chevilles 
 
        En chemin de croisées
        Ne reste qu'à marcher
        Jusqu'à nos jambes
 
                04-05-99
 
 
 
 
"Il faut être l'homme de la pluie et l'enfant du beau temps." 
        -René Char
 
                -- Lumière orale --
        
        Des rêves relient les bruits
        Braises noires où marchent les fruits
        Sur leurs pieds enduits de vie
 
        Grammaire solaire
        Des sèves traduisent la nuit
        Tout brûle dans la langue de la pluie
 
        Une plume plante un cristal
        Une paume ouverte au vent de sel 
        Crie le chant du visage
        Dessine la lumière orale
 
                03-05-99
 
 
 

 
-- Rayon vert --
        
        Glissée dans le noir
        Au fond d'un tiroir
        Pliée sous une porte
        Roulée dans les vrilles mortes
        Derrière tes yeux 
        Où tu veux
        
        Lumière qui nage
        Palmes d'orage
        Du feu sur la plage
        Vient vers nous
        Lèche nos pieds
        Gonfle nos yeux sêchés
        
        La sève fourmille et rêve
        S' élève 
        Franchit les jambes les visages
        D'abord les enfants
        Puis les plus grands
        La lumière habille
        Les regards crient
        "Ça brille, 
        la vie"
 
        Baisers de corail 
        Sourires de vitrail
        Vent de portail
        
        Les mains bougent avec elle
        Ensemble 
        Fleurs roses sous vent solaire
        Pousses d'éclair
         
        Les mains sautent attrapent
        Rient quand elle séchappe
        Reviennent ramènent des signes
        fières flambées de vigne
 
        Elle monte encore
        Etire son corps
        Prolonge les falaises
        Sauter du rayon
        Tomber en rond
        
        Soleil à flanc d'amour
        Le rayon vert
        Lumière à hauteur d'homme
 
        Le rayon vert
        L'arbre dans le soleil
        
                02-05-99
 
 
- Air hissons --
 
         
        Vitres hérissées
        Parfaitement allongées
        
        Aux lèvres des portes
        Les tissus de fleurs cousues
        Sang noir écru
        Mordent les cordes aux baisers des mains
        Claires levées lumineuses rares
         
        Ce qui naît dans la nuit
        Traverse les murs       
        Dégoupille les fruits
         
        Vues entières
        Longs drapés de paupières
        Des caresses de barrières
        Oxymores vivants
        
        Soubresauts d'éclats
        Secouées pâleurs vibrantes
        Vitres qui chantent
        Se pressent 
        Denses mouvantes éreintées folles
        
        Ce qui naît dans le bruit
        Court sur les toitures
        Fait danser les cris
 
        Vitriers des lumières
        Réparent les carreaux de l'air
        
         
                01-05-99
 
 
 
"Vingt-cinq fleurs tombées dans un coin du jardin
       Qui font pencher en nous tout le jardin
       Font chavirer en nous tout le jardin
       Se rouler tout le jardin."
        
                -- Hector de St Denys Garneau
 
                                        -- Hanches hantées --
 
        
        Elles dansent
        Parfument leurs mains brillantes  
        Barques vivantes elles chantent
        
        Vagues de vanille
        Les fleurs au bout des filles
        
        Elles portent la cruche de l'aurore
        Pour la verser sur la mort
        
        Les fleurs allongent le pas
        Se lancent des bouquets de bras 
        Retentissent s'arrondissent glissent
        Cachent en sursaut
        Les plis des éclairs les écorchés des draps
        Il faut danser
        Pour faire rire les yeux rayés
        
        Autour des feux tournent leurs hanches
        Cambrées bercées aux heures aveugles et blanches
        
        Hanches hantées de tournoyer
        Monte le rire des fleurs dépliées
 
                28-04-99
 
 
 
 

 

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