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I talk in pictures, not in words"
        -- Peter Gabriel
 
  
                             
 
        
        Cielle dit que de l'autre côté c'est l'été. 
         Mais ici, les arbres dorment, la terre noire a fermé les yeux de la
vie et j'entends le soleil qui craque. 
        Les branches noires font des sons de lecture silencieuse, à
chaque seconde, elles me tournent comme une page. La forêt me lit. Ses
doigts m'empêchent de marcher et je demande à Cielle de calmer un peu
toutes ces vies qui s'ennuient en hiver.  
 
        Cielle dit aussi que cette forêt fut une mer et qu'elle le
redeviendra. Un loup passe, elle souffle sur son poil, et des fentes de
ses yeux sort  un faisceau, dans lequel vit tout le fil de la vie du
lieu. 
        
         Le vent sculpte les troncs des phares. Ils ne sont encore qu'arbres
dormants, mais déjà leurs bourgeons de lumière courent dans leur corps.
Bientôt, ce seront de grands rayons de feuilles. Bientôt, ici, la terre
nagera. Peut être nos enfants discerneront ils leur première lueur. Peut
être même viendront-ils l'adorer en rond au lieu de marcher et Cielle
grondera avec des couleurs sombres, jusqu'à ce qu'ils comprennent. 
 
        En attendant, ceux qui s'aventurent là se noient parfois. Personne ne
les entend  crier que ce n'est pas possible, qu'il n'y a pas d'eau. Ceux
là meurent sans tomber, sans bruit, sans y croire. La forêt s'excuse, ne
leur voulait pas de mal. le temps à juste glissé. Cielle froncera les
sourcils et retiendra difficilement une tempête.  Pour se faire
pardonner, la forêt créera des arbres qui ressembleront aux visages des
noyés. Puis quand elle sera eau, elle fera des vagues qui auront leurs
voix et Cielle sera contente. Mais elle surveillera s'ils essayent de
nous attraper. 
        
         Cielle dit que de l'autre côté du temps, c'est l'océan qui deviendra
une forêt. Je marche en l'écoutant.
        Dans la forêt, à marée montante, sous les copeaux des embruns du temps,
je continue de marcher et Cielle fait la nuit claire, avec une belle
lune ronde dedans, pour que j'aime ce chemin. 
        Et lorsque j'aperçois un fruit posé sur la neige, je ne sais plus trop
quand je suis. 
        
        Alors, tout en continuant de nager debout, je préviens Cielle que l'été
est passé de ce côté et que déjà l'eau monte sous la forêt. 
                          
                        16-01-99  
  
"(...)et puis, quand on a bien regardé, il faut prendre la feuille de
papier, et dessiner avec les mots ce qu'on a vu."
        -- JMG Le Clézio
 
                                        --Deglet Nour *--
 
        
        Longue ligne tremblante dans le désert. 
        Caravane nue, elle ne transporte rien, aucune marchandise autre que ses
pas. Les yeux en marche boivent le soleil et attendent la nuit pour
briller. Et lorsque ces yeux là regardent, le peuple pressé qui vit de
l'autre côté de la terre croit voir des étoiles et se souvient un
instant qu'il a aussi voyagé. Puis, il retourne a ses affaires, pour
acheter l'univers, carré par carré. 
        Vue de haut, la caravane dessine un mot. Patiente, elle écrit sur la
terre, attendant que nos vies apprennent à lire.
         
        Grande courbe des mains allongées sur la sable. 
        Temps du repos. Chacun choisit son étoile avant de fermer les yeux. 
        Un vieux sage dit en dormant "rien de plus brillant que la nuit" et les
chameaux rient en l'imitant. 
        Ici, la vie est un rêve palpable.    
        Nous sommes un peuple de syllabes, les bouts entiers d'un sésame. Et
nous marchons, les pieds durcis de cailloux, les mains allongées par le
vent, jusqu'à ce que nous ne puissions plus jamais les ranger, plus
jamais les fermer. 
 
        Vaste cercle du ciel bordant le voyage. 
        Le jour se lève et il pleut sur le désert. Des tasses, des mains, des
bouches, des yeux gris, des pensées se tendent vers l'arc en ciel. 
        Sur la pluie, les doigts du soleil inventent les couleurs nomades. La
caravane s'engage sur le pont, chameaux polychromes.
        Et nos yeux font fortune à regarder le ciel
         
                
                        12-01-99
 
        * (sauf erreur) en arabe = les doigts du soleil
 
 
-- Petit scarabée --
 
        Grand éclat bleu sur le ventre d'une déesse. Petit oeil noir détaché du
nombril d'un temple, tige mouvante sur le flanc de la montagne, tu
marches.  
        
        La nuit tombe partout sauf sur toi. Cercle épais autour de ta
brillance. Longue main d'encre à souffler les graines. Lourds poings qui
halètent sur ta peau, dos chargé de pierres, tu marches. 
        Tes pattes frottées sur la montagne, petit scarabée, émiettent le
temps. 
        
        Devant toi un rocher tordu, craquelé, torturé. Ses blessures les plus
profondes ressemblent à des sourires. 
        Autour de toi, le vent de tigre, l'air qui mord et saute sur les
gorges. Souffle à faire luire les plaies, gifles à boire debout, tu
marches
        Au dessus de toi, des pirogues chantantes, dedans rient les fleurs qui
descendent le fleuve du ciel pour revenir dans les jardins au matin.
Quand elles rament, elles diffusent les parfums partout sur la montagne,
sans jamais se décoiffer.
        En toi, des chats dans toutes les positions. Des rires grimpeurs. Des
lunes piquantes. Des ténèbres à coulisse. Des morceaux de rêves avec des
yeux peints dessus. Des mots d'amour en escalier. Des secrets coulants
dans la nuit. 
        
        Partout, la vie progresse dans la montagne, pour arriver au sommet
avant le lever du soleil.
        Drapeau en marche, voile irisée, petit scarabée, tu vois enfin le
sommet.  
        
        Le fracas des mâchoires. La course tendre des mains. Le roulement des
carapaces. La chorale des roses rameuses, la respiration du silence, tu
entends tout et tu marches.
 
        La montagne doit vieillir encore pour naître, long soupir
imperceptible, échanges de ciel et de matière. Usines à soleil. Matrices
à couleur. À la texture de la lumière, tes doigts savent que le lever du
soleil est proche.   
         
        Grande marmite au sommet de la montagne. Bouillonnements en équilibre,
bulles pétillant dans la nuit. . 
        De la plus petite, la plus fine, la plus légère de tes pattes, tu
l'effleures. 
        Et, dans un grand arc translucide, l'eau de nuit déferle vers nos
vallées, à l'instant même où se lève le soleil. 
 
                                08-01-99
 
"J'obéirai à la fraîcheur de l'eau détruite
les coquilles liquides tendues entre les étoiles
ne sembleront exister que pour faire valoir secrètement
cette alchimie"
                -- Jean Pierre Luminet , poéte et astrophysicien                 
 
                                -- Fièvre rouge --
        
        Sueur cognée
        Nage cataleptique aux serres vibrillionantes
        Brûle l'élixir aux jungles visqueuses
 
                Flashs noirs sur la nouvelle lune
                Vide
                Étendue comme un linge           
        
        Mouvements martelés
        Glissements d'arêtes en aiguilles de gestes
        Souffles sourds en ciseaux de chaleur
 
                Caillou-lumière aux cloches du soleil
                Corps de brume
                Sursauts vitrés du sang hirsute  
                 
        Eau rampante
        Ciel de glace sur la tête
        Je guéris debout
 
                07-01-99
 
"Je suis un Peau-Rouge. Jamais je ne marcherai
dans une file indienne."
                -- André Laude
 
                                        -- Sang d'encre -- 
                
        Sève du scorpion
        Pattes repliées sous la liqueur reptile
        
        Une paume sécheresse, long pays craquelé
        Saisit une feuille
        Pose sa plume, droite comme une tour
        
        Ombre portée de la plume, rien n'est écrit
        Mais déjà, la feuille n'est plus blanche
 
        Pluie bleue 
        Versée sur les fibres du papier
        Semence épaisse
 
        Ombre penchée de la main
        Feuille peuplée, hantée, violente
 
        Une plume couchée, une main raide
        Saignements du cahier fermé
 
        Ombre couchée du visage
        Mes yeux versent un sang d'encre
 
                07-01-99
 
"Nous sommes bien plus que
vivants, nous partageons le temps."
        
        -- Mireille
 
                                -- Flore --
                
                Flore du désert
                Cache la poudre d'eau dans sa main
                
                        Ombre en pélerinage
                        Vient boire 
                        Lape le sable
                 
                Les dunes enlacent le coeur de la terre
                Escalier de lumière
 
                        Une caravane 
                        Jardin d'hommes
                        Vient verser le feu
 
                Drapées de soleil
                Les tentes habillent le corps du sable
 
                        Élixir des palmes
                        Voiles des oasis
                        Chemin de soif 
 
                Flore du chemin
                Graine de sésame aux gouttes des pas
                         
                                        07-01-99
 
"See the west wind move like a lover so ...
        See the children run as the sun goes down
               Among the fields of gold".
                                        -- Sting
 
                                -- Cañyon--
                        
                Buée de loup
                Passe le seuil
                De la dernière maison avant la forêt
 
                Clair de soleil
                Rayons bercés
                La lumière m'écrit dans l'arbre
 
                Pétales d'un ravin
                Saut pour grandir
                Deux écharpes nouent le jour et la nuit
 
                Lumière ouverte
                Comme un grand livre
                Neige sur un phare de montagne
                
                                07-01-99
 
 
 
 
" A tous ceux qui ont tendu la main
  À mon âme égarée
  Sur les chemins du doute
  Je transmets l'amitié
  Et le profond respect
  De l'ange aux poings serrés qui
  Veille sur ma route"
 
                   -- Jacques Higelin                           
 
 
                        -- Mortes ailes --              
 
 
                Peuple qui éteint la nuit. 
        Assemblée solitaire de mains coupantes.
 
        Mes secondes. Leurs prétresses froides. Je meurs de les écrire. 
        Mes jours. Leurs guerriers obliques et leur flèches
reptiliennes. 
         
        Des flaques d'ombre  coulent de leurs yeux, brillance fiévreuse
hantée
de têtes qui roulent, foule sans forme autre que le moule de son cri.   
        
        Billard de la douleur, leurs mots s'entrechoquent et crissent en
copeaux aigüs, cerclent les nez d'anneaux d'esclavage, sanglent les
souffles dans des harnais vaporeux. 
        
        Mes instants. Larves lunaires, ils laissent une trace blême,
sève sans suite. 
                La terre sourde les avale et les éteint d'un trait.
        Mon éternité. Peuple à crochets, lorqu''elle s'enfonce, elle
entraîne les fleurs pour les noyer. 
         
                 Inlassablement, l'amour apprend à s'infinir. 
                
        
               06-01-99
"Nous nous découvrions, nous aussi, emportés vers un avenir ignoré, à
travers la pensée des vents"
 
                -- Antoine de St Exupéry
 
                        -- Courrier Sud --
 
        Le soleil se lève
        Et je tombe vers lui
        À la vitesse des yeux fermés
        
        Divins tourbillons 
        Songe sans titre
         
        Très loin
        En bas du monde
        Il y a un ciel
        
                        06-01-99
 
 
--Pins semant au coeur --
                
        
        Doigt coupé
        Sur une aile de papillon
        
        Plumes boueuses 
        L'obscurité se danse
 
        Brins d'herbe opaques
        Étouffent un visage
 
        Souffles confus
        La pluie respire
 
        Vague en plein vol
        Les cris viennent boire
 
        Craquement sec 
        Coeur en aiguilles de pins
        
        
                06-01-99
 
"Son âme est une lune dans la nuit avancée
Moitié profondes ténèbres, moitié lueur de rêve"
        
        -- Cû Huy Cân
 
                        --Coeur de lynx--
 
        Regard brûlé
        Buveur de poussière
        Flotte sur la lumière
 
                Sur mon coeur de pierre, un soleil cuit 
                Chair minérale du sang gravé 
                 
        Lune versée
        Pétales des volets
        Un sourire sur les doigts
 
                Sur mon coeur de verre, je ferme les yeux
                Griffe en transparence
                
        Arêtes des pulpes  
        Lancers de cordes
        Rondeurs de cratères
 
                Sur mon coeur de soie, je déchire mon souffle
                Cercles de plis au centre de la vie
 
        Or vivant
        Sueur d'oracles
        Amour entier
 
                                        Coeur de lynx loin au dessus de l'eau
                                        Juste des larmes vues d'avion
 
                                                06-01-99 
 
 
"Kura toreba samuki sugata ya uma no
                    shiri" 
 
         (La selle ôtée
         Nue et froide m'apparaît
         La croupe du cheval)
 
                                -- Ekigodo Kawahigashi
                
                        -- Geisha -- 
 
        Liseré sang
        Lettres tremblées toussées
        Pinceau sourire sur une pierre blanche
        Lumière piquante  
 
        Au matin, des pots alignés se réveillent 
        Se regardent dans le vernis
        S'étirent
         
        Visages vides
        Feux tout autour
        Des yeux peints au  bout des doigts 
        Gestes craquelures
        
        À midi, les pincements des lèvres se font charnus
        S'exercent à aimer
        Embrassent la vitre
 
        Secrets sentinelles
        Rouges trainées de blanc
        Soupirs en charmille de signaux
        Mort animée
 
        Le soir, les danses cassent la courbe du ciel
        Déhanchent l'eau des yeux
        Masques nus
 
        Geisha
        Lune fardée
        
                04-01-99
 
 
 
"Tu es née, à minuit, du baiser de deux sources,
 Alceste, et l'univers ne t'offre que reflets,
 Lueurs, lampe allumée au lointain, feux follets
 Et dans le ciel les sept flambeaux de la Grande Ourse."
                -- Robert Desnos
 
                             ==Foudre bénie*--
 
 
        Velours rocheux, plongée fluide, mes bras tendus épongent la pluie. 
        Robe safran, sourire chauve, je lévite dans l'eau. 
        Gong de corail, écailles de sagesse, mes bulles sont les pages rondes
du livre trempé.        
        Goutte de soleil gravée sur une pierre d'eau , lancé par la vie, je
fais ricochet sur le ciel. 
        Idéogrammes d'étoile, temple souriant, le trajet d'une pensée construit
l'escalier palmé qui mène à l'amour.
        
        J'écris, j'écris sur les vagues et les planctons font cercle autour des
rouleaux, tracent le sens de nos gestes, dessinent le chant de nos
souffles engloutis. 
        Écharpes noyées, le vent et la brume viennent me parler dans l'eau,
leurs cheveux viennent  s'enrouler autour de l'appel des trompes. 
        Chaleur pure des neiges éternelles, lagon au pied du glacier, autour de
moi, en position du lotus, la terre prend vie. 
        
        Feu nocturne allumé dans l'eau, la foudre bénie éveille les nageoires
des torches.  
 
                        Stéphane Méliade, le 1er janvier 1999
 
 
Pour Adeline, Aurore, Cécile, Émilie, Jennifer et Magalie
À l'avenir du souvenir. 
 
 "Enfants
Consultez quelquefois 
les miroirs du passé
Et vous y relirez
L'écho de ces visages
Qu'un temps nous avons habités"
 
        -- Jean Pierre Rosnay
 
                                                        -- Lapous Mor --*
 
        Longue procession d'enfants-sternes autour des pinces de la
crique.
S'asseyent, posent leur ailes en nappes pour manger. 
        Leur vient la mer à la bouche. 
        Nous viennent des faisceaux de phare jaillis de leur yeux. 
        
                Lorsqu'ils font la ronde en regardant en l'air, les faisceaux
s'assemblent en une grande mouette brillante, marchant dans le ciel en
pattes de lumière. 
                Ils éclairent une pomme verte en promenade, fruit solaire rendu rond
par les vagues, sang éclairé par les ombres au zénith.  
 
                Les feux de la St Jean éclairent les visages des enfants, Ils marchent
droit dedans sans jamais baisser les yeux. Nous sommes déjà partis, eux
aussi. Ils vivront. 
 
                S'enroulent les faisceaux dans une grotte endormie, espace
éblouissant. Plongent les lumières dans les eaux. Cercles gravés des
rondes des enfants. Temps tournant.  
 
        Restent la mer, une mouette rieuse dans le faisceau d'un phare, un
piano sauvage qui court en chantant "ne m'oublie pas" et quelques chants
en forme d'enfant.   
                
                                27-12-98
                 
     
         * Lapous Mor = Oiseau de mer
 
 
"En yver, du feu, du feu, 
  Et en esté, boire, boire, 
  C'est de quoy on fait memoire, 
  Quant on vient en aucun lieu."
                
                        -Charles d' Orléans
 
                                        --------------------------------
 
                                        -- Pagode --
 
         
        Des éventails au bout des yeux
        Jardins en amande
        Nulle trace froide
 
        Sur la première corde, l'écriture de l'oiseau
        
        Poussière de pétales
        Rosit les mains brûlées
        Toits effeuillés
        Saveur des lumières en terrasse
 
        Sur la deuxième corde, les ailes en mouvement versé
        
        Des yeux peints sur le vent
        Robe du ciel
        Nul espace vide
 
        Sur la troisième corde, l'arc d'un bec penché
 
        Pagode de nulle nuit
        Danse le thé allumé
        Dans le rayon d'un geste
        Fils en infusion
 
        Du haut de la pagode, un éventail s'envole
 
                                        26-12-98

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